Balkan Road

#Migrations #Asile #Balkans #Ex-Yougoslavie #réfugiés #Route_des_Balkans

16 septembre 2014

 

Balkan Road est un projet mené par le photographe Alberto Campi et la géographe Cristina Del Biaggio. C’est la suite du projet Beyond Evros Wall, réalisé en 2012 sur la région de l’Evros, où la Grèce a construit une barrière frontalière en espérant contenir les migrants et les réfugiés en provenance de Turquie.

Textes d’Alberto Campi et Cristina Del Biaggio

Photographies d’Alberto Campi

Le projet Balkan Road est né d’une envie de comprendre les dynamiques induites par le « piège migratoire grec ». La plupart des migrants qui vivaient en Grèce, ou qui y transitaient, ont été incités à partir, à cause de la crise économique, mais aussi sous les coups violents de la police (opération Xenius Zeus, qualifiée par Amnesty de « désastre humanitaire »), et des attaques racistes perpétrées par des sympathisants du parti d’extrême droite Aube dorée. Les contrôles dans les ports et les aéroports ont été renforcés, et les migrants qui souhaitaient quitter la Grèce ont été obligés de le faire par voie terrestre, en passant par la Macédoine ou l’Albanie, puis le Monténégro ou le Kosovo jusqu’en Serbie.

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Abdul, un réfugié soudanais qui est hébergé dans le centre d’accueil de Tutin, en Serbie, regarde le portrait de Josip Broz Tito, Président de la République fédérale socialiste de Yougoslavie. Le centre d’accueil des réfugiés de Tutin a été installé dans les bâtiments de l’ancien complexe industriel de Dallas, une fabrique de meubles abandonnée en 2009.
Tutin, Serbie, 2014.

Depuis l’édification du mur, d’autres migrants prennent le chemin de la Serbie via la Bulgarie. La Hongrie, sous pression de la Commission européenne, a renforcé les contrôles sur sa frontière méridionale. Ainsi, les migrants sont de plus en plus nombreux à se retrouver bloqués en Serbie, nouvelle « antichambre » de l’Europe.

L’accueil des demandeurs d’asile étant assez favorable (il y avait cinq centres d’accueil en mesure de donner un toit et trois repas journaliers aux migrants ayant déposés une demande, mais après les inondations de juin 2014, un de ces centres a été fermé et n’a pas encore réouvert), les migrants arrivant en Serbie peuvent « reprendre leur souffle » après les expériences traumatisantes vécues en Grèce et en Bulgarie.

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Le parcours migratoire de Palavan : Afghanistan, Pakistan, Iran, Turquie, Grèce pendant un an, Italie, France, Angleterre où il reste sans papiers durant cinq ans, puis retour à Kaboul, Pakistan, Iran, Turquie, Grèce, Italie où il dépose une demande d’asile en 2013.
Trieste, Italie, 2013.

La sélection d’images préparée pour cette exposition montre, d’un côté, l’attente dans l’antichambre serbe et, de l’autre, la survie dans la ville italienne qui se trouve juste à la sortie des Balkans : Trieste.

1 - Une fenêtre sur l’ennui

Mamy est une femme forte, courtoise et bienveillante. D’origine somalienne, maîtrisant parfaitement l’anglais, elle sert de guide et de point de référence pour les réfugiés du camp de Bogovadja en provenance de la Corne de l’Afrique. Sans hésiter, elle a été capable de résoudre, avec calme et gentillesse, les tensions suscités par nos prises de vue dans la cour du centre.

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Mamy, réfugiée somalienne.
Bogovadja, Serbie, 2014.

L’attente occupe une place fondamentale dans la vie des migrants. Les Palestiniens Dalal et Tahir se retrouvent souvent avec Nawan, un Syrien d’origine kurde, sur le balcon du centre d’accueil. Ensemble, ils attendent l’heure du repas, ou l’argent que la famille doit leur envoyer pour payer le passeur qui les amènera à Subotica, la dernière ville serbe avant d’entrer en Hongrie. Ils attendent, en allumant une cigarette ou en buvant un café, le moment opportun de reprendre le chemin vers l’Europe occidentale.

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Dalal et Tahir, réfugiés palestiniens et Nawan, réfugié syrien d’origine kurde.
Bogovadja, Serbie, 2014.

Abdul, réfugié soudanais, erre, frigorifié, dans la cour du centre d’accueil, à la recherche de son dernier billet de 200 dinars (environ 1,5 euro), qu’il a par mégarde laissé tomber de sa poche quelques minutes auparavant.

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Abdul, réfugié soudanais
Tutin, Serbie, 2014.

Moustafa, d’origine irakienne, est informaticien et bodybuilder. Il a dû quitter son pays, sa fille et ce qui reste de sa famille après le meurtre de sa femme, pendue parce qu’elle était chrétienne, et l’incendie de sa maison. Il est en route pour la Suède, le pays qu’il désire rejoindre pour déposer sa demande d’asile, puis entamer une procédure de regroupement familial pour retrouver sa fille.

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Moustafa, réfugié irakien.
Bogovadja, Serbie, 2014.

2 - Du bricolage

La vie en communauté permet à la fois d’économiser de l’argent et de bénéficier de la solidarité. Dans les entrepôts abandonnés de Trieste, les migrants ont construit une grande cuisine capable de fournir des repas à cent cinquante personnes par jour. Les jours de fête, il est possible d’y cuisiner des chappatis en grande quantité ou d’autres mets traditionnels...

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Cuisine communautaire.
Trieste, Italie, 2013.

Les migrants sont des experts du voyage, ils savent conserver leurs biens et soigner leur aspect extérieur avec très peu. Ils ont des astuces pour repasser leurs vêtements par exemple, pour se coiffer et faire briller les cheveux. Ils cachent parfois un petit sachet de lavande avec le linge dans le sac à dos. Un minimum pour conserver leur dignité dans l’errance.

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En sortant de la chambre à coucher.
Trieste, Italie, 2013.

Les vieux entrepôts abandonnés de la zone portuaire proche de la gare ferroviaire de Trieste, en Italie, offrent un refuge aux migrants qui arrivent en ville. Les rafales de Bora, un vent glacial et tempétueux, pénètrent sous les voûtes. Pour se protéger, les migrants construisent des baraques en carton et métal de récupération.

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Le système D pour se réchauffer.
Tutin, Serbie, 2014.

3 - L’âme et le corps

Ali, 21 ans, est un demandeur d’asile originaire du Ghana, accueilli dans le cadre du projet italien SPRAR (Sistema di protezione per richiedenti asilo e rifugiati). Il travaille dans une maroquinerie. Il suit des cours de langue et de culture italiennes. Il prie cinq fois par jour.

Il est passionné de foot, s’entraîne et joue trois fois par semaine. Il dit être un bon joueur et grâce à son talent on l’invite souvent à jouer dans les équipes locales, ce qui lui permet de gagner un peu d’argent.

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Ali, réfugié ghanéen.
Trieste, Italie, 2013.
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Ali.
Trieste, Italie, 2013.

Ali nous montre une image qu’il conserve jalousement dans son
téléphone portable. C’est la photo d’une de ses amies d’enfance
qui est restée au Ghana et qui est devenue institutrice. Il nous dit avec tristesse :

Moi aussi j’aurais pu devenir instituteur, si je n’avais pas quitté le pays.
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Ali, réfugié ghanéen.
Trieste, Italie, 2013.

Depuis des années, la commune de Trieste promet de construire une mosquée pour la communauté musulmane de la ville, mais rien n’a encore été entrepris. Lors des grandes fêtes religieuses, par exemple durant l’Aïd al-Adha, la fête du sacrifice, la communauté loue la salle des sports municipale.

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Salle des sports.
Trieste, Italie, 2013.

4 - La fragilité de l’espoir

Palavan signifie « gros », mais aussi « fort » dans la langue farsi. C’est le surnom de ce jeune homme de 24 ans d’origine afghane, très bon joueur de cricket. Au cours de l’automne 2013, il a construit une balançoire avec un sommier de récupération et un câble d’acier attaché, 10 mètres plus haut, à la voûte d’un entrepôt abandonné ; une sorte de tapis volant qui s’envole au-dessus du refuge fragile et de l’éphémère quotidien des migrants.

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La balançoire de Palavan.
Trieste, Italie, 2013.

Mohammad Gul Naseri, qui porte un t-shirt bordeaux sur cette photo, est un demandeur d’asile afghan de 21 ans. Nous l’avons connu peu de temps après son arrivée à Trieste. Il vivait avec une centaine de réfugiés dans les entrepôts abandonnés du vieux port proche de la gare. Nous avons pris cette photo le soir de leur déménagement vers un nouveau centre situé à Prosecco.

L’association ICS (Ufficio rifugiati onlus) avait alors enfin trouvé un nouvel endroit pour héberger les demandeurs d’asile qu’il fallait accueillir dans un lieu mieux chauffé, à l’approche de l’hiver. Le 12 mars 2014, alors que Gul faisait la queue devant la préfecture pour renouveler son permis de séjour, il a subtilisé un pistolet à un policier et s’est suicidé. Il est mort sur place.

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Mohammad Gul Naseri, réfugié afghan.
Trieste, Italie, 2013.

5 - Le passé en poche

Abdel est un demandeur d’asile soudanais, tranquille et peu bavard. Il sourit timidement. Il a vécu en Grèce pendant six ans et il s’exprime désormais correctement en grec. Pour beaucoup de migrants d’origines très diverses, le grec fait office de lingua franca. Des expressions grecques, comme le gros mot malaka par exemple, évoquent la violence des rues d’Athènes et les expressions associées aux coups de matraque des policiers. Une violence qui les a poussés à quitter Athènes et à reprendre la route.

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Abdel, réfugié soudanais
Obrenovac, Serbie, 2014.

Abdel travaillait en Grèce, près de Kalamata, dans une exploitation agricole ; ses employeurs étaient très corrects avec lui. Son départ du Soudan lui avait permis de retrouver, enfin, un peu de sérénité, et il était satisfait de sa vie. Quand il évoque son travail dans les oliveraies, il a les larmes aux yeux. Pour que nous comprenions bien ses émotions, il nous montre des photos qu’il a sauvegardées dans son téléphone portable : son chien, ses collègues, son employeur, sa maison. Il ne voulait pas « reprendre la route ».

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Abdel, réfugié soudanais
Obrenovac, Serbie, 2014.

Abdel feuillette devant nous cette collection d’images qu’il garde précieusement sur lui. Il n’a pas uniquement les selfies qu’il pourra publier sur les réseaux sociaux ou envoyer à ses amis et parents, mais aussi de nombreuses images prises pour ne pas oublier son voyage, avec un sens esthétique prononcé. Il nous montre ici une photo prise en Serbie, c’est le portrait d’un jeune garçon transportant un énorme tronc d’arbre sur son vélo. Abdel nous dit que lui aussi déplaçait de grandes quantités de bois pour l’entreprise grecque dans laquelle il travaillait. Mais à Kalamata, ils avaient un tracteur, nous confie-t-il. Ils n’étaient pas pauvres comme en Serbie !

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En Serbie, un jeune garçon transporte un tronc d’arbre sur son vélo.
Obrenovac, Serbie, 2014.

6 - À l’ombre des murs

Yuba est Algérien d’origine berbère. Nous l’avons connu dans le centre d’accueil de Banja Koviljača. Il a quitté son pays pour éviter le service militaire. Beaucoup de jeunes Algériens fuient comme lui leur pays pour la même raison. Nous avons parlé de son voyage, de son aventure, de littérature et de politique, de notre vision du monde et des frontières. Lui aussi a franchi la frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie, où nous nous trouvions en 2012 pour le projet Beyond Evros Wall. Lui, il est passé au-dessus du mur. On peut encore voir les traces et les cicatrices des barbelés sur ses mains. Mais Yuba veut voyager, découvrir le monde, lire, étudier et être libre de se déplacer là où il veut. La Serbie n’est qu’une étape de sa longue aventure.

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Yuba, réfugié algérien.
Banja Koviljača, Serbie, 2014.

Mahdi a vingt ans. Il est Nigérian. Il est perdu. Il est bloqué dans le centre d’accueil de Sjenica, au milieu des montagnes serbes. Pour arriver en Serbie depuis la Grèce, il est passé par l’Albanie et le Monténégro. Il n’a plus un sou et, à Sjenica, ce n’est pas facile d’en gagner. Il survit, il est frigorifié, dépaysé, il traîne entre la chambrée enfumée et le hall de l’Hôtel Berlin, lieu d’accueil pour requérants d’asile. Sjenica est une petite ville dont les habitants sont majoritairement musulmans. La mosquée se trouve à quelques pas de l’hôtel. Mahdi n’a plus rien, il n’a ni l’envie ni les moyens de continuer le voyage. Il nous parle de son village, où il fait toujours chaud, de sa famille…

Il maudit le jour où son cousin, qui travaille en Italie, l’a incité à venir le rejoindre. Il voudrait juste rentrer chez lui, mais sa famille ne sait pas qu’il est coincé, quelque part entre le cauchemar grec et le rêve italien.

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Mahdi, réfugié nigérian.
Sjenica, Serbie, 2014.

7 - Nouer des liens

Les frères Kemo et Mahmoud voyagent avec leur mère et leur autre petit frère. Leur père se trouve déjà en Allemagne. Ils ont quitté Bassora il y a quelques mois. C’est une famille aisée, et leur situation économique les met dans une position socialement ambiguë à l’intérieur du centre. L’argent rend le voyage plus rapide, mais ceci ne modifie en rien la condition précaire qu’ils partagent avec tous les autres migrants.

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Kemo et Mahmoud, réfugiés irakiens.
Obrenovac, Serbie, 2014.

Jamal est Nigérian. Il a vingt ans. Il vit dans le centre d’accueil de Tutin. Comme les autres demandeurs d’asile, il a été bien accueilli par les habitants de la petite ville à majorité musulmane. Dans la vallée, sa couleur le rend exotique ; il attire la curiosité. Les filles s’approchent de lui, les enfants lui sourient dans la rue, les adultes le saluent en le regardant. S’il n’a pas d’argent, un café dans le bar du centre ou une cigarette lui sont toujours offerts.

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Jamal, réfugié nigérian.
Tutin, Serbie, 2014.

Gulchì a trois ans. Elle court et joue avec sa sœur ainée et son petit frère surnommé « Iphone » à cause de l’assonance avec son vrai nom, Ifar. Dans le centre d’accueil de Banja Koviljača il y avait, au moment de notre visite, trois enfants, trois petits coquins, câlinés par tout le monde.

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Gulchi a trois ans.
Banja Koviljača, Serbie, 2014.

8 - L’amour aussi

Karim est un Pakistanais de trente ans. Dans le centre d’accueil d’Obrenovac, il fait office de médiateur de la communauté pakistanaise et sert de bras droit au directeur. Il est gentil et toujours prêt à résoudre les problèmes qui surgissent parfois entre les différentes communautés. Il y dort depuis son ouverture 6 mois auparavant. Cette photographie est la première que nous ayons prise de lui, peu après notre rencontre, mais il n’a pas voulu que nous immortalisions son visage. Puis nous sommes devenus amis. Il nous a accordé sa confiance et laissé prendre d’autres portraits de lui, avec son visage, en nous donnant l’autorisation de les utiliser. Toutefois nous avons décidé de publier celle-ci, pour le message d’amour...

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Karim, réfugié pakistanais.
Obrenovac, Serbie, 2014.

Raha est une jeune somalienne très réservée, qui passe ses journées dans sa chambre avec son smartphone. Nous avons vécu environ trois semaines dans le centre où elle a été accueillie, mais nous ne l’avons rencontrée qu’à la fin de notre séjour à Obrenovac. La veille de notre départ, Karim nous avait pris à part. Son regard était radieux. Il nous avait demandé de le suivre dans le hall de l’hôtel car il avait besoin d’un service. Il nous a alors présenté à Raha. Ils s’étaient fiancés le jour d’avant, et il voulait que nous les prenions en photo.

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Raha, réfugiée somalienne.
Obrenovac, Serbie, 2014.

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