Partition cartovidéographique

#musique #improvisation #cartographie #cartographie_sensible

30 mai 2022

 

Explorations visuelles et sonores autour d’un méridien

Fondation Camargo, Cassis, 9 avril 2022.

Captation et montage : Philippe Festou.

Lorsqu’une pianiste — Hélène Pereira — rencontre un historien de la cartographie — Jean-Luc Arnaud —, tout peut arriver. Elle, spécialiste de musique de création, écrit et interprète des partitions graphiques ; lui, directeur de recherches au CNRS, développe depuis plusieurs années une activité de plasticien relative à la monstration des documents cartographiques. Se proposant de considérer les cartes comme des partitions graphiques, le duo a fait le pari de les interpréter au piano. Les premiers résultats de leur collaboration ont été présentés à la fondation Camargo à Cassis le 9 avril dernier dans le cadre d’une performance de sortie de résidence. En une quarantaine de minutes et trois séquences, iels ont combiné voix, piano et cartographie suivant un triptyque dont la cartographie constitue le centre. Une expérience inédite positionnée entre approche sensible et médiation scientifique.

Plutôt que de sélectionner des documents à la faveur de leurs connaissances ou de leurs trouvailles, nos hôtes ont proposé un voyage autour du monde composé à partir des particularités géographiques du lieu de leur performance. Pour la fondation Camargo, leur choix s’est porté sur un itinéraire de 40 000 kilomètres – un méridien ? – passant à la fois par Cassis et par Saint-Paul au Minnesota, lieu de naissance de Jérôme Hill, fondateur de Camargo. Ce cercle était matérialisé dans la salle de concert par une ligne tracée au sol – donc à l’échelle un – entre une porte située à 7 362 kilomètres de Saint-Paul et une fenêtre. Notre voyage a commencé en franchissant cette porte en direction de Marseille puis de la Bretagne ; après avoir fait le tour du monde – et aussi franchi 24 heures –, nous sommes revenus par la fenêtre. Le pari n’était pas gagné ; les partitions musicales sont codées suivant un mode séquentiel – entre un début et une fin, comme les textes – tandis que les cartes, au même titre que les partitions graphiques, sont des figures synoptiques dont l’organisation ne comporte pas d’indication quant à la conduite de leur investigation. C’est donc un jeu sur le temps, son déroulement et son écriture qui a été proposé au public.

Après une première partie au cours de laquelle Jean-Luc Arnaud a présenté le travail en cours, ses enjeux et le programme de la soirée, la séquence principale a été partagée en sept étapes correspondant à autant de documents cartographiques, anciens ou récents, manuscrits ou imprimés, topographiques ou thématiques et à diverses échelles. Ces documents ont été présentés en vidéoprojection. Plutôt que d’afficher des images fixes qui n’auraient pas permis de découvrir toutes les subtilités de leur rédaction, le pari était de faire varier la focale d’observation. À travers une centaine d’images, fixes ou survolées, tirées de reproductions en haute résolution, nous avons ainsi pu entrer dans les détails et découvrir un univers particulièrement riche – depuis des manuscrits français de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à une image satellite de l’île Caroline en passant par une taille douce gravée au début du XIXe siècle. Ce faisant, la musicienne et le géographe ont transformé une série de documents synoptiques en un déroulé dans le temps, une sorte de film. À ce titre, on peut oser l’expression partition cartovidéographique.

Pendant qu’Hélène Pereira improvisait à la fois au clavier et dans les cordes du grand piano Steinway de la fondation, Jean-Luc Arnaud énonçait des textes construits à partir des mentions portées sur les documents. Il a ainsi égrené la légende d’une carte géologique, déclamé la liste des activités économiques de Sacramento et dit des vers composés de noms d’îles du Pacifique.

Pour la dernière étape, nous avons fait des détours à travers un florilège d’une centaine de documents cartographiques. Organisés sur la base d’une progression de leurs couleurs, ils ont défilé en quelques minutes sur une musique répétitive rythmée par un accelerando fulgurant, tel le bouquet final d’un feu d’artifice.

Le pari a été tenu grâce à la mise en scène adoptée pour l’exposition des documents graphiques et aux propositions musicales magnifiquement interprétées par la pianiste. Après cette première présentation publique, les deux protagonistes s’orientent vers un travail plus approfondi sur la relation entre images cartographiques et partitions graphiques, sur les modalités de passage entre des documents synoptiques et une monstration nécessairement séquentielle et enfin vers une diversification des références pour la voix, par la mobilisation de poésie topographique en particulier.

↬ Pierre Dudésert