Vivre et travailler dans un espace pollué, à Marikina dans le Grand Manille

#Philippines #environnement #toxicité #Embodied_Ecologies #travail #anthropologie

29 mars 2025

 

PROJET « EMBODIED ECOLOGIES » : RETOUR À LA TABLE DES MATIÈRES
 
Quand nous avons commencé à travailler avec les communautés de Marikina, une municipalité du Grand Manille aux Philippines, nous sommes arrivés avec l’idée préconçue que les espaces du domicile et du travail étaient complètement séparés. Mais le travail sur le terrain nous a fait découvrir une réalité bien différente.

Avec l’usage de la cartographie sensorielle comme méthode de recherche en anthropologie, ous exposons dans ce texte les méthodes d’observation et de collecte des données que nous avons mises en œuvre pour caractériser ce lieu singulier — un atelier de fabrication de chaussures — où les espaces de travail et les espaces de vie se confondent.

par Precious Angelica Echague

Anthropologue, chercheur, projet Embodied Ecologies

 

Coordination éditoriale : Denice Salvation, Francesca Maurizio & Philippe Rekacewicz

 

Ce texte est issu du cadre du projet Embodied Ecologies mené par l’Université de Wageningen, une grande enquête collaborative qui explore la manière dont les gens perçoivent et ressentent l’exposition aux produits toxiques avec lesquels leurs corps interagissent au quotidien. l’objectif est aussi de comprendre quelles stratégies et solutions peuvent être mises en œuvre pour en minimiser les effets.


Reynaldo, 49 ans, propriétaire d’un pagawaan (atelier de cordonnerie), est également le patriarche de la maison située au-dessus de leur atelier. Lors de nos entretiens, il a qualifié le deuxième étage du bâtiment de « pinaka-bahay », ce qui signifie littéralement « maison principale », sous-entendant que le pagawaan situé au dessous est également leur maison. Mais lorsque je l’ai interrogé sur les implications sanitaires de la fabrication de chaussures sur les deux niveaux de la structure, il m’a répondu qu’à l’étage ça allait à peu près bien, mais que le pagawaan en dessous avait du « rugby » (terme désignant la colle industrielle), et que ce n’était vraiment pas bon pour sa santé.

John Ruskin (1891, cité dans Kaika, 2004) définit la « vraie nature de la maison » comme étant séparée de l’« anomie », (dans ce cas, le fait qu’il n’y a pas de séparation clairement établie entre l’espace de vie et l’espace de travail). Alors pourquoi Reynaldo considère-t-il que le pagawaan fait partie intégrante du foyer familial alors qu’il sait très bien que l’air ambiant est très mauvais pour la santé de sa famille ? Dans ces quartiers de Marikina qui regorgent de petits ateliers, je pensais que les délimitations entre les espaces privés et les espaces de travail étaient clairement établis, mais sur le terrain, je me suis rendue compte que les usages de ces espaces étaient plus complexes et imbriqués, et cela a brouillé ce que je croyais être les frontières supposées du travail et de la vie privée.

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Deux mag-aareglos (confectionneurs de vêtements), la sukatera (traceuse de patrons) et la mananahi (couturière) au travail dans le pagawaan de Reynaldo.
Photo : Precious Angelica Echague, 2023.

Dans ma recherche ethnographique, j’ai cherché à savoir comment Reynaldo et d’autres cordonniers de la communauté naviguent entre espaces domestiques et espace de travail, et comment ils et elles s’accommodent (ou pas) de la toxicité, en particulier de l’utilisation de la colle industrielle.

Cette recherche fait partie du projet de recherche international multi-sites Embodied Ecologies (Écologies incarnées), qui nous a amenées à nous intéresser aux expériences sensorielles liées à l’exposition aux produits chimiques. Cela nous a conduit à produire des cartographies créatives et sensibles pour essayer de représenter ces expositions, puis ultérieurement, de réfléchir sur les modes d’action possibles que les communautés peuvent mettre en œuvre (Mandler et al., 2025). Cet article détaille comment la cartographie nous a aidé à figurer comment les familles conçoivent et pratiquent les espaces du domicile et ceux du travail, étroitement interconnectés et caractérisés par un haut niveau de toxicité, principalement dû à la colle industrielle.

Ressentir le lieu

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Cartes sensorielles préliminaires de la ville de Marikina, issues du travail de terrain réalisé en 2023.
Map : P.A. Echague, 2023.

Nous avons tout d’abord travaillé sur les sites de nos terrains de recherche en nous concentrant sur nos perceptions, en « utilisant nos corps » pour identifier les zones d’intérêt. Selon Mandler et al., les communautés confrontées à la pollution peuvent percevoir la toxicité de « manière intuitive et sensorielle » (2025). S’appuyant sur Grandia, il explique que ces corps peuvent nous donner un aperçu des différents types de toxicité aujourd’hui présents sur la planète (2021, cité dans Mandler et al., 2025). En prêtant une attention particulière à nos sens, nous avons déambulé dans différents quartiers de Marikina, et nous avons pris note de tout ce que nous avons ressenti, senti et perçu dans l’environnement que nous avons parcouru.

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Cartes sensorielles préliminaires des pagawaans initialement visités, issues du travail de terrain mené en 2023.
Map : P.A. Echague, 2023.

Nous avons parfois été guidées par les membres d’une organisation locale de femmes, qui nous ont indiqué les lieux d’intérêt et nous présentaient de possibles interlocuteurices. Lors de ces déambulations, nous nous sommes particulièrement intéressées à la fabrication artisanale des chaussures, intriguées par la très forte odeur de la colle alors que nous passions devant une maison où la famille au complet était en train de coller des semelles de chaussures.

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Une carte réflexive illustrant la disposition du premier étage de l’immeuble de Reynaldo abritant le pagawaan et une maison d’ouvrier à côté, montrant les chevauchements des espaces de vie et de travail et les différentes odeurs des matériaux de cordonnerie présents.
Map : P.A. Echague, 2024.

Les premières fois que nous sommes entrées dans des pagawaans, j’ai été littéralement prise à la gorge par la forte odeur de la colle et des produits chimiques utilisés par les travailleuses et les travailleurs. L’intensité de cette odeur variait en fonction de l’endroit où on se trouvait dans la pièce, de la ventilation et des activités en cours. J’ai tout de suite compris que cette situation pouvait poser de graves problèmes de santé, sentiment renforcé par les récits de celles et ceux qui travaillaient dans ces petites pièces et qui décrivaient la pénibilité et l’inconfort généré par la présence et l’utilisation des solvants. J’ai donc cherché à savoir comment les travailleuses et travailleurs percevaient leurs lieux de vie et de travail, en dialogue avec elles et eux pour obtenir des informations et des données, que j’ai ensuite utilisées pour créer une cartographie sensible. À ma grande surprise, personne n’a exprimé de réelles inquiétudes sur l’espace de travail à proprement parlé. Elles et ils disaient souvent « okay lang (ça va) » ou « sanay na (on est habitué) ».

Cordonnerie à Dolores St.

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Plan d’une partie de la ruelle, post-traité, basé sur le travail de terrain effectué en 2023 et 2024. Carte : P.A. Echague, 2024.
Map : P.A. Echague, 2024.

Le pagawaan de Reynaldo est constituté de plusieurs petits ateliers le long de Dolores Street (ce n’est pas le vrai nom). Dans cette ruelle de la « capitale de la chaussure aux Philippines », le pagawaan de Reynaldo se trouve dans un quartier résidentiel, pris en sandwich entre des immeubles avec peu ou pas d’espace entre les structures voisines. Le pagawaan principal et sa résidence se trouvent dans un bâtiment en béton de deux étages situé près de la route principale ; s’y trouve également un bâtiment de trois étages dans la même allée, à une courte distance de l’atelier principal. Dans ce nouveau bâtiment, il y a un logement et un espace de travail pour l’une des familles de ses cordonnieres ; ce bâtiment dispose également d’un logement locatif pour une autre famille de la ruelle. En outre, Reynaldo loue un bâtiment d’une pièce à son frère dans une rue voisine, pour que deux de ses cordonnieres puissent y travailler.

Reynaldo offre des emplois informels à ses voisines ainsi qu’aux travailleureuses des rues voisines. Une journée de travail typique au pagawaan commence à 9 heures du matin et se termine généralement à 18 heures. L’atelier étant situé à proximité de leur domicile, elles et ils viennent souvent travailler dans leur pambahay ou dans les vêtements de tous les jours, les mêmes que ceux portés à la maison. Si certaines travailleureuses mangent avec leur famille à la maison pendant les pauses, d’autres choisissent de manger au pagawaan pour maximiser leur productivité, en particulier lorsqu’ils et elles ont des commandes urgentes. Après leur service, certaines mag-aareglos poursuivent leur travail à domicile.

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Nanet colle des chaussures à l’extérieur de sa maison et du pagawaan, photo prise par l’auteur dans son atelier de fortune. Photo : P.A. Echague, 2023.
Photo : P.A. Echague, 2023.

Pour les mères, travailler au pagawaan permet de gagner de l’argent tout en restant près de chez elles. Nanet, 47 ans, la voisine de Reynaldo, a insisté sur cette flexibilité lorsqu’on l’a interrogée sur son expérience de travail dans le pagawaan, situé juste à côté de sa maison. Elle explique :

Travailler dans le pagawaan me convient, car c’est flexible. Je n’ai pas besoin de me rendre ailleurs. C’est juste là, devant notre maison. À midi, quand il fait chaud, je rentre à l’intérieur pour me reposer, parce que je me suis levée très tôt pour préparer mes enfants pour aller à l’école. »

 
Maayos naman kasi kahit papaano, hawak ko ‘yung oras ko, kapag medyo pagod ako, nakakapagpahinga ako kasi malapit lang. Di na ako babiyahe o kung saan man. Malapit lang diyan lang sa labas namin. ‘Pag tanghali, papasok talaga ako sa loob at magpapahinga kasi mainit at ang aga ko gumising para [maghanda] para sa aking mga papasok [na anak at asawa]. Kaya maayos naman sa pakiramdam kasi hawak ko ang oras ko. »

Les travailleureuses sont payées à la pièce et peuvent adapter leurs horaires de travail en fonction de leur disponibilité. Les mag-aareglos qui travaillent pour Reynaldo gagnent généralement entre 18 et 20 PHP par paire de chaussures (entre 0,29 et 0,32 euro), soit des revenus hebdomadaires d’environ 1 800 à 2 000 PHP (entre 29 et 32 euros). Les sapateros (hommes cordonniers), quant à eux, gagnent beaucoup plus, avec des rémunérations hebdomadaires allant de 2 500 à 3 500 PHP (entre 40 et 56 euros), selon le volume de leur production. Le système de rémunération à la pièce offre une certaine flexibilité et, selon Reynaldo, ils et elles peuvent considérer leur travail comme un « libangan » (une activité de loisir), en travaillant quand iels le peuvent, plutôt qu’en respectant strictement un horaire fixe. Comme iels sont payées à la pièce, iels peuvent également gagner plus lorsqu’iels consacrent plus d’heures à leur travail.

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Le mananahi coud des pièces de cuir.
Photo P.A. Echague, 2023.

Pour Reynaldo, Nanet et les autres cordonnieres de l’allée, la fabrication de chaussures est une activité profondément ancrée dans leur vie quotidienne : Kumbaga lifestyle na ’to eh (la cordonnerie est un mode de vie, pour ainsi dire) », a déclaré Reynaldo lors de notre entretien. Il ajoute :

Mas malala pa nga nung dati dahil paghakbang mo sa kabila, gawaan ulet. Paghakbang mo, gawaan ulet. Lifestyle na ’to kaya lahat nga ng kabataan dito, ’yan ang natutunang trabaho.

En fait, c’était plus sérieux avant parce que lorsque vous passez de l’autre côté, il y a un pagawaan - et à quelques pas, il y a à nouveau un pagawaan. C’est un mode de vie. C’est pourquoi celleux qui ont grandi ici ont appris la cordonnerie.

Cartographie des espaces flous

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Carte sensorielle de Nanet, issue du travail de terrain réalisé en 2023. Carte : Nanet, 2023.

Le degré d’intégration de la cordonnerie dans la communauté se voit bien dans les cartes sensorielles que nous avons co-créées avec les résidentes. Lorsque j’ai essayé de comparer leurs perceptions de l’espace domestique et de leur lieu de travail, j’ai pensé qu’il y aurait une grande différence, et à ma grande surprise, le ressenti entre les deux espaces était quasi identique.

Bien qu’il y ait des espaces dédiés à la cordonnerie, Nanet préfère travailler à l’extérieur. Elle s’assoit juste devant l’entrée de leur maison à deux étages, qui fait environ 20 mètres carrés, et dont les murs sont communs avec son lieu de travail. Comme Nanet partage sa maison avec sa famille élargie, iels doivent tenir compte des autres dans quand ils et elles utilisent l’espace et qu’ils et elles mènent des activités dans la maison, y compris dans l’allée qu’iels partagent avec d’autres voisines. Parfois, lorsque Nanet travaille à l’extérieur, son fils de 15 ans fait ses devoirs sur un banc à côté d’elle, et iels déjeunent dans son espace de travail. Le seul moment où elle choisit de travailler à l’intérieur de la maison, c’est lorsqu’il pleut.

Lorsque j’ai demandé à Nanet d’indiquer ce qu’elle sent ou ressent (pakiramdam) dans leur maison et dans son espace de travail à l’extérieur, elle a exprimé des sentiments positifs pour ce qui concerne (1) leur cuisine en bas, où sa mère dort également, et (2) leur chambre à l’étage, qu’elle partage avec son mari et ses trois enfants - dont deux sont au lycée et un à l’école élémentaire. Elle a expliqué que c’est dans ces espaces qu’elle peut tisser des liens avec sa famille. Elle a néanmoins indiqué que ces espaces, en particulier leur chambre, sont très exigus ; c’est le seul sentiment négatif qu’elle a marquée dans ses cartes sensorielles. Elle a exprimé des sentiments neutres, tels que « okay lang » et « sanay na », à l’égard de son espace de travail à l’extérieur, mais préfère y travailler parce que c’est « mahangin » (venteux).

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Cartes sensorielles de Nanet (à droite) et de Reynaldo (à gauche), post-traitées, issues du travail de terrain réalisé en 2023. Carte réalisée par : P.A. Echague, 2024.

D’autre part, les cartes sensorielles de Reynaldo indiquent des sentiments de satisfaction et de bien-être dans les espaces de travail et de vie, même s’il reconnaît qu’il y a des produits chimiques nocifs. Lorsqu’il a cartographié sa maison à l’étage et le pagawaan, il a placé un visage souriant sur les deux étages, mais le sourire était plus grand sur sa résidence principale à l’étage, leur maison « principale », parce que, selon lui, il s’y sent plus à l’aise que dans le pagawaan : c’est son lieu de repos.

En examinant les cartes sensorielles de Nanet et Reynaldo et en étudiant leurs sentiments à l’égard des espaces domestiques et professionnels, je me suis rendue compte que ces espaces s’entremêlaient, brouillant les frontières de ce que je supposais être des espaces distincts. La fabrication de chaussures fait en effet partie de leur mode de vie, et l’exposition à des produits chimiques industriels tels que la colle est une obligation quotidienne désagréable (mais nécessaire).

Cartographie des corps

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Cartes corporelles préliminaires dessinées par nos interlocuteurices à partir de 2023.

Des études montrent que ces colles industrielles contiennent des substances dangereuses, telles que le benzène et le toluène, qui ont été liées à de graves problèmes de santé publique. Aux Philippines, le toluène a également été classé comme substance dangereuse (Azari et al., 2012 ; De la Torre et al., 2009 ; Markkanen et al. 2009). Pour cette raison, j’ai demandé à mes interlocuteurices quels étaient les effets de ces adhésifs sur les cordonnieres, sachant qu’iels y sont exposées quotidiennement. Aucun d’entre elleux n’a déclaré avoir eu de réactions nocives en travaillant dans le pagawaan. Inspirée de la cartographie de la santé au travail, une méthode développée par Shadaan (2023) qui consiste à créer des cartes corporelles pour montrer les risques professionnels, j’ai essayé de représenter ce que ces colles industrielles peuvent faire au corps.

Tina, 51 ans, la sukatera (traceuse de motifs) du pagawaan de Reynaldo, et Nanet ont toutes deux fait état de douleurs et de gênes liées aux longues heures de travail dans l’atelier, outre les soins apportés à leur famille. Leurs récits donnent un aperçu de la nocivité possible des adhésifs. « Pag nagkakaksabay-sabay [ang pagpahid], amoy na amoy na (lorsque le collage se fait simultanément, l’odeur devient vraiment intense) », explique Tina. Cependant, elle le minimise, car sa santé se détériore déjà du fait de l’âge. Elle s’arrête donc de travailler et sort jusqu’à ce que les mag-aareglos aient fini d’appliquer la colle.

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Cartes corporelles de Tina (à gauche) et de Nanet (à droite), post-traitées, issues du travail de terrain réalisé en 2023 et 2024. Carte réalisée par : P.A. Echague, 2024.

Les cartes corporelles ont montré d’autres problèmes significatifs pour les travailleureuses, comme par exemple les longues heures de travail. Cette méthode leur a également permis de parler plus ouvertement de leurs expériences et d’autres problèmes de santé. Par exemple, j’ai appris que la tuberculose était l’une des principales inquiétude des travailleureuses. Les questions approfondies posées au cours des séances de cartographie ont également révélé que les travailleureuses sont conscientes des possibles effets néfastes des adhésifs.

S’il est admis que les produits chimiques industriels utilisés dans les pagawaan peuvent être nocifs, cet aspect n’a pas été mis en évidence dans les cartes corporelles et aucun des participantes n’a manifesté d’inquiétude quant à son exposition à ces produits. Et même si les travailleureuses ont d’autres problèmes de santé plus urgents, ils et elles ne les associent pas forcément aux effets de l’exposition aux produits chimiques, comme par exemple la tuberculose. Iels expliquent qu’iels sont déjà habituées à la colle.

Épilogue

En écoutant les récits de vie et de travail à Dolores Street, j’ai souvent entendu dire que les cordonnieres sont déjà « sanay » (accoutumées) à la cordonnerie et à tout ce qui en découle. Ce point a été soulevé lors des sessions de cartographie. J’ai alors commencé à considérer la colle comme un élément du quotidien, désagréable mais nécessaire.

Considérer la colle comme faisant partie du quotidien de la communauté, sanayan (être habituée à), c’est une réponse adaptative au travail avec des produits chimiques toxiques. Il montre que les cordonnieres sont familiarisées avec les produits chimiques qu’ils et elles utilisent. Si certaines spécialistes estiment que la maison doit être un espace séparé de l’atelier réputé "dangereux" pour la santé, ce n’est pas le cas de ce groupe de cordonnieres qui vivent en symbiose dans les effluves de colle depuis leur enfance.

En utilisant la cartographie participative et sensorielle comme méthode ethnographique, avec les participantes, nous avons pu produire des récits qui m’ont beaucoup appris, qui ont révélé des aspects de leur vie que je ne soupçonnais pas. En tant qu’observatrice extérieure, la participation de mes interlocuteurices au processus de cartographie m’a permis de prendre conscience de leur « vision du monde », tout en exposant les réalités géopolitiques, sociales et même économiques (Rekacewicz, 2021).

Dans les petits ateliers de cordonnerie à domicile, où l’on est exposé à des produits chimiques industriels plusieurs heures par jour, on ne sait pas exactement ce qu’il y a dans l’air et à quel point cela peut affecter les personnes qui le respirent. La détection et la mise en évidence de ces sens ont permis de comprendre comment les cordonnieres vivent avec ces colles et ces solvants, et de poser d’autres questions les concernant, en mettant en avant des « données vérifiées sur le terrain » (Palis, 2022) et des « connaissances et épistémologies marginalisées » (Mandler et al., 2025).

↬ Precious Angelica Echague.

References :

  • Azari, Mansour R., Vajihe Hosseini, Mohammad Javad Jafari, Hamid Soori, Parisa Asadi, and Seid Mohammad Ali Mousavion. 2012. « Evaluation of Occupational Exposure of Shoe Makers to Benzene and Toluene Compounds in Shoe Manufacturing Workshops in East Tehran ». Tanaffos 11, no. 4 : 43–49.
  • De la Torre, A. J., Niña G. Sumacot-Abenoja, and Wenna Berondo. May 2009. « Rugby : Cheap High for City’s Street Kids (Last of Two Parts) ». The Philippine Star.
  • Kaika, Maria. 2004. City of Flows : Modernity, Nature, and the City. Routledge, London.
  • Kaika, Maria. 2004. « Interrogating the Geographies of the Familiar : Domesticating Nature and Constructing the Autonomy of the Modern Home ». International Journal of Urban and Regional Research 28, no. 2 : 265–86.
  • Mandler, Tait, Mariana Rios Sandoval, Michael Lim Tan, and Anita Hardon. Embodied Ecologies : How We Sense, Know and Act to Reduce Cumulative Chemical Exposures in Our Everyday Lives. Medicine Anthropology Theory (forthcoming).
  • Markkanen, Pia, Charles Levenstein, Robert Forrant, and John Wooding. 2017. Shoes, Glues and Homework : Dangerous Work in the Global Footwear Industry. Routledge, London.
  • Palis, Joseph. 2022. « Geonarratives and Countermapped Storytelling ». In The Routledge Handbook of Global Development, 700–712 ,London.
  • Rekacewicz, Philippe. « Radical Cartography » In Shifts in Mapping : Maps as a Tool of Knowledge edited by Christine Schranz, 209-232, Transcript Verlag, 2021.
  • Shadaan, Reena. 2023. Healthier Nail Salons : From Feminized to Collective Responsibilities of Care. Environmental Justice 16, no. 1 : 62–71.