Aujourd’hui, je vous propose une halte dans le département de l’Ain (01), qui illustre particulièrement le décalage entre les visées attendues de l’accueil, telles qu’exposées dans les textes législatifs, et leur mise en application au niveau local. Si la loi Besson de 2000 (qui encadre l’accueil et l’habitat des gens du voyage) prévoit des objectifs clairs relatifs à l’accès à l’éducation, à la santé et à l’insertion professionnelle, vous comprendrez très rapidement qu’en pratique il n’en est rien. Pour vous en rendre compte, je vous propose d’analyser la place réservée à ces lieux dans les villes et leur environnement immédiat.
Dans l’Ain, il existe 23 aires (accueil et grand passage). Il faut en moyenne 31 minutes pour se rendre à pied en centre-ville. Le plus souvent, il n’y a pas de transports en commun et 78 % de ces aires sont ainsi isolées des zones habitées. Rien d’étonnant dans la mesure où, en matière d’accueil, l’adage semble être : « accueillir oui, mais pas chez nous ».
Plus grave encore : 61 % de ces lieux dédiés aux gens du voyage - où, rappelons-le, il nous est imposé de stationner et de payer un loyer - ont un environnement dégradé ou sont soumis à des nuisances environnementales et industrielles.
En somme, je vous propose d’explorer un système d’encampement moderne, de relégation ethnique, en plein cœur de l’Europe, en France, pays « phare » des droits humains.
En la plaçant le plus loin possible de la ville (plus loin c’est la Suisse), les pouvoirs publics se sont certainement dit qu’il manquait quelque chose sans une station d’épuration à proximité.
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Littéralement au milieu de nulle part, je vous propose cet espace envahi de poussière, puisqu’ici on s’est dit qu’il serait certainement agréable d’implanter une aire d’accueil dans une carrière.
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Isolée en zone industrielle, à 30 minutes à pied du centre ville, mais pas de craintes, il est toujours possible de s’évader par l’esprit grâce aux 186 000 avions annuels qui atterrissent et décollent de l’aéroport de Genève, à tout juste 200 mètres.
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Difficile de faire plus isolée, l’aire fait face à une centrale électrique et est littéralement située sous les lignes hautes tension. Une bonne illustration de la différence entre « accueil » et « hospitalité ».
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Les pouvoirs publics ici se sont dit « faisons d’une pierre, deux coups », et créons aussi dans cet endroit infâme l’aire de grand passage. Ce champ poussiéreux où l’été, en plus de souffrir de la chaleur en raison du manque total d’arbre sur une parcelle de plusieurs hectares, il faut aussi subir l’enfer des lignes haute tension.
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Et si un jour quelqu’un pensait à rappeler aux autorités qu’être catégorisé « gens du voyage » ne signifie pas vouloir vivre proche du chemin de fer ? En attendant ici aussi on a pensé bon situer l’aire loin du centre ville et proche d’une déchetterie.
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Ici il vous faudra 47 minutes à pied pour aller au centre ville, mais seulement 1 minute pour aller sur l’autoroute ou dans la station d’épuration. Les promenades deviennent de véritables expériences sensorielles, bruits et odeurs garanties.
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Le centre ville est à 35 minutes à pied, l’école est à 38 minutes à pied, le commerce alimentaire le plus proche à 30 minutes. L’arrêt de bus ? 35 minutes à pied.
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On imagine déjà la scène au Conseil Municipal. « Oh Jean-Pierre ! On les met où les Gitans là ? Ben dans les bois loin de la ville, et tu me rajoutes des arbres entre la route et l’aire histoire de cacher tout ça ! »
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Comme dit le dicton populaire, « si tu ne trouves pas l’aire d’accueil cherche la déchetterie », l’inverse marche aussi !
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Je vous propose ce superbe lieu à 1h30 de marche du centre ville sans transport en commun. En revanche c’est proche de la station d’épuration, on ne peut pas tout avoir.
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Y écouter la musique, lire un livre tranquillement ou simplement méditer un peu avant le retour de l’école des enfants n’est pas chose simple, il vous faudra faire abstraction des bruits des échangeurs routiers et des avions de chasse de la base aérienne, plus proche voisine.
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Une aire de grand passage sur les voies ferrées, rue du triage, ça ne s’invente pas ! C’est d’ailleurs peut être la meilleur façon de résumer « l’accueil des gens du voyage » : du triage.
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Isolée en zone industrielle, entre un transformateur électrique et les voies TGV, l’aire de la Boisse est un joli outil de relégation.
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Mise à l’écart de la ville, on ne dira trop rien sur l’aire de Bellignat, entourée d’espaces verts et soumise à aucune nuisance particulière, il s’agit là de ce qui se fait de mieux en matière d’encampement dans l’Ain.
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L’aire de Grand passage de Brion n’est pas fonctionnelle toute l’année et c’est tant mieux, car ce n’est pas une vie d’habiter sur l’autoroute.
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Située aux limites communales, la clôture droite de l’aire marque la fin du territoire de Trévoux.
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Tout au sud de la ville, ici aussi on joue avec les frontières communales, mais il faut bien le dire, même si elle est sommaire, l’aire est assez proche de la ville et loin de toute nuisance et ça c’est déjà une bonne chose.
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À l’Est de la ville, en zone commerciale, l’aire d’accueil a des voisins !
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Sans parler des exploitations agricoles et de l’usine de béton toute proche, l’aire de Péronnas est circulaire, ce qui est un véritable élément d’inconfort. L’impression d’être entassés les uns sur les autres se renforce avec celle d’y être observé quelque soit l’angle. Aucune intimité n’est possible dans de tel lieu. L’impression d’être parqué hors de la ville ne peut pas être plus forte.
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Exclusion, y a-t-il un autre mot qui vous vienne à l’esprit ?
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Station d’épuration, usine chimique, exploitation agricole, loin de la ville, toutes les cases sont cochées.
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La petite dernière, à la sortie de la ville.
↬ William Acker