L’auteur nous explique sa démarche à l’exemple d’une carte de la culture céréalière au Tchad :
Pour une bonne compréhension de cette cartographie générale il aurait fallu que j’y joigne les cartes détaillant toutes les autres cultures pratiquées car, selon les techniques d’assolement, une plante est souvent associée à d’autres dans un même espace agricole qui constitue le terroir. Il faudrait aussi ajouter les cartes spécifiques des cultures concernant les pays limitrophes (Cameroun, Soudan, Centrafrique) pour en avoir une vision d’ensemble.
Mon projet initial est de créer des planisphères thématiques de grand format. Ces planisphères détailleraient les différentes pratiques sociales et techniques culturales agricoles, l’évolution des enjeux économiques et commerciaux tels l’homogénéisation des produits marchands, la disparition ou la persistance des variétés, des espèces, des espaces naturels et des traditions paysannes, ceci pour chacune des plantes cultivées dans le monde.
Voici une carte récente (2018-2020) à l’échelle 1:3 000 000, elle montre les cultures du mil à chandelle ou mil pénicillaire ou mil perle (Pennisetum glaucum) et de l’éleusine (Eleusine coracana) dans les diverses régions agro-climatiques et humaines du Tchad méridional où leur culture constitue la base alimentaire des populations.
Je travaille généralement sur un format A4 papier et je dessine sur un fond cartographique afin qu’il soit le plus expressif et d’une ressemblance proche de la « réalité naturelle ». Mes outils sont principalement le crayon, le stylo, le feutre.
Pour une meilleure lisibilité du sujet, j’ai épuré cette carte des informations classiques telles que certaines limites administratives et la toponymie qui s’y rattache, mais en étant conscient que la dénomination et le tracé d’un lieu est souvent le cadre politique par lequel l’ordre économique libéral ou la domination coloniale, par exemple, s’instaure et en représente le « fond de carte idéologique ». C’est à cet égard que j’emploie certains termes vernaculaires pour l’appellation d’une plante, d’une technique, d’un groupe humain. Ainsi on remarquera que la zone singularisant la culture particulière du mil de champs de case sur sols fumés « kraal » pratiquée en pays Fulbe-Fufuldé (Peul) se trouve à cheval sur l’une de ces frontières entre le nord du Cameroun et le sud-ouest du Tchad.
Ces cartes reposent évidement sur un important travail de documentation principalement sur Internet : consultation des sites des organisations internationales et gouvernementales (ONU, FAO, ministère du développement rural et de l’agriculture), des organismes de recherche (CIRAD, programme PROTA), des bibliothèques ouvertes (National Academies pour « Lost crops of Africa », Purdue university pour « Center for new crops », GRIN pour les informations taxinomiques), des atlas (Atlas du lac Tchad 2015), des rapports et autres thèses en ligne.
Ces cartes font partie d’un ensemble bien plus conséquent sur la même région, représentant la culture des sorghos et autres céréales, des différentes tubercules, graines oléagineuses, légumineuses, fruits... soit de toutes les plantes cultivées dans les systèmes agricoles sahéliens, soudanais et guinéens du Cap Vert à la mer Rouge, du Sahara au golfe de Guinée.
C’est cet ensemble multiple et complexe que j’essaie de rapporter dans mes cartes dessinées.
↬ Gilles Stanghellini