À Terni, un quartier dédié aux femmes

#toponymie #odonymie #femmes #Terni #Italie

15 septembre 2020

 

Texte : Cristina Del Biaggio

Géographe,
Université Grenoble Alpes et Laboratoire Pacte

Photos : Alberto Campi

Photojournaliste,
membre du collectif de journalistes indépendants We Report

Au cours de l’été 2020, nous avons été amenées, le photographe Alberto Campi et moi-même, à parcourir la région des Apennins, de Milan à Naples. La ville de Terni, située à une centaine de kilomètres au nord de Rome, a été l’une de nos étapes parmi celles qui nous ont le plus marqué.

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Je tenais à voir le lieu ou fût jadis implantée l’usine de jute, là où travaillaient les fières ouvrières évoquées dans Cinturini, un chant que nous avons au répertoire de notre chorale « Hauts les chœurs » :

Nous sommes de Cinturini
Laissez-nous passer
Nous sommes belles et sympathiques
Nous nous faisons respecter. »

De cette mémoire ouvrière ne reste que la villa du patron, aujourd’hui transformée en restaurant. En lieu et place de la fabrique, on trouve une pinède aménagée, qui porte le nom de famille du propriétaire de l’usine : Pineta Centurini.

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Photo : Alberto Campi, août 2020.

Terni recèle une grande richesse toponymique, que l’on découvre avec bonheur au détour de ses ruelles. Et si le chant Cinturini a été écrit au nom des femmes et pour les femmes, la ville abrite, elle, un quartier entier dont les rues sont dédiées à des personnalités féminines...

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Alors que nous cheminons dans les rues étroites, nous découvrons, presque par hasard, dans une petite librairie, un livre qui raconte cette histoire : Nera Nahar. Segni, sguardi, parole al femminile della città di Terni (Nera Nahar [1]. Signes, regards, paroles au féminin de la ville de Terni). Le livre a été édité par Luana Conti et publié par la bibliothèque municipale de la ville de Terni en 2017.

Un chapitre entier est dédié à la toponymie (p. 190-247), dont une partie consacrée aux « profils de femmes dans les jardins de la ville ». On y parle aussi du « Village Matteotti ». Légèrement excentré, surnommé le « quartier des femmes », ce lieu occupe une place importante dans le livre, en particulier parce que son histoire a été assez mouvementée. En 1976, son « paysage odonymique » féminin se matérialise...

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Photo : Alberto Campi, août 2020.
Le quartier Matteotti
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Photo : Alberto Campi, août 2020.
Le quartier Matteotti

Le livre nous guide à travers ce quartier étonnant dont il raconte l’histoire en nous expliquant les choix toponymiques qui le caractérisent.

Matteotti était un quartier populaire pendant la période fasciste. Appelé « Quartiere Italo Balbo », du nom d’un ministre de l’aéronautique, également gouverneur de la Libye italienne de 1926 à 1940, il se transforme radicalement dans les années 1970 avec le projet mené par l’architecte Giancarlo De Carlo, en partie fondé sur des approches participatives.

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En 1976, le quartier prend le nom de « Quartier des femmes ». Ce choix toponymique des administrateurs est jugé courageux par Luana Conti. C’est en fait, grâce à l’initiative de quelques femmes, dont Anna Lizzi Custodi, qui a donné son nom à un parc, que fut repensée l’odonymie du quartier. Les rues, nommées jusque-là de manière totalement désincarnée et technique, devenaient ainsi le symbole d’un projet et d’un combat féministe et politique. Par ces noms de femmes célèbres, italiennes et étrangères, qui s’étaient distinguées en politique, en médecine ou dans les arts, les rues « première », « deuxième », « troisième » ... jusqu’à la « douzième », obtenaient soudain une identité.

Ces femmes pionnières, qui ont réussi, il y a quelques décennies, à imposer une toponymie féministe dans ce quartier, ont aussi été une belle source d’inspiration pour un collectif - « Toponomastica femminile », présent sur Facebook - qui, aujourd’hui, poursuit ce combat en essayant de promouvoir la toponymie féminine et la visibilité des femmes dans l’espace public et dans le langage.

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En 2014, le collectif s’est constitué en association et a désormais son site web et publie, depuis 2019, la revue hebdomadaire « Vitamine Vaganti ». « Toponomastica femminile » a, comme le rappelle Luana Conti, conduit un recensement national qui a permis de chiffrer les inégalités de genre dans la dénomination des rues : en Italie, les rues dédiées aux femmes ne représentent que 3 à 5% de l’ensemble des voies. De plus, la plupart de ces noms sont ceux de saintes ou d’autres figures religieuses...

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Dans ce contexte des années 1970, mettre des femmes à l’honneur et leur dédier tout un quartier, représente une initiative unique et visionnaire.

Rendre visibles ces douze femmes, choisies pour ce qu’elles ont apporté à la société, en rappelant leur nom et leurs œuvres, c’est faire acte de mémoire et contribuer à l’évolution de l’imaginaire collectif.


 Sibilla Aleramo (1876-1960) : il s’agit du pseudonyme de l’écrivaine Rina Faccio qui a écrit, en 1906, le livre Una donna, un appel féministe contre le patriarcat.

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 Argentina Altobelli (1866-1942) : syndicaliste, elle est la première femme à devenir secrétaire de la Fédération nationale des travailleurs de la terre en Italie. Elle revendique l’égalité de salaires entre les femmes et les hommes, ainsi que le droit de vote pour les femmes.

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 Irma Bandiera (1915-1944) : partisane, elle est torturée et tuée par les nazis.

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 Carlotta Clerici (1850-1924) : elle est éducatrice, féministe, enseignante et directrice d’école. Elle œuvre pour l’éducation et la formation professionnelle des jeunes et des orphelins.

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 Marie Curie (1867-1934) : la célèbre chimiste et physicienne française d’origine polonaise a reçu, en 1903, le prix Nobel de physique, avec son mari Pierre Curie et Antoine Henri Becquerel, puis, en 1911, le prix Nobel de chimie.

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 Anna Kuliscioff (1857-1925) : devenue médecin pour soigner gratuitement les pauvres, elle se bat pour l’égalité entre les hommes et les femmes, « car le travail n’a pas de sexe ». Elle fonde, avec son mari, Filippo Turati, le journal Critica sociale, premier journal du socialisme marxiste italien.

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 Linda Malnati (1855-1921) : maîtresse d’école, elle lutte pour le droit de vote des femmes.

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 Maria Montessori (1870-1952) : pédagogue, philosophe, médecin, scientifique et éducatrice, elle est connue pour l’approche éducative qui porte son nom, la méthode Montessori.

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 Anna Maria Mozzoni (1837-1920) : féministe, elle fonde la Lega promotrice degli interessi femminili. Elle s’est battue pour le droit de vote des femmes et le droit aux études.

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 Maddalena Patrizi (1866-1945) : l’écrivaine et fondatrice de l’Œuvre nationale de secours mutuel pour les jeunes ouvrières a été présidente de l’Union des femmes catholiques.

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 Virginia Visetti (1919-1944) : partisane, elle est fusillée par les nazis.

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 Clara Zetkin (1857-1933) : cette révolutionnaire communiste allemande est une figure leader du mouvement ouvrier en Europe et une grande théoricienne de l’émancipation féminine.

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À ces douze rues qui portent des noms de femmes célèbres et moins célèbres ne manque qu’une rue pour mettre une date à l’honneur : le 8 mars.

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Photo : Alberto Campi, août 2020.

↬ Cristina Del Biaggio

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