Prologue
Les nombreux toponymes français (Butte, Des Moines, Eau Claire, Terre Haute, Bâton Rouge) témoignent de la présence française séculaire sur le territoire des États-Unis d’aujourd’hui. Mais si les « coureurs des bois » français (c’est ainsi qu’on appelait les aventuriers, chasseurs et commerçants de fourrures de la Nouvelle-France, l’actuelle province de Québec) ont sillonné une grande partie du territoire au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, ils n’ont laissé que peu de traces linguistiques, à l’exception de ces toponymes.
Comme le montre la figure ci-dessus, les principales communautés francophones des États-Unis actuelles, relativement unies, se sont développées à partir de deux établissements d’origine : la Nouvelle-France et l’Acadie (aujourd’hui Nouvelle-Écosse et Nouveau-Brunswick). Première colonie française en Amérique du Nord dès 1604, la communauté acadienne d’origine, qui comptait 14 000 personnes en 1755, a eu, sur l’expansion du Français, une influence bien plus grande que ne l’aurait fait croire son poids démographique relativement faible. Expulsée brutalement de leur terre natale, lors de ce que leurs descendant
es appellent « le grand dérangement », une partie des Acadien nes ont été dispersé dans les territoires environnants. Entre 1760 et 1780, environ 4 000 Acadien nes ont trouvé un refuge permanent en Louisiane qui, à l’époque, est sous domination espagnole.Mais le principal bastion de la francophonie en Amérique du Nord est la Nouvelle-France. C’est depuis les régions de Montréal et de Québec que sont lancées les expéditions vers la région des Grands Lacs, le Pays des Illinois, et les rives du Mississippi jusqu’au golfe du Mexique. Bien que les colons de la première colonie française en Louisiane soient venuXIV toutes les terres irriguées par ses affluents), ils et elles étaient dirigé es par des Canadiens — les frères Le Moyne d’Iberville et de Bienville. C’est aussi du Canada français, sous l’effet de la surpopulation et des difficultés économiques, que sont parti es les courants démographiques qui se sont installés au XIXe et au début du XXe siècles dans le Haut-Midwest et dans les villes textiles de la Nouvelle-Angleterre.
es directement de France, et n’aient pas descendu le Mississippi (comme La Salle lorsqu’il revendiqua pour LouisOutre leur disproportion démographique, trois caractéristiques fondamentales distinguent les communautés hispaniques et francophones aux États-Unis :
- Premièrement, à l’exception de groupes d’expatrié es numériquement faibles vivant principalement à New York, Los Angeles et San Francisco, les communautés francophones ne sont pas renouvelées constamment par un flux d’immigrant es. Il existe certes d’importantes diasporas haïtiennes à Boston, dans la région de New York et dans le sud de la Floride, totalisant près d’un million de personnes et renforcées par de nouveaux et nouvelles arrivant es (Zéphir, 2005). Mais la plupart de ces immigrant es, en particulier celles et ceux qui viennent d’arriver, sont des locuteurs et locutrices primaires du créole haïtien. Comme le souligne Zéphir, au sein de la diaspora haïtienne le français sert d’indicateur d’un statut social plus élevé, alors que le créole haïtien fonctionne comme un marqueur ethnique qui distingue les Haïtiens des Afro-Américains ;
- Deuxièmement, le Français Standard et les variétés vernaculaires autochtones sont dans une relation conflictuelle qui pèse négativement sur la pérennité de ces variétés ;
- Troisièmement, pour les communautés francophones autochtones, leur variété de Français n’assume plus un rôle fonctionnel, mais remplit principalement un rôle emblématique de symbole d’une identité ethnique qui distingue les membres de ces communautés des Américain es ordinaires.
Ce texte invite à une présentation générale des communautés francophones aux États-Unis, en mettant l’accent sur les communautés autochtones, c’est-à-dire sur les communautés établies aux XVIIIe et XIXe siècles qui se sont maintenues jusqu’à aujourd’hui. Ces communautés se répartissent en deux catégories :
- d’une part, les communautés franco-américaines et louisianaises, où la transmission intergénérationnelle de la langue vernaculaire locale est encore très limitée, mais où des efforts sont déployés au niveau local pour maintenir et revitaliser ces variétés malgré le passage à l’Anglais et les pressions exercées par le Français Standard introduit par les médias et les écoles ;
- d’autre part, les isolats où la langue vernaculaire locale est moribonde. La section 1 fournit des informations démographiques. La section 2 décrit les différentes communautés. La section 3 traite des aspects du transfert linguistique et de l’attrition linguistique (en d’autres termes, la « perte » de tout ou partie d’une langue chez une personne bilingue) qui affectent les deux types de communautés.
1 – Données démographiques
Les courants migratoires français vers le continent nord-américain ont été faibles. À la fin du XVIIe et au XVIIIe siècles, la politique coloniale française a privilégié les îles de plantation des Caraïbes, avec leur lucratif potentiel de cultures commerciales, par rapport aux « arpents de neige » du Canada, selon l’expression concise de Voltaire. Par exemple, entre 1663 et 1679, seules 2 000 personnes ont émigré en Nouvelle-France (Charbonneau & Guillemette 1994, p.163). Au moment de la conquête de la Nouvelle-France par les Anglais en 1760, la population n’était que de 70 000 habitant es. Cependant, au milieu du XIXe siècle, un taux de natalité élevé (ce que les Canadien nes francophones appellent la revanche des berceaux) a entretenu l’expansion démographique ; la population de l’ancienne Nouvelle-France atteint près d’un million d’habitant es (Thibault 2003, p.899). C’est cette vitalité démographique qui a poussé tous azimuts la migration depuis la province de Québec, comme l’indiquent les flèches de la première figure.
Au début des années 1960, une nouvelle communauté francophone, Floribec, a été établie au nord de Miami par des Québécois
es retraité es qui fuyaient les hivers glacials de leur patrie. Cette communauté d’environ 60 000 retraité es, auxquel les s’ajoutent des immigrant nes haïtien nes, fait de la Floride l’État américain qui compte le plus grand nombre de francophones et de créolophones. Entre 1990 et 2000, le nombre de personnes déclarant utiliser le Français à la maison a chuté d’environ 10%, mais simultanément le nombre de personnes déclarant utiliser le Créole Français s’est accru de 50% (voir la figure ci-dessous).La plupart de ces dernièrXVIIIe siècle. Les recherches menées par Klingler (2003) confirment que cette langue est moribonde. Les deux communautés francophones établies de longue date, la Nouvelle-Angleterre et la Louisiane, affichent un net recul de l’utilisation du Français, tandis que la Californie, la Floride et le Texas enregistrent de légères augmentations.
es sont des locuteurs et locutrices du créole haïtien vivant en Floride, à New York et au Massachusetts. Le chiffre concernant le Créole Français en Louisiane se réfère aux locuteurs et locutrices du créole louisianais, variété indigène existant depuis les premières années du2 – Les communautés francophones vernaculaires
Les bastions de la francophonie américaine : La Louisiane et la Nouvelle-Angleterre
Les bastions de la francophonie aux États-Unis sont : les six États de la Nouvelle-Angleterre avec le nord de l’État de New York, et le sud-ouest de la Louisiane (ce dernier est souvent appelé Acadiana ou Triangle francophone). Ce n’est pas tant en raison de leur prépondérance démographique - ensemble, ils et elles ne représentent qu’environ un quart des locuteurs et locutrices du Français à la maison - que parce qu’ils et elles ont préservé des variétés vernaculaires indigènes de la langue. Dans les deux cas, ces variétés sont en train de s’éroder, principalement en raison du passage à l’Anglais ; elles présentent des contacts et des phénomènes linguistiques détaillés à la section 3.
Nouvelle-Angleterre
On estime que c’est entre 1840 et 1930 que 900 000 immigrant
es du Québec et des Provinces maritimes (Nouvelle-Écosse et Nouveau-Brunswick) ont commencé à affluer en Nouvelle-Angleterre et dans le nord de l’État de New York, attiré es par les besoins en main-d’œuvre des usines textiles et des fabriques de chaussures (Roby 1990). Dans les villes industrielles où ils et elles s’installent, ces francophones forment des communautés très unies et autonomes, appelées Petits Canadas, où l’église catholique et l’école paroissiale offrent un enseignement bilingue. Le lien intime entre le catholicisme et la langue française est symbolisé par la devise « Qui perd sa langue, perd sa foi ». L’usage du Français est favorisé par la création de nombreuses associations : sociétés de secours mutuel, organisations caritatives, clubs artistiques et musicaux, et est renforcé par de nombreux journaux et périodiques. Mais, après 1930, divers mouvements sociaux et évolutions politiques, par exemple l’accès à l’enseignement supérieur des deuxième et troisième générations, et la Seconde Guerre mondiale, ont érodé la relative autosuffisance des communautés franco-américaines et accru la mobilité sociale de leurs membres, qui se sont progressivement assimilé es à la société américaine dominante.Comme le souligne Fox (2007,p.1279), les recherches sur la situation linguistique du Français de la Nouvelle-Angleterre ont été sporadiques et peu approfondies. La plupart des études, à commencer par celle de Sheldon (1887), ont porté sur les emprunts et la prononciation d’un petit nombre de locuteurs et locutrices. Bien que soient apparus à partir des années 1990 des articles reposant sur des bases empiriques plus solides et traitant de questions morphosyntaxiques et lexicales (Fox, 1999 ; Charbonneau, 1997 ; Russo & Roberts, 1999), il n’existe ni description majeure ni documentation de la structure des particularités lexicales des diverses variétés locales de Français de la Nouvelle-Angleterre. Lacunes qui commencent à être comblées par un important projet de collaboration, entrepris par Cynthia Fox de l’Université de l’État de New York à Albany et Jane Smith de l’Université du Maine (Fox & Smith, 2005 ; Fox, 2007). Ces auteurices ont sélectionné huit communautés en Nouvelle-Angleterre, la moitié dans le nord, l’autre moitié dans le sud, qui diffèrent par la proportion de locuteurs et locutrices déclarant une ascendance francophone et l’utilisation du Français à la maison (voir la figure ci-dessous).
Le niveau élevé d’utilisation et de conservation du Français à Van Buren, dans la haute vallée du fleuve Saint-Jean bordant le Nouveau-Brunswick, s’explique par les contacts transfrontaliers constants avec les francophones de cette province canadienne (Price, 2007). Ailleurs, malgré la proportion importante de personnes déclarant une ascendance française, on observe un net recul de l’usage de la langue. Pour Fox et Smith (2005, p.123), deux axes géographiques déterminent la variation du parler de ces communautés du fait des schémas migratoires : un axe nord/sud caractérisé par l’influence de l’Anglais, plus important dans le sud que dans le nord ; un axe est/ouest dans lequel les variétés de l’est sont plus susceptibles de présenter des caractéristiques associées au Français Acadien, comme la palatalisation des plosives vélaires devant les voyelles antérieures.
Les attitudes à l’égard du Français Standard et des variétés locales sont un facteur important de l’utilisation et, en corollaire, du maintien du Français en Nouvelle-Angleterre. Fox (2007) rapporte que certain
es locuteurices sont intimidé es lorsqu’ils et elles sont confronté es au Français Standard, tandis que d’autres sont réticent es à converser avec des interlocuteurices dont ils et elles perçoivent le discours comme marqué par des caractéristiques vernaculaires, comme par exemple l’utilisation de /we/ au lieu de /wa/ dans les pronoms « moi » et « toi » (/mwe/, twe/ à la différence de /mwa, /twa/ dans le Français Standard). Les emprunts et les changements de code sont notamment négativement connotés chez les locuteurs et locutrices qui aspirent, ou s’ingénient, à parler un « meilleur » Français. D’un autre côté, de nombreux et nombreuses locuteurices fluent es ne considèrent pas que ces stratégies affectent la qualité de leur discours, comme le montre l’extrait suivant (Fox 2007, p.1289) :Parfois elle mêlait des mots d’Anglais avec des mots de Français, puis quand j’essayais de la corriger, elle me reprochait : « je parle un aussi bon Français que vous, hein, parce que j’ai étudié avec les Sœurs de la Présentation quand j’étais jeune ».Sometimes she would mix English with French words, and when I tried to correct her, she reproached me : “I speak as good a French as you, you know, because I studied with the sisters of the Presentation Order when I was young.”
Si le Français Standard est privilégié dans la majeure partie de la Nouvelle-Angleterre, dans des régions comme la haute vallée du Saint-Jean, ce sont le Québécois et l’Acadien, utilisés par les médias comme par les Canadien
nes, qui tendent à être préférés (Price, 2007).La Louisiane
La présence française en Louisiane remonte au début du XVIIIe siècle, lorsque le Canadien Lemoyne d’Iberville, parti de France, a établi des colonies d’abord à Mobile (Alabama) et à Biloxi (Mississippi) respectivement en 1799 et 1801, puis à la Nouvelle-Orléans une dizaine d’années plus tard. Ce n’est qu’en 1763, après la cession de la Louisiane par les Français à l’Espagne, que la colonie connaît un accroissement démographique important, avec notamment l’arrivée de réfugié es acadien nes entre 1764 et 1783. Plus tard, en 1809, après que Napoléon a récupéré le territoire et l’a vendu aux États-Unis, arrivent 10 000 réfugié es de Saint-Domingue, dont des esclaves, qui constituent près de 25 % de la population totale.
La situation linguistique du Triangle francophone se caractérise par une relation diglossique avec une hiérarchique complexe entre quatre langues : l’Anglais, langue dominante ; le Français Standard, qui a encore un statut officiel limité ; les variétés vernaculaires autochtones du Français ; et le Créole de Louisianne (Picone & Valdman, 2005), voir figure ci-dessous. On reconnaît généralement trois variétés vernaculaires de Français :
- le Français Colonial, qui a évolué à partir de l’usage fluctuant de la fondation ;
- le Français des Plantations, plus proche du Français Standard, qui reflète le discours des colons qui ont immigré directement de France, attiréXIXe siècle ; es par l’économie florissante de la Louisiane de la première moitié du
- le Français Cajun, le langage évolué des premiers colons acadiennes et accadiens. Les militant es pour la revitalisation et le maintien du Français de Louisiane utilisent le terme français cadien, de préférence à cadjin qui reflète de manière plus transparente la prononciation.
Aujourd’hui, ces trois variétés ne sont ni clairement localisées ni facilement distinguables les unes des autres. Le terme « cajun » est généralement utilisé pour englober les trois, car les caractéristiques qui lui sont associées diffèrent grandement des caractéristiques correspondantes du Français Standard ; il s’agit en outre de la variété la mieux préservée, du fait de l’isolement relatif de ses locuteurs et locutrices d’origine. C’est pour cette raison que je désignerai ces trois variétés globalement comme le Français de Louisiane. Dans les régions où le créole louisianais et le Français de Louisiane coexistent, les locuteurices - blanc
hes et noir es - peuvent fréquemment passer de l’un à l’autre.Sans avoir l’ampleur et la rigueur des études sur le créole louisianais (Neumann 1985 ; Klingler 2003), les descriptions du Français de Louisiane sont plus nombreuses et de meilleure qualité que celles du Français de Nouvelle-Angleterre. Elles sont plus innovantes (Conwell & Juilland, 1963) et plusieurs des études plus récentes dont les bases empiriques sont plus solides (Brown 1988 ; Byers 1988 ; Dubois, 2000 ; Rottet, 2001, 2005) ; les dernières se concentrent sur la question de la perte de la langue. Les ressources lexicales de la langue, décrites pour la première fois dans les années 1930 (Read, 1931 ; Ditchy, 1932), sont aujourd’hui bien documentées par des inventaires de plus en plus complets et respectueux des normes lexicographiques (Daigle, 1984 ; Griolet, 1986, Lavaud-Grassin, 1988, Valdman, et al. ). D’un point de vue structurel, deux variables majeures distinguent les régions colonisées par les Acadien
nes des autres parties du Triangle francophone :- le pronom interrogatif se rapportant aux inanimés : quoi, dont le sens coïncide avec le Quoi tu vois ? du Français Standard (qui signifie « Qui vois-tu ? ») ;
- la terminaison du verbe à la troisième personne du pluriel en -ont au lieu de 0 (zéro) : ils chantont /ʃãt-õ/ au lieu de ils chantent /ʃãt/. Dans la paroisse de Lafourche, dans la zone côtière sud, la fricative vélaire vocale /ʒ/ est remplacée par l’aspirante glottale /h/ : j’ai jamais mangé /he hame mãhe/. Cette particularité locale reflète une origine issue des dialectes régionaux de la province de Saintonge, dans l’ouest de la France.
N’ayant jamais été influencé par le Français du Québec, le Français de Louisiane diffère sensiblement du Français de Nouvelle-Angleterre, tout en partageant cependant des traits survivants du parler exporté aux XVIIe et XVIIIe siècles dans les colonies françaises d’Amérique du Nord et des Caraïbes, notamment la structure périphrastique progressive être après, que l’on retrouve aujourd’hui dans les parlers régionaux Français : je suis après travailler (je suis en train de travailler). (Les équivalents en Français Standard sont entre parenthèses.) Comme le Français de Nouvelle-Angleterre oriental, les arrêts dentaux et vélaires peuvent être palatalisés, comme le montre la prononciation de cadien /kadʒɛ̃/. Dans la région de Ville Platte, dans la partie nord de l’Acadie, /t/ et /d/ sont aspirés devant les voyelles frontales hautes, comme au Québec et dans la plupart des variétés de Français de Nouvelle-Angleterre : tu dis [tsydzi]. Par rapport au Français Standard, le lexique du Français de Louisiane présente des particularités dont certaines sont partagées avec d’autres variétés nord-américaines, par exemple :
catin (poupée ou prostituée),
châssis (fenêtre),
bessons (jumeaux),
char (voiture, auto),
graffigner (égratigner),
et d’autres avec des créoles francophones, notamment le créole haïtien :
chérant (cher),
siau (seau),
quitter (permettre, laisser),
rester (habiter).
La différence la plus frappante entre le Français de Nouvelle-Angleterre et le Français de Louisiane réside dans le niveau d’implication de la communauté dans les initiatives visant à revaloriser et à maintenir les variétés vernaculaires. Après la promulgation de la loi sur l’éducation bilingue en 1967, James Domengeaux, avocat influent de Lafayette et ancien membre du Congrès américain, a persuadé la législature de Louisiane de créer et de financer le Conseil pour le développement du Français en Louisiane (CODOFIL).
Cette institution, dont la devise est Tu sauves la langue, tu sauves la culture, a introduit l’enseignement du Français Standard au niveau élémentaire dans tout l’État. La plupart des instituteurs louisianais ne maîtrisant pas le Français Standard, le CODOFIL a fait venir des instructeurices français es, belges et québécois es, désigné es collectivement sous le nom de « Brigades internationales ». Ce qui a déclenché une réaction des militant es cajuns locaux, qui ne voyaient pas comment une variété importée, non maîtrisée par la plupart franco-louisianais, pouvait faire revivre leur culture. Ils et elles préparèrent du matériel pour l’enseignement du Français de Louisiane (Faulk, 1979 ; Abshire-Fontenot & Barry, 1979) et montrèrent qu’il pouvait être utilisé dans la production de textes littéraires (Gravelles, 1979 ; Ancelet, 1980). À l’exception de Faulk, qui a conçu une orthographe autonome difficile à déchiffrer pour les utilisateurs et utilisatrices du Français Standard, les militant es cajuns ont adhéré à l’orthographe fdu Français Standard, tout en conservant les particularités grammaticales et lexicales locales (Ancelet, 1999).
Des supports pédagogiques pour l’enseignement du Français Standard incorporant des caractéristiques locales ont été conçus pour être utilisés dans les programmes d’immersion, afin de contrer les attitudes négatives encore persistantes chez les locuteurs et locutrices du Français Standard à l’égard de leur langue vernaculaire (Gelhay, 1985). Les activités culturelles et artistiques, en particulier la musique cajun, revêtent une importance particulière pour les efforts de revalorisation et de maintien du Français de Louisiane, certaines parrainées par le CODOFIL dont les responsables sont actuellement des activistes cajuns (Ancelet & LaFleur, 2005).
Comme en Nouvelle-Angleterre, la transmission intergénérationnelle des variétés vernaculaires est faible. Dans une étude menée dans 35 communautés louisianaises où l’on demandait aux sujets la langue qu’ils et elles parlaient le mieux, Trépanier (1993) a constaté que le Français était choisi par 41 % du groupe cible, à savoir les jeunes adultes, contre 92 % pour leurs grands-parents, 84 % pour leurs parents et seulement 3 % pour leurs enfants.
Les isolats francophones
La nature du Français Standard importé en Amérique du Nord aux XVIIe et XVIIIe siècles – le Français colonial – peut se déduire des variétés locales qui ont subi une grave perte concernant le langage à Old Mines (Missouri) et à Red Lake Falls (Minnesota). Une variété apparentée importée de l’îlot de Saint-Barth (une dépendance de la Guadeloupe) à la fin du XIXe siècle existe dans une section du port appelée carénage ou Cha-Cha Frenchtown à Charlotte-Amalie, la ville principale de Saint-Thomas, dans les îles Vierges américaines.
Une variété de Français historiquement distincte du Français colonial a été introduite dans le hameau de Frenchville, au centre de la Pennsylvanie, par des colons venuXIXe siècle. Un autre isolat, Valdese, en Caroline du Nord, présente une variété d’occitan (dialecte du sud de la France), la langue vernaculaire des colons vaudois es originaires de la partie occidentale montagneuse du Piémont, en Italie. Nous présentons ci-dessous une brève caractérisation de la situation linguistique de ces communautés – à l’exception de la langue vernaculaire de Charlotte-Amalie/Cha-Cha Frenchtown, située en dehors de la zone continentale des États-Unis. Son unique description (Highfield, 1979) montre qu’elle ne diffère que légèrement du Français vernaculaire parlé du côté sous le vent de Saint-Barth, d’où sont originaires les habitant es de Cha-Cha Frenchtown [1].
es de l’est de la France au milieu duOld Mines (Vieilles Mines)
Cette communauté située dans le comté de Washington, Missouri, au sud de Saint-Louis, doit son existence à la découverte de plomb au tout début du XVIe siècle. Le développement économique qui s’ensuivit attira une population linguistiquement hétérogène : Canadien nes de Nouvelle-France, colons immigré es directement de France, d’autres de Louisiane, ainsi que des esclaves africain nes de Louisiane ou importé es de Saint-Domingue. S’y ajoutent, plus tard dans le siècle, des habitant es du Pays des Illinois lorsque ce territoire est cédé à l’Angleterre par le traité de Paris (1763), puis repris par des colons belliqueux venu es des colonies américaines. Grâce aux études menées dans les années 1930 (Dorrance, 1935 ; McDermott, 1935 ; Carrière, 1937) et à celle plus récente de Thogmartin (1970, 1979), le Français de Old Mines est bien documenté [2].
Je me suis rendu à Old Mines vers 1980 et j’ai rencontré ce qu’il restait de locuteurs et locutrices, pour la plupart âgé
es de soixante ou soixante-dix ans. Peu d’entre elleux pouvaient être qualifié es de locuteurices fluent es. Dès 1937, Carrière avait constaté une forte attrition linguistique chez les jeunes locuteurices et, quarante ans plus tard, Thogmartin (1970 p.111) observait l’absence de transmission intergénérationnelle. Il a observé que même les locuteurices qualifié es utilisaient davantage l’Anglais que le Français, et que leurs enfants et petits-enfants n’avaient qu’une connaissance restreinte de la langue vernaculaire.Les Red Lake Falls
La présence française dans le Minnesota remonte aux premières explorations de la Nouvelle-France en 1678 par Louis Hennepin, missionnaire belge recollet, et Daniel Greysolon du Luth, en l’honneur duquel a été nommée la ville de Duluth (Creagh, 1988 p.62). La création de la Compagnie du Nord-Ouest pour la traite des fourrures en 1784 a conduit à l’établissement de nombreux postes de traite et à la création de la nation métisse de la rivière Rouge (Papen 2005), composée de Canadien
nes et de métis amérindien nes. Après une première implantation dans le Dakota du Nord, des Canadien nes fondent le village de Saint-Paul, qui devient la capitale du nouvel État du Minnesota en 1858 et dont la devise française L’étoile du Nord témoigne de l’importance de la présence démographique canadienne initiale.La communauté de Red Lake Falls a été fondée au confluent des rivières Red Lake et Clearwater par Pierre Robineau, trappeur métis et négociant en fourrures originaire du Manitoba. Peu après ce premier établissement, de nouveaux et nouvelles arrivant
es francophones de Saint-Paul, de la Nouvelle-Angleterre et de la province de Québec ont fondé sur les rives des deux rivières une douzaine de villages portant des noms français : Gentilly, Riouxville, Rivière Voleuse, Terrebonne, etc. (Benoit, 1988). Benoit (1975) rapporte qu’à Gentilly, les offices catholiques ont été célébrés en Français jusqu’en 1970 et qu’il y a eu une école française dirigée par des religieuses.Mais les données linguistiques actuelles sur la langue vernaculaire de Red Lake Falls sont plutôt rares [3].
Frenchville
Cette commune située dans le comté de Clearfield, au centre de la Pennsylvanie, a été fondée en 1831 par des bûcherons et des agriculteurs originaires des départements de la Haute-Saône, de la Haute-Marne et du Haut-Rhin. En 1970, la population ne comptait plus que 300 personnes (Caujolle, 1972 p.27). Quatre facteurs expliquent la survie de cette communauté pendant près d’un siècle : son isolement géographique, dans une partie de l’État éloignée des grands axes routiers ; son catholicisme, dans une région très majoritairement protestante ; les réseaux sociaux d’immigré
es ayant des liens familiaux forts et partageant le même mode de vie rural ; le taux élevé d’endogamie.Jusqu’en 1960, il existait encore une école locale où l’Anglais était la langue de la classe mais dont l’enseignant était bilingue. Cette école avait succédé à une école paroissiale fondée par des prêtres francophones qui enseignaient en Français (Bullock & Gerfen, 2004). Lors des entretiens que j’ai menés avec Caujolle en 1970, seuls les locuteurices âgé
es de plus de cinquante ans étaient qualifié es de locuteurices courant es. Leurs enfants, dont la plupart avaient épousé des anglophones et avaient quitté Frenchville pour s’élever économiquement et socialement, étaient au mieux des semi-locuteurices.Malheureusement, le matériel recueilli par Caujolle et moi-même n’a jamais été complètement transcrit et publié. Par conséquent, cette variété vernaculaire endogène de Français, d’un grand intérêt potentiel car la seule à ne pas être apparentée aux autres variétés américaines de Français, reste pratiquement non documentée. Deux études récentes ont été menées : la première (Uritescu & Mougeon, 2003) est basée sur deux courts entretiens avec deux octogénaires ; la seconde (Bullock & Gerfen, 2004) repose sur une heure d’enregistrement recueillie auprès de deux frères analphabètes, âgés respectivement de 69 et 72 ans, dont les épouses sont anglophones.
Valdese
La communauté de Valdese, située dans la partie occidentale de la Caroline du Nord, à l’est d’Asheville, a été fondée en 1893 par une vingtaine d’immigrant
es de la province italienne du Piémont (Watts, 1941 1965 ; Pons, 1990). Ces fermiers et fermières étaient les descendant es de groupes protestants vivant dans les régions françaises de langue occitane ou franco-provençale. Victimes de nombreuses persécutions pendant plusieurs siècles, les Vaudois es se sont finalement installé es dans plusieurs vallées du Piémont occidental, qui faisait alors partie du Royaume de Sardaigne et du Duché de Savoie et du Piémont. En 1848, la liberté religieuse leur est accordée, mais les difficultés économiques contraignent de nombreux Vaudois es à émigrer en Argentine et aux États-Unis.Dans les vallées piémontaises, une situation diglossique complexe s’est développée, dans laquelle le dialecte occitan local était dominé à la fois par le Français, la langue des affaires ecclésiastiques et administratives locales, et par l’italien, la langue officielle extérieure. Compte tenu de l’influence centrale de l’Église dans la vie sociale et l’organisation administrative dans les premières années de la communauté vaudoise, les premièr
es colons ont transporté cette diglossie dans leur nouveau pays, à ceci près que l’Anglais a remplacé l’italien.Le Français a continué à être utilisé pour les services religieux jusqu’en 1920, mais a progressivement cédé ce rôle à l’Anglais, tout en conservant son rôle de symbole de l’identité vaudoise jusque dans les années 1960. Lorsque C. Pons (1990), membre de cette communauté, a mené son étude linguistique sur le Valdese, il restait 250 familles vaudoises sur une population totale de 3 000 habitant
es : l’implantation d’usines textiles a entraîné une forte dilution du groupe ethnique d’origine et un passage intensif de la langue à l’Anglais.Un questionnaire sociolinguistique administré par Pons à 72 sujets a révélé que si 76% des personnes interrogées ont indiqué que la langue vernaculaire occitane, appelée lu patua, méritait d’être préservée, seul un peu plus de 1% d’entre elles pensaient qu’elle avait une valeur fonctionnelle. Le Français a également obtenu un score aussi bas que le patua en tant que langue fonctionnelle, mais a été considéré comme la plus belle langue par 48% des sujets, contre 27% pour l’Anglais, 14% pour l’italien et 11% pour le patua [4].
3 – Phénomènes de contact et de perte de langues
Emprunts et calques
Rares sont les locuteurs et locutrices de variétés vernaculaires du Français aux États-Unis qui ne possèdent pas également une compétence en Anglais. Le bilinguisme, qui implique un niveau élevé de contact linguistique, entraîne des emprunts, des calques et des changements de code. Moreau (2000) suggère que, dans une situation bilingue, ces phénomènes peuvent également refléter un choix conscient de la part des locuteurices, analogue au changement de style et de registre. Par exemple, pour un
e locuteurice de Français de Louisiane, l’utilisation de elle est gone à la grocery au lieu de elle est allée à l’épicerie (Français Standard) peut résulter d’un choix conscient ayant une signification sociolinguistique. La période pendant laquelle une forme adoptée depuis la langue dominante est considérée comme externe peut être relativement courte, comme l’atteste l’assimilation grammaticale rapide des emprunts supposés.Par exemple, en Français de Red Lake Falls, les flexions du pluriel des noms et du participe passé des verbes ne sont pas produites oralement : les farms /farm/ plutôt que /farmz/, et self propel plutôt que self propelled. Picone (1996) interprète ces accommodements, qui se traduisent souvent par des formes différant à la fois de la langue externe et de la langue d’origine, comme faisant partie d’un intercode dans lequel les locuteurices bilingues peuvent puiser pour enrichir leur vocabulaire ou opérer des distinctions stylistiques. Par exemple, dans les phrases du Français de Louisiane Ils voulaient checker sur la situation et J’ai drive en ville, les verbes check et drive ne sont pas assimilés au Français Standard (ils voulaient checker et J’ai drivé en ville), mais ne suivent pas non plus la forme anglaise correcte (ils voulaient to check et J’ai drove en ville).
Les emprunts sont prévisibles lorsque les locuteurices de langues vernaculaires françaises qui ont évolué dans un contexte rural sont exposé [5]. Les calques sont plus insidieux. Ils consistent en effet à habiller un concept tiré de la langue extérieure avec du vocabulaire de la langue d’origine, ce qui a pour effet de les rendre opaques pour les non-bilingues. Parmi celles relevées dans les isolats francophones : en Français de Frenchville j’étais chauffeur devant que je deviens ingénieur « J’étais pelleteur de charbon avant de devenir ingénieur » (ingénieur = en Français Standard « conducteur de locomotive ») et ça goûte le whiskey « ça a un goût de whiskey ».
es à des termes absents de la culture traditionnelle. Par exemple, dans le Français de Frenchville, qui ne contient pas les mots stylo ou usine, les locuteurices adopteront respectivement stylo-plume et factoryPour le Français de Old Mines, l’un des narrateurs de contes populaires de Carrière a produit : i’a vu queuque chose qui éclairait dans tas d’pierre là « il a vu quelque chose qui brillait dans le tas de pierres » dans lequel éclairait est un calque de was shining utilisé au lieu de l’attendu – en Français Standard – brillait (1937 p.243). Thogmartin (1979 p.116) note l’utilisation de courir modelé sur le verbe polysémique to run au lieu du SF opérer [une machine] (« to run a machine »), tenir [un magasin] (« to run a store ») et le composé to run out of (pour « manquer de ») : il[s] ont couru ennehors de sel (« ils ont manqué de sel »), i’courait une groc’rie (« il tenait une épicerie »). Pour le RLF, Papen (2005) a noté le charmant calque faire la lune (« to make moonshine », littéralement « faire du whiskey de contrebande »).
Le changement de code consiste à insérer des segments de plusieurs mots de la langue extérieure dans des phrases de la langue d’origine. Exemple flagrant en Français de Frenchville : Oh, it’s better for you, well, I come up on sixty-three, il y a vingt-cinq ans (« ...25 years ago »). Mais il est souvent difficile de faire la distinction entre les commutations de codes courts et les emprunts, par exemple en Français de Frenchville une run un store à Beachcreek (une d’entre elles tient un magasin à Beachcreek) (Uritescu & Mougeon, 2003).
Perte de la langue
Parce qu’elles ne sont plus transmises d’une génération à l’autre, les variétés vernaculaires du Français aux États-Unis subissent une forte attrition qui, à terme, leur fait perdre leur véritable valeur fonctionnelle et menace leur survie. L’étude de l’attrition linguistique s’avère difficile pour les langues vernaculaires parlées dans la plupart des isolats, car l’absence de données suffisantes recueillies sur une longue période rend impossible la comparaison des structures linguistiques sur plusieurs générations. Elle est marginalement possible pour l’OM car, grâce aux études pionnières menées dans les années 1930 et 1940, on peut faire des comparaisons avec les données obtenues plus récemment par Thogmartin (1970). Elle est également possible pour l’occitan valdese en comparant les données obtenues dans les vallées piémontaises d’où sont originaires les locuteurices vaudoises (Pons 1973) et celles recueillies en Caroline du Nord par Ghigo (1980) et Pons (1990).
Mais les études plus approfondies et plus révélatrices menées dans les deux communautés américaines où subsiste une certaine transmission intergénérationnelle, la Nouvelle-Angleterre et la Louisiane, ont fourni des données sûres, en particulier dans le cas de cette dernière communauté (Rottet, 2001).
Comme l’a démontré Dorian (1994), l’attrition linguistique entraîne une érosion structurelle qui reflète les simplifications apparentes mises en évidence dans les produits de contact linguistique tels que les pidgins et les créoles (Valdman, 1979b). En fait, il est plus approprié de considérer ces changements structurels concernant le Français Standard comme une restructuration interne, pas nécessairement causée par le contact linguistique, mais reflétant l’accélération des processus d’autorégulation inhérents au Français, accélérés par la séparation de ces variétés vernaculaires de la norme standard (Chaudenson, 2003). Certaines des caractéristiques des langues vernaculaires américaines énumérées ci-dessous ont été relevées pour le Français populaire, par exemple par Gadet (1992) :
- Réduction de la distinction de genre dans les adjectifs : FOM, les grandes (FS grandes) jambes (les longues jambes) ;
- Réduction du système pronominal par l’élimination de certaines distinctions de personne et de cas et de la distinction entre formes pleines et clitiques : en Français de Frenchvilleeuse (ils, elles) ont écrit, en Français de Old Mines I’ dit à li (il lui dit), en Français de Nouvelle Angleterre Elle chante même chose à lui (Elle lui chante la même chose) ;
- Réduction de l’accord en nombre : en Français de Frenchville mon frère et moi parle (parlons) Français « mon frère et moi parlons Français » ;
- Parataxe (pronom relatif zéro) et utilisation du pronom relatif indifférencié que : en Français de Old Mines M’a prends l’argent (dont) j’ai besoin « Je prends l’argent dont j’ai besoin », en Français de Red Lake Falls Les liv’ que (avec lesquels) vous aviez coutume de suiv’ la messe « les livres avec lesquels on suivait la messe » ;
- La perte du pronom réfléchi : en Français de Frenchville je (me) suis marié(e).
Il est particulièrement intéressant de noter l’alternance en Français de Old Mines entre l’utilisation du déterminant défini et son remplacement par le marqueur déictique postposé là, une caractéristique commune à tous les créoles basés sur le Français :
dans tas d’pierre-là (dans le tas de pierres) p’tsit berger-là (le petit berger) m’as casser ta tête avec bâton-là (Je vais te casser la tête avec le bâton) »in the/that pile of stones
the little shepherd
I’ll break your head with the/this stick
Bien entendu, les causes de ces divergences par rapport au Français Standard peuvent être multiples : transfert de l’Anglais, rétention d’étapes plus anciennes ou de variations régionales du Français, etc.
L’attrition linguistique s’accompagne également d’une réduction de la variation stylistique. Les recherches sur ce phénomène en Français de Louisiane (Rottet, 2001, 2005) ont montré que les variations importantes dans les systèmes pronominaux et verbaux tendent à se réduire chez les jeunes locuteurices ayant une compétence limitée en langue vernaculaire. L’extrait ci-dessous, produit par un locuteur plus âgé, révèle quatre variantes du pronom de la troisième personne du pluriel et de la forme du verbe :
Mais sho’, eux-autes serait contents, tu les appelle ’oir, parce que ça travaille tard, eusse a ein grand jardin en arrière, et ils travaillont tard, des fois ils sont tard dans la maison, SO tu peux les appeler quand-ce que/’oir équand tu pourrais les prendre.Mais, bien sûr, ils seraient heureux, vous les appelez pour les voir, parce qu’ils travaillent tard, ils ont un grand champ derrière, et ils travaillent tard, parfois ils (reviennent) tard à la maison, alors vous pouvez les appeler pour voir quand vous pouvez les prendre. »
— Rottet, 2001.
Il y a une diminution du nombre de variantes directement liée au groupe d’âge : alors que les locuteurices plus âgé
Pons (1990) identifie trois processus d’attrition lexicale en OV :
- (1) la généralisation sémantique dans laquelle un terme de niveau inférieur dans un champ lexical (hyponyme) prend le sens de l’étiquette de la catégorie supérieure (hyperonyme) : truito « truite » désignant tous les poissons ;
- (2) la convergence sémantique au sein d’une même catégorie :ghèpo « guêpe » prenant aussi le sens de d’abélho « abeille » ;
- (3) le remplacement de mots isolés par des équivalents périphrastiques construits avec des constituants généraux non marqués : far d’üu « faire des œufs » pour ouvar « pondre des œufs » maire dë mun om/dë ma fenno « mère de mon mari/de ma femme » pour madonna « belle-mère ».
Épilogue
En l’absence d’un renouvellement démographique constant, il semble que la présence du Français aux États-Unis diminue et continuera de diminuer. Le flux d’expatrié
es qualifié es en provenance de France ou d’autres régions francophones est négligeable par rapport à celui de l’Inde ou de la Chine, par exemple. Bien que l’immigration en provenance d’Haïti se poursuive, ces immigrant es parlent principalement le créole haïtien, et non le Français. Leur impact linguistique se traduit par une augmentation de 50 % des locuteurs et locutrices de cette langue entre 1900 et 2000. Mais l’étude des variétés vernaculaires endogènes du Français présente un intérêt particulier pour les spécialistes des sciences du langage.Elle contribue à une meilleure compréhension des divers phénomènes interdépendants produits par le changement de langue : l’emprunt, le calque et le changement de code, ainsi que de l’attrition et de la perte de la langue. Pour les spécialistes des études françaises, elles permettent de reconstituer les variétés de Français exportées dans les colonies américaines et, étant donné qu’elles ont évolué indépendamment du Français Standard, elles révèlent les tendances évolutives du Français parlé. Les variétés vernaculaires américaines sont également les dépositaires de formes et de structures linguistiques qui ont été éliminées en France par la diffusion du Français Standard et l’élimination des dialectes régionaux qui en a résulté.
À consulter :
Pour compléter cette lecture, sur le site « L’aménagement linguistique dans le monde » animé par Jacques Leclerc, collaborateur de la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord (CEFAN) de l’université de Laval, Québec :
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