« Refuges éphémères, lieux transformés » est un projet en cours qui aborde la présence problématique des campements urbains d’exilé
es apparus à Paris et dans sa banlieue depuis 2015.En mêlant des images photographiques à des témoignages écrits et des cartes dessinées, l’intention était de porter un regard sensible sur les dimensions multiples de ces lieux ordinaires.
Depuis 2019, à la manière d’une enquête menée dans le temps et dans l’espace, ce projet s’est tout d’abord appliqué à photographier ce que sont devenus les lieux des anciens camps de réfugié
es. En réalité, c’est un travail d’observation mené dans chaque lieu, sur une longue durée, qui a toujours commencé à la suite de l’évacuation des réfugié es. Dès lors, ils sont devenus des « lieux aux multiples enjeux ».Ces espaces de facto délaissés, qui n’intéressaient personne après avoir été occupés un court laps de temps par les réfugié
es, ont été interdit d’accès, ou ont subi des transformations radicales pour être réinvestis par une toute autre population.Les photos se concentrent sur des traces, certes discrètes, laissées dans ces espaces publics à la suite des interventions des autorités de l’État (mais aussi parfois d’entreprises privées). C’est ainsi que les images photographiques s’articulent autour de trois grandes catégories :
- les zones interdites
- les lieux transformés
- les espaces qui portent encore des traces mnémoniques de la solidarité citoyenne.
Ces lieux révèlent aussi, en quelque sorte, l’évolution (ou la mutation) de cette « frontière » particulière, et laissent entrevoir comment de nouvelles frontières sont tracées à l’intérieur de la capitale. Ces frontières apparaissent là où l’espace public disparaît pour laisser la place (ou s’enchevêtrer par l’action du pouvoir) à un autre espace « politisé ».
En effet, ici, le pouvoir définit l’espace en le limitant, en le fermant et en le transformant. C’est ainsi que s’inspirant de la carte officielle de Paris, les cartes dessinées à la main questionnent la ville et matérialisent par le trait ces lieux où des exilé
es ont trouvé refuge.La présence éphémère des réfugié
es a conduit certain es habitant es des quartiers à faire l’expérience d’une forme de solidarité, voire de mobilisations politiques. Les témoignages et les récits récoltés relatent alors une expérience, une rencontre ou un souvenir vécu dans un campement.Je suis finalement retourné à Paris, au pont de Stains. J’ai à nouveau vécu dans une tente, mais heureusement à Paris il y avait suffisamment à manger, car différentes associations nous venaient en aide. Je leur en suis vraiment reconnaissant et les remercie du fond du cœur. Pendant 11 mois je n’ai reçu aucune aide financière de l’État ou du bureau de l’immigration. Imaginez la situation que j’ai dû endurer pendant toute cette période, et les jours difficiles que j’ai passés.
Raconter par écrit cet épisode amer de ma vie ne fut pas pour moi une chose facile. Je l’ai fait les mains tremblantes et les yeux remplis de larmes afin que tout le monde sache ce que moi et d’autres ont dû endurer pendant des jours, des mois, et des années mêmes, alors que notre seul crime était de risquer d’être tué si nous retournions dans notre pays. Je tiens à remercier toutes les personnes et les associations qui, dans le contexte difficile du Covid, nous sont venues en aide, et qui m’ont rappelé que l’humanité existe encore, même si de très nombreuses personnes ne font preuve d’aucune pitié.
Je suis ce rossignol sans refuge
Je suis loin de ma patrie dans un pays étranger
Je suis cet exilé sans toit
Je suis ce vagabond autour du monde »Extrait du témoignage de Hasib Hàshemi, 20 février 2021, à Paris
(texte traduit du dari)Post scriptum : Plus de 1000 réfugié
es ont été évacué es du Pont de Stains à l’été 2020. Mais ce lieu demeure un point de repère pour les exilé es. À l’hiver 2022, suite à l’aménagement d’une piste cyclable et d’un espace vert, une partie du lieu a été débarrassée des grilles qui avaient été mises en place après l’évacuation du campement.
↬ Bahar Majdzadeh
Vous pouvez retrouver Bahar Majdzadeh dans cette petite vidéo où elle expose l’essentiel du projet Refuges éphémères, lieux transformés - 2019-2023