L’adoption de ce traité en 2017 par les Nations unies valut à la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN) le prix Nobel de la paix la même année. Cependant, aucun des États disposant de l’arme nucléaire ne figurait parmi les 122 pays signataires.
Neuf États détiennent en effet un stock important d’armes nucléaires dans différentes bases militaires ou à bord d’avions et de sous-marins et se tiennent prêts à les expédier à tout moment à l’un ou l’autre bout de la planète. Il s’agit de la Russie, des États-Unis, de la France, la Chine, le Royaume-Uni, le Pakistan et l’Inde, et enfin Israël et la Corée du Nord. Ces États voyous étant, pour les cinq premiers, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, ils feront front commun pour se maintenir dans l’illégalité, sans envisager de sortie du nucléaire militaire. C’est en tout cas ce qu’indique le fait que la part (énorme !) du budget national consacrée à l’entretien et au renouvellement de ces armes et au personnel qui leur est affecté ne diminue pas, et la mollesse du débat public sur ce sujet.
Autant dire que le traité risque de ne pas suffire à lui seul à faire reculer la menace d’éradication de l’espèce humaine symbolisée depuis 1947 par l’« horloge de l’Apocalypse ». L’aiguille de cette horloge — imaginée par la Federation of American Scientists (FAS), une association fondée en 1946 au lendemain des bombardements de Hiroshima et de Nagasaki — s’est encore rapprochée, au début de l’année 2020, de la position « minuit », l’heure de la fin du monde.
Si toute information précise relève du secret militaire, c’est dans le Bulletin of the Atomic Scientists, une revue scientifique émanant de la FAS, que l’on trouve les chiffres sans doute les plus sûrs concernant le nombre de missiles (« ogives » ou « têtes ») nucléaires prêts à servir [1], et leur localisation dans le monde. Du moins, pour ceux qui se trouvent sur le sol des bases militaires, car il est par définition impossible de savoir où précisément se cachent les sous-marins et avions bombardiers qui sillonnent l’ensemble des océans, mers et airs de l’hémisphère Nord (au moins), et représentent la menace la plus sérieuse [2]. Par exemple, la France fait patrouiller en permanence un sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) avec à son bord l’équivalent de mille Hiroshima.
Dans “Worldwide deployments of nuclear weapons”, dont la dernière version date de 2017, les chercheurs américains Hans M. Kristensen et Robert S. Norris livraient l’estimation suivante :
Il existe près de 15 000 armes nucléaires dans le monde, réparties sur quelque 107 sites dans 14 pays. Environ 9 400 de ces armes se trouvent dans des arsenaux militaires ; les autres ont été décommissionnées et sont en attente d’être démantelées. Près de 4 000 sont opérationnelles, et environ 1 800 sont en état d’alerte élevé, et prêtes à être utilisées dans de brefs délais. »
Quatorze pays ? En effet, si neuf États possèdent l’arme atomique, les États-Unis en entreposent aussi dans 5 pays « amis » (si l’on peut ainsi parler d’amitié) ; en 2020, ces vassaux du nucléaire américain sont l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et la Turquie. D’autres pays ont pu bénéficier par le passé de ces preuves d’amitié : ainsi, la Corée du Sud.
Au-delà de ces 14 pays, les incertitudes persistent sur les intentions et le statut de l’Iran et de son programme de développement de l’arme atomique. De l’autre côté du Golfe, l’Arabie saoudite pourrait développer ou acquérir également l’arme nucléaire.
L’histoire montre qu’il est possible d’abandonner l’arme « absolue » : l’Afrique du Sud, qui a mené un programme nucléaire militaire dans les années de l’apartheid, avec des complicités multiples (dont celle de la France), y a mis fin en 1991. Quant aux anciens pays de l’Union soviétique qui avaient hérité de missiles (Biélorussie, Kazakhstan, Ukraine), ils les ont détruits ou transférés à la Russie dans le cadre de l’accord de désarmement START-1.
L’accord de réduction des quantités d’armes (« New Start ») actuellement en vigueur entre les États-Unis et la Russie arrive à échéance début 2021 ; les négociations, qui n’ont pas abouti en 2020, devraient reprendre avec la présidence de Joe Biden.