Khayelitsha, dans la banlieue du Cap (Afrique du Sud). Le « nouveau foyer » créé dans les années 1980 par le régime d’apartheid aligne ses rangées de petites maisons. À Khayelitsha comme un peu partout autour du Cap, dans les dunes qui font face à la plage de False Bay, dans les espaces vierges entre l’autoroute et les quartiers construits, dans les jardins et les arrière-cours, des logements informels, des bidonvilles continuent d’accueillir les flots de migrants venus, pour la plupart, du Nord de la province, ou du Cap oriental, la province voisine. Pour ces ruraux exilés — dont certains parfois installés à « Khaya » depuis des dizaines d’années —, la survie est un combat quotidien.
Après vingt ans de politique néolibérale menée au plan national par l’ANC (la province du Cap Occidental est gouvernée par un autre parti, l’Alliance démocratique DA), personne ne croit plus à l’avenir solidaire que pouvait promettre la démocratie si chèrement obtenue. Mais la mémoire de la lutte anti-apartheid n’est pas effacée, et les habitants exigent encore un minimum de considération de la part des services municipaux et provinciaux (lire Ruth T. Massey, « Cape Town’s informal settlements the same, despite facelift », GroundUp, 5 juin).
Au nom de la justice sociale, une association s’est créée pour mettre en évidence certaines carences dans les services publics, posant une question simple : pourquoi la ville dépense-t-elle plus dans les endroits où les besoins sont les moins élevés ? La Social Justice Coalition (SJC) a pu mettre en évidence, au fil des années, le fonctionnement calamiteux des services de police dans les quartiers pauvres (les refus d’enregistrement de plaintes pour viol, l’absence d’enquêtes sur les vols, les meurtres, etc.) ; l’absence d’éclairage nocturne des routes, qui accroît le risque d’accident mortel pour les piétons ; le ramassage aléatoires des poubelles…
La « guerre des toilettes » est l’un de ces sujets de consternation : depuis des années les résidents demandent qu’on supprime l’infâme « système du seau » (bucket system), des toilettes sèches ramassées très aléatoirement, qui véhiculent miasmes et maladies jusque dans les crèches pour enfants… La ville fait aussi régulièrement des effets d’annonce, clame vouloir remplacer les toilettes par des systèmes plus sains, et rejette sur les résidents la responsabilité des déprédations qui les rendent inutilisables. Entre agitations et manipulations, sur le terrain médiatique comme politique, les habitants doivent affronter les inondations d’eau souillée. Ils attendent toujours des résultats concrets.
Sur ce terrain de contestation, l’information est l’arme de choix. C’est la raison d’être de GroundUp, un journal en ligne d’information communautaire fondé par des membres de SJC et d’autres associations militantes. Leur objectif : faire travailler et former des journalistes issus des bidonvilles, qui seront capables de faire émerger les nouvelles qui comptent aux yeux des résidents. Une démarche — lire « About GroundUp » — que Visionscarto entend soutenir à travers son site et de futurs projets.
Nous publions ci-dessous deux essais photographiques de Masixole Feni, jeune photographe issu de Mfuleni, une township située juste au nord de Khayelitsha, sur les difficultés quotidiennes. Et un reportage photo d’Armand Hough sur les inondations de la fin mai 2014.
↬ Philippe Rivière.
Références :
– GroundUp
– “La guerre des toilettes”, par Maxisole Feni
– “L’eau potable, un effort quotidien” (M. F.)
– “Orages de mai 2014”, par Armand Hough
– Le tabou des excréments, péril sanitaire et écologique, par Maggie Black, Le Monde diplomatique, janvier 2010
– Petite géographie des toilettes, Philippe Rekacewicz, Le Monde diplomatique, janvier 2010 (carte)