C’est par l’éparpillement de Roms fixés depuis des siècles mais gardant des liens forts de visite entre eux - préfigurant ainsi le monde moderne - que la frontière est mise en échec [...] et que l’expérience millénaire des Roms montre comment gérer, sans continuité territoriale, un patrimoine culturel et éthique transversal bien vivant, cela en pleine loyauté vis-à-vis de ces communautés que [...] les frontières découpent - souvent avec hésitations, ratés et gâchis - dans la continuité européenne. »
Marcel Courthiade, Frontières, images de vies entre les lignes, catalogue de l’exposition « Frontières », Museum de Lyon, 2006.
Une couleur pour un peuple uni mais très diversifié, dispersé dans une multitude de pays : le peuple rom regroupe notamment les Roms, les Manouches (Sintés) et les Gitans (Kalés), et ne réclame aucun territoire en particulier, puisque les Tsiganes sont de droit des ressortissants comme les autres dans leurs pays respectifs. Leurs revendications ne portent pas sur l’espace, mais sur le droit et la justice.
Le peuple rom est intégré dans la mosaïque des peuples européens et souhaite « s’inscrire dans une dynamique progressiste, orientée vers l’intégration sociale, l’égalité des droits, le refus de l’exclusion et le respect mutuel de toutes les identités représentées en Europe » (extrait du projet de charte publié par l’Union romani internationale).
Pourtant…
Les Roms ne cessent d’être discriminés, stigmatisés, rejetés. Souvent brutalement, comme en Bulgarie, en Roumanie, en France, en Slovaquie ou encore en Hongrie.
2010 et 2011 : le gouvernement français accuse les « gens du voyage » de ne « pas respecter les lois de la République ». Mais la République, par les politiques de ses représentants élus, n’applique pas les lois et ne remplit que très rarement ses obligations à l’égard de cette population. Harcèlements, humiliations et expulsions se multiplient.
Juillet 2002 : déjà, au Sénat, le débat sur la loi Sarkozy fait rage, des élus reprennent en chœur les discours ouvertement racistes et « romophobes ».
On a parlé des gens du voyage ! C’est le fléau de demain. (…) Ils vont nous poser d’énormes problèmes (...). Ce sont des gens asociaux, aprivatifs (sic), qui n’ont aucune référence et pour lesquels les mots que nous employons n’ont pas de signification. [Bravo et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE (Rassemblement démocratique et social européen). »
Cette élégante envolée d’un sénateur UMP d’Indre-et-Loire, Dominique Leclerc, ne lui vaudra même pas d’être inquiété pour injure raciste. (Propos repris d’un article de Caroline Damiens, « Sarkozy, les médias et l’invention de la “mafia roumaine” », paru en avril 2005, et dont il ne faut surtout pas manquer la lecture (précipitez-vous sur la première et la deuxième partie).
Depuis 2002, l’État français tente de criminaliser les Roms (bulgares et roumains) pour pouvoir mieux les expulser. Alors que, pour les citoyens européens « reconnus », les frontières disparaissent, pour les Roms, dont les droits les plus élémentaires sont sans cesse niés, la fracture Schengen reste un authentique cauchemar.
La propension de certains politiciens et médias à fustiger les quelque 10 000 Roms bulgares et roumains installés en France ne doit pas faire oublier qu’environ 400 000 Tsiganes français (Manouches et Gitans) vivent tranquillement dans l’Hexagone depuis plus de six siècles sans que jamais aucun média ait jugé utile de braquer les projecteurs sur eux...
Cette carte est une version mise à jour en 2011 de celle présentée originalement en 2006 dans l’exposition « Frontières » au musée Confluence de Lyon, puis au Mans lors des « carrefours de la pensée » de 2007, dans les locaux de l’université du Maine dans une autre exposition dont le titre était « Frontières, migrants et réfugiés ». Ce qui est cocasse dans l’histoire de l’élaboration, et de la présentation de cette carte, c’est que cette première version avait aussi été censurée par les responsables de l’exposition du musée de Lyon, qui avaient jugé « insultant » de rappeler au public que ces propos romophobes...
Comment se fait-il que l’on voit dans ces campements de si belles voitures alors que si peu travaillent ? »
... avaient été publiquement prononcés par un certain « Nicolas Sarkozy » [1]. Et la direction du musée de m’enjoindre de remplacer « Nicolas Sarkozy » par « un ministre de la République française ». Nicolas Sarkozy était aussi cité sous la carte dans une narration que nous avions appelée « Cinq événements pris au hasard dans la vie des Roms d’Europe ». Dans la version finale, « Nicolas Sarkozy » avait été remplacé par un majestueux « La France ».
C’était en 2006 et j’avais accepté tout en ressentant une immense colère intérieure. Et avec le recul, je me dis que j’aurais dû refuser, et retirer l’ensemble des huit cartes présentées dans cette exposition.
Je publie ici les deux versions de la carte :
1. Carte initiale non-censurée
2. Version de la carte censurée par le Musée Confluence et finalement présentée dans l’exposition (2006).
3. La carte (non-censurée) a aussi été publiée par la Tageszeitung (TaZ) à Berlin :
Texte finalement publié en accompagnement de la carte de la dispersion du peuple rom en Europe exposée au Centre du patrimoine arménien de Valence en 2011 et 2012.
On considère que l’exil du peuple rom (ou rrom) débuterait au nord de l’Inde autour de l’an 1000. En quelques siècles, ils vont s’installer sur l’ensemble des empires, royaumes et principautés d’Europe. Ils sont divisés en plusieurs sous-groupes culturels : on parlera de Rom (principalement à l’est de l’Europe), de Sinté (en Allemagne, France, Italie), de Kalé (surtout dans la péninsule ibérique et au sud de la France). En fonction des lieux d’installation, ils sont désignés ou vont se dénommer par des terminologies aussi bien endonymes (Manouches, Romanichels) qu’exonymes (Bohémiens, Tsiganes, Gitans).
Une partie des Roms s’installe à l’ouest de l’Europe à partir du 15e siècle (Sinté et Kalé). D’autres issus du sous-groupe rom, venus d’Europe de l’Est, immigrent vers l’Europe de l’Ouest entre la fin du 19e et le début du 20e siècle. Enfin, une autre immigration vers l’Europe de l’Ouest, s’engage au cours des Trente Glorieuses, une immigration de main-d’œuvre qui s’intensifie avec l’effondrement du bloc de l’Est en 1989.
En France, les termes administratifs « Nomades » puis « Gens du voyage » ont été successivement créés par la République française qui ne reconnait pas le principe des minorités. Avec l’harmonisation européenne, la France accorde désormais ce statut aux ressortissants de l’Union européenne sans résidence fixe, Roumains et Bulgares exceptés.
La sédentarisation de cette minorité amène beaucoup d’entre eux à ne plus recourir à ce statut contraignant : localisations déplorables et nombre insuffisant des aires d’accueil dédiées, droit de vote accordé seulement après trois ans de domiciliation sur la même commune. L’utilisation abusive de ce terme « Gens du voyage » pour parler des citoyens français issus de cette minorité, et plus largement des Roms migrants, reste fréquente.
Depuis son arrivée en Europe, le peuple rom a régulièrement fait l’objet de persécutions : décrets ordonnant leur expulsion hors des royaumes, réduction en esclavage en Roumanie jusqu’au 19e siècle, internement, déportation voire extermination pendant la Seconde Guerre mondiale.
Depuis 1989, la dislocation du bloc de l’Est et la reconstruction de nouvelles bases politiques, économiques et culturelles de ces Etats indépendants vont laisser cette minorité en marge du destin national. Les Roms font partie des ressortissants les plus touchés par les restructurations économiques engagées dans ces pays. Ils subissent un racisme allant de la discrimination au travail jusqu’aux pogroms.
Présents dans l’ensemble des pays Européens, les Roms ont su entretenir certains aspects de leur culture. Ils constituent aujourd’hui la première minorité culturelle européenne. On estime leur nombre à environ 10 millions. La majorité vit en Europe de l’Est. S’ils représentent environ 0,5% des Français, en Roumanie cette minorité représente presque 10% de la population.
Malgré une migration ancienne sur l’ensemble du continent, le peuple rom continue d’être le grand oublié de l’Europe y compris dans les plus anciens pays de l’Union européenne.
Benjamin Vanderlick .