À Nouméa, « nouvelles » fêtes urbaines
et cartographie sensible

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22 août 2024

 

Le 26 août 2023, au cours de la « Journée de l’Identité de la Jeunesse Nouméenne » (JIJN), s’est tenu sur la place des Cocotiers à Nouméa un atelier de cartographie sensible et expérimentale pendant lequel les participantes ont réalisé l’exercice de la « carte d’identité [1] ». Ce texte discute d’une manière réflexive et critique la signification et l’intérêt de la JIJN, et questionne la pertinence d’associer un exercice aussi « libre » et « émancipateur » à une initiative institutionnelle restrictive et enfermante.

par Artème Pointel

Géographe et cartographe, Cartodataviz
Nouméa, Nouvelle-Calédonie
Cet atelier, proposé par l’auteur aux organisateurs des JIJN,
s’est déroulé dans le cadre de son service civique [2].

Prologue

Ce qui me laisse
Perplexe
C’est que Le Rex
Est un complexe
Qui m’a permis de développer mon Art sans complexes
Un lieu de rencontre
De création
D’expérimentation
Une dimension entre le “Je m’ennuie”
Et le “qu’est-ce que je pourrais faire”
Un laboratoire social artistique culturel
UNIQUE »

 
Simanë Wenethem, Adamic [3], 2024

Le Rex Nouméa est « un espace socio-culturel dédié aux pratiques artistiques et aux jeunes de 12 à 26 ans » (Sud tourisme, 2024) implanté en Nouvelle-Calédonie [4]. Né de la volonté de plusieurs groupes de danse du quartier de Rivière Salée en 2009, il est situé entre le Quartier Latin et le Centre-ville de Nouméa, dans les locaux de l’ancien cinéma et la salle de spectacle « Le Rex ». En 2023, ce centre socio-culturel est devenu un pôle majeur de la création artistique en Nouvelle-Calédonie, dépassant de loin sa mission originelle.

Sa fonction fondamentale reste l’accompagnement des jeunes avec des ateliers (danse, musique, création audiovisuelle et numérique, etc.), des interventions d’artistes et des événements dédiés (Mega Rex Party, Motion Juice Festival, etc.).

Le Rex Nouméa est aussi un lieu de création et de résidence artistique. De nombreux artistes reconnues de la culture urbaine calédonienne des années 2000-2020 (Simanë, Astro, Kuby, etc.) ont débuté et développé leurs carrières dans ce lieu emblématique. Des associations ou groupes de la vie urbaine de l’agglomération (Collectif Ina DI Street // Dix Vers Cités, Wolf Family, Résurrection, Kulture Jam Underground, etc.) se sont aussi structurés autour de cet espace.

Il accueille aussi des manifestations, tels le Festival La première séance [5] ou le TEDx Nouméa [6]. Le centre dépend de la ville de Nouméa, mais il est géré par l’association indépendante « Adamic » (Association pour le développement des arts et du mécénat industriel et commercial). Quatre à cinq personnes, rémunérées par l’association, s’occupent de la structure. Dans le cadre de son accompagnement à la professionnalisation des jeunes, des stagiaires et des volontaires complètent cette équipe.

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Le centre socio-culturel « Rex Nouméa ».
Photo : Artème Pointel, août 2024.
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« Le Rex dans ses quartiers à Nouméa ».
Source : Artème Pointel — Cartodataviz.

C’est Jeorge Vallejo [7], alors animateur et responsable du Lab Multimédia [8], qui m’a proposé de réaliser une série de cartes thématiques, et surtout de mettre en place et animer des ateliers de cartographie dans le centre.

Ma mission consistait à « animer l’espace public numérique ». Je me suis ainsi occupé de la gestion informatique et technique, de l’accueil du public, ou de conseils aux adhérentes. Je me suis aussi fait cameraman lors de l’événement « Rappy Birthday — 10 ans du stud [9] » ou encore animateur d’impression 3D lors de la fête « Nouméa fête ses quartiers [10] ».

C’est donc dans cette foison d’activités que j’ai pu animer un atelier de cartographie sensible lors de la « Journée de l’identité de la jeunesse nouméenne » (JIJN).

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Affiche présentant la Journée de l’Identité de la Jeunesse Nouméenne.
Source : Ville de Nouméa, 2023.

Organisée par la ville de Nouméa, la JIJN est une fête populaire où les institutions publiques se mettent à la disposition de la jeunesse pour soutenir leurs projets artistiques, professionnels ou scolaires et promouvoir « le Conseil local de la jeunesse (CLJ) [11] » (Ville de Nouméa, 2023d et 2023f).

La première édition a lieu le 26 août 2023 sur la Place des Cocotiers [12]. Le Rex Nouméa y a participé avec un spectacle de danse du collectif Nyian [13], des initiations artistiques (hip-hop, slam, théâtre d’improvisation, voguing) et des activités en continu (des séances du jeu « Just Dance [14] », et l’atelier de cartographie).

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Programme proposé par le Rex Nouméa lors de la JIJN.
Source : Adamic, 2023.

Deux mois avant la JIJN, en juin 2023, nous avons testé le concept de l’atelier de cartographie sensible, et donc proposé aux participantes de s’atteler à la création de leur « carte d’identité » dans une approche « radicale » de la cartographie [15].

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Capture d’écran de la publication Facebook publique de l’Adamic annonçant la mise en place d’ateliers de cartographie au Rex Nouméa.
Source : Facebook.

La démarche peut se décomposer en trois étapes principales (définition de l’intention, collecte, réflexion et organisation des données et informations, et production du document [carto]graphique), lesquelles sont décrites avec précision dans le petit fascicule Exercice de cartographie expérimentale : dresser ma “carte d’identité” de Philippe Rekacewicz [16].

Les résultats furent surprenants pour qui s’attend à voir « des cartes de géographie ». Les participantes en étaient globalement satisfaites, et les productions s’apparentaient plus à des carte heuristiques [17] qu’à des représentations cartographiques à proprement parler. La familiarisation avec le processus de création cartographique a été ressenti comme compliqué, avec des difficultés à se projeter personnellement dans la carte, et à spatialiser le regard [18].

Philippe Rekacewicz pris le temps de « lire » ces cartes :

Je comprends très bien que les participantes aient ressenti une gêne, des difficultés, ce n’est pas une surprise car dans l’acte de création, on a toujours du mal à trouver les formes qui représenteraient au mieux nos intentions, et quand toutefois on les trouve, on ne cesse de douter de la pertinence de nos choix. Ces premières visualisations sont pourtant assez touchantes : pour Anthony, les mots simples et signifiants disposés dans un élégant minimalisme nous parlent et nous invitent à “imaginer” ce qu’ils veulent dire ; Jeorge Vallejo, quand à lui, n’a pas hésité à utiliser les mots pour créer des formes et des symboles – ici une croix, là un cercle – dans une carte où les phrases-citations elles-mêmes « sont » le dessin, et où la géographie n’est que suggérée – à défaut d’être figurée – comme un lieu de centralité où l’être humain (qui doute) reste en périphérie. Dans les deux cartes, le graphisme même nous dit quelque chose. »

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Carte sensible d’Anthony.

 

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Carte sensible de Jeorge Vallejo.

Fortes de cette première expérience, nous étions donc prêtes à rééditer cette expérimentation en y apportant les correctifs nécessaires et en n’oubliant pas d’adjoindre les modules de la démarches que nous avions négligés. Mais voilà, dans le contexte très institutionnel des JIJN, que pourrait bien nous apprendre cette pratique cartographique libre sur l’environnement immédiat (les quartiers), ou la ville de Nouméa, ou encore sur l’île elle-même ? Les participantes vont-ils et elles s’autoriser à sortir des cadres qui leur sont imposés ? Et quel rôle peut occuper la cartographie au sein d’un tel événement ?
 

1 – Cartographie sensible et fête populaire : des pratiques incompatibles ?

 
 
A - La fête populaire et l’événement urbain : des rites codifiés avec leurs publics, leurs espaces-temps et leurs enjeux

 
La cartographie radicale, un projet politique, critique de la société

Tout semblait opposer les résultats des ateliers de cartographie sensible (et radicale) aux fêtes populaires et aux événements urbains. Et pourtant, on pouvait trouver dans les résultats graphiques certains liens intéressants, comme ceux des ateliers qui accompagnaient l’exposition « Radical cartography » en 2012 à la gallerie 0047 (Oslo, Norvège).

Cette conférence d’Oslo, dans une démarche encore nouvelle en 2012, avait installé un research wall, où étaient présentées les différentes étapes de la conception d’une carte, mais elle proposait surtout un atelier d’initiation à l’approche radicale de la cartographie. Destiné à des étudiantes et des étudiants en sciences humaines, l’exercice portait sur la perception sensible de l’espace à partir d’une question simple : “Lorsque nous regardons un paysage, quel qu’il soit, le comprenons-nous pleinement ? Voyons-nous la réalité ?” Les ateliers de cartographie radicale et expérimentale, d’abord organisés de façon informelle, se généraliseront du fait de géographes enthousiastes qui s’emparent du principe et l’intègrent — dans certains cas — dans leurs programmes universitaires, prolongeant ainsi la cartographie par une recherche fondamentale encore en friche. La “vraie” vie de la carte radicale se joue donc sur le terrain, parmi les groupes d’activistes qui procèdent au mapping collaboratif. » (Rekacewicz, Zwer, 2021)

Fondamentalement, ces ateliers visent à une remise en question des représentations et des discours officiels et convenus, au travers de la création par ses participantes d’un objet politique : un contre-narratif qui dévoile l’envers du décor pour le mettre en débat, favoriser l’interaction, l’échange.

Cette cartographie acquiert sa dimension radicale dans l’interaction avec son public, dans les réactions et la prise de conscience qu’elle induit. C’est au moment des échanges avec le public, lors des ateliers, lors de séances de mapping, parfois au coin de la rue, parfois à même le sol, qu’elle parachève sa mue en carte radicale. La carte gagne son pari du moment où elle contribue à nous faire porter sur le monde un regard mieux informé et plus critique. » (Rekacewicz, Zwer, 2021)

 
La fête et l’événement urbain : un rite politique au service de la ville

Cette conception semble pourtant incompatible avec celle des événements qui se déroulent en ville. À l’inverse d’une pratique visant à interroger et porter un regard critique sur le monde, la fête populaire s’inscrit comme un rite particulier, répétitif, codifié, qui se bâtit sur « le détournement, voire l’inversion, matérielle et symbolique, qu’ils [les habitants] opèrent de la ville et des comportements qui y sont associés » (Lallement, 2007). Ainsi :

Les villes d’aujourd’hui n’échapperaient donc pas à la logique symbolique qui anime ce type de pratique sociale : ces événements, qu’ils soient des fêtes ou des événements culturels, relèveraient de la même nécessité pour le groupe social de se réaffirmer en décidant d’un temps, d’un espace et d’une activité à la fois très codifiée et décalée par rapport à la vie ordinaire. » (Lallement, 2007)

Ces « fêtes nouvelles [19] » se fabriquent autour de mises en scène et de mises en intrigue [20] de la réalité urbaine, menant à un monde « à part ». L’espace-temps citadin en particulier est modifié par des procédés spatiaux et scéniques :

La mise en scène de l’espace est entendue comme l’agencement des différents éléments urbains (éclairage, mobilier, support d’activité, modes de transport, végétaux, etc.) sur un périmètre délimité en vue de l’organisation d’une représentation, ici, de la ville et de ses habitants. Ce processus homogénéise l’espace et y réifie un temps partagé. Cette relocalisation fantasmagorique par la mise en scène de la ville est construite sur l’idée de rupture cognitive avec le quotidien et entre dans une dynamique de projet. » (Pradel, 2007)

Cette intense production symbolique de l’espace, provoquant la transformation sur des temps courts ou longs de la morphologie et de l’usage citadin, mène à « une construction normée et technique de lieux publics reposant sur l’articulation entre l’immatérialité des ambiances et la matérialité des espaces, mettant en place une véritable ville événementielle » (Pradel, 2007). La fête populaire et les événements urbains deviennent alors des outils privilégiés des politiques urbaines des villes : elles sont institutionnalisées par des acteurs publics qui les ancrent dans des circuits économiques particuliers, les amenant à se ressembler de plus en plus.

L’air de famille qui existe entre les fêtes nouvelles et d’autres événements culturels n’empêche pas pourtant les instances étatiques ou urbaines d’engager des acteurs du privé pour l’organisation de leurs fêtes. Elles l’annoncent d’ailleurs au préalable : ce qui est évalué et mesuré ce n’est pas la possibilité de ces fêtes de créer des représentations collectives mais surtout leur capacité à produire des effets bénéfiques pour la ville d’un point de vue économique. Et cela dans le cadre d’une économie urbaine de l’enrichissement [21] » (Karakostaki, 2022)

La place du ou de la « participante » se transforme alors progressivement en celle « d’acteur économique de la fête » (Delorme, 2020), l’amenant à rentrer dans « une posture passive de consommateurs de spectacle et de souvenirs », à travers « d’un dispositif qui tente de produire des festivaliers, de normaliser le comportement festif et de le diriger vers une conduite économique » (Delorme, 2020). Le contenu politique originel, la « transgression sociale », devient dompté par une logique sécuritaire et économique, qui encadre et maîtrise l’espace, le temps, et les corps présents.

C’est la raison pour laquelle les fêtes qui prévalent aujourd’hui en Europe sont avant tout celles qui respectent cette condition fondamentale de sécurité. Leur objectif est de rendre la ville plus attractive en offrant un certain niveau d’excitation avec la fabrication de nouveaux cadres d’expérience, mais une excitation qui est toujours maitrisée et contrôlable par avance. La “transgression”, élément constitutif des moments festifs, ne doit donc pas surgir spontanément des comportements, elle peut en revanche se manifester selon les anticipations et demeurer contenue dans la forme de l’événement festif lui-même. Les fêtes nouvelles dépendent ainsi largement du travail et des compétences des organisateurs professionnels dont le rôle consiste à mettre en scène d’une façon très maîtrisée des événements dans l’espace public. » (Karakostaki, 2022)

La fête populaire et les événements urbains « nouveaux » participent alors à un contrôle social et politique de la société par les acteurs institutionnels, voire à une ségrégation (spatiale, sociale, économique, etc.). Elles entraînent...

...une forme de normalisation des conduites et cherchent à combattre le contenu politique de la fête [traditionnelle]. Il s’agit de prévenir, neutraliser, intervenir et prendre en charge, processus proche des pratiques de pacification soit des logiques et stratégies contre-insurrectionnelles premièrement expérimentées dans les anciennes colonies puis redéployées comme pacification et “réintroduite comme stratégie politique dans les contextes nationaux et urbains, marginaux et d’exception” […], la marge étant conçue comme “des populations, des individus autant que des territoires” » (Delorme, 2020)

Mais cette codification et maîtrise des espaces-temps n’est pas forcément synonyme d’échec de la fête populaire ; elle est au contraire vue comme une composante à part entière de leur « substance » :

Si les fêtes nouvelles ont réussi non seulement à voir le jour dans cette conjoncture spatiotemporelle spécifique, mais aussi à rester florissantes à long terme, c’est parce qu’elles correspondent bien à l’air du temps, aux aspirations du pouvoir qui les a instituées mais aussi et surtout à l’émotion collective des membres des sociétés qui les ont accueillies. En effet, la particularité des fêtes réside dans leur propre substance. Même si cela n’est pas souvent établi clairement, fêtes, célébrations, festivités et rituels ont une double assise, à la fois dans le monde extérieur, c’est-à-dire celui des objets matériels et dans le monde intérieur, à savoir celui des représentations mentales, tant individuelles que collectives, grâce auxquelles les personnes sont capables de créer des images et des idées sans ancrage direct dans la réalité actuelle du monde matériel. […] Mais elle a aussi besoin d’un objet idéalisé, c’est-à-dire d’un thème et reste inextricablement liée à une cause spécifique qui la légitime. Ce thème, qui est fêté par le biais des objets matériels, doit en même temps mobiliser dans l’esprit des participants à la fête une ou plusieurs représentations mentales qui lui sont relatives. » (Karakostaki, 2022)

Face à cette standardisation, comment permettre le débat voulu par la cartographie radicale ? Surtout si cette dernière est incluse dans la fête comme élément d’une mise en scène temporelle et spatiale, ne devenant qu’un sous-ensemble d’un dispositif plus global : celui de la normalisation et du contrôle des corps, des esprits et des échanges sociaux dans l’espace urbain.

 
B – La JIJN, une fête inclusive ouverte aux « jeunes » ?

Une fête populaire « différente », présentée comme faite « par et pour la jeunesse »

La JIJN se présente néanmoins comme une fête « différente », visant à « offrir aux jeunes un espace d’information, d’expressions et d’échanges » (Ville de Nouméa, 2023b). Bien qu’elle reste une « activité rituelle » (Lallemant, 2007) dans un espace-temps donné – la Place des Cocotiers le 26 août 2023 –, mobilisant un « objet idéalisé » (Karakostaki, 2022), l’implication de la « jeunesse » dans l’organisation de la JIJN amène à la mise en place d’un narratif spécifique, l’affichant comme une initiative « au pilotage par le bas » (Augustin et Arpaillange, 2009).

Les différentes présentations du projet ne cessent de mettre en évidence l’implication et la diversité des « jeunes » du CLJ dans la « gouvernance [22] » de la fête. Lors de la séance plénière du CLJ du 10 mai 2023, le conseiller local Timéo Beaunier précisait que « cet événement [la JIJN] est porté par le CLJ en entier, c’est une décision qu’on a tous pris, on est tous d’accord avec ça et tout ce qui se passe dans cette journée, le CLJ est d’accord ; donc c’est-à-dire que c’est une initiative collective. » (Ville de Nouméa, 2023f).

De ce fait, grâce au CLJ, la « parole des jeunes » (Lévêque, 2023) apparaît comme privilégiée dans l’organisation de la journée au travers de l’implication de cette « instance démocratique » qui leur donne une « voix au sein de la ville » (Lévêque, 2023). Cette légitimation du conseil entraîne un glissement sémantique dans les discours : « l’identité de la jeunesse nouméenne » devient « l’identité incarnée par le CLJ ». Lors d’une interview radio, Warren Naxue, 7e adjoint au maire et coordinateur du CLJ, présentait la jeunesse nouméenne de la manière suivante :

Multiple, déjà au sein de notre Conseil local de la jeunesse, qui organise cette Journée de l’identité de la jeunesse nouméenne ; donc on a des jeunes de différents bords, qui sont de toutes les couleurs, qui sont aussi à la fois dans la réussite scolaire, qui sont aussi à la fois à la recherche d’emploi, qui sont étudiants à l’Université [de Nouvelle-Calédonie] ou au Campus des Îles [23], à la maison de l’Étudiant [24], donc on a différents profils aussi des jeunes qui sont dans des logements avec les bailleurs sociaux, il y a des jeunes qui sont propriétaires, des jeunes qui sont dans des squats [25] » (Lévêque, 2023)

Tous ces éléments tendent à décrire la JIJN comme un événement inclusif, favorisant l’interaction, l’affirmation d’une liberté d’expression fondamentale de la jeunesse. Édifié à partir d’initiatives et de besoins des jeunes, le pilotage du projet, par une instance de gouvernance horizontale dépendante de la ville de Nouméa, participe à cette représentation, en établissant une équivalence symbolique entre « jeunes de Nouméa » et « jeunes du CLJ ».

La JIJN, une fête nouvelle normée, squelette d’un nouveau type de mise en scène ?

Pourtant, la JIJN condense en son sein les particularités propres aux fêtes nouvelles, principalement (Augustin, Arpaillange, 2009) :

  • Favoriser la cohésion, l’homogénéité du corps social et renforcer symboliquement le sentiment d’appartenance à un groupe et à un territoire ;
  • Permettre le progrès moral des individus ;
  • Renforcer les normes dominantes de la vie sociale en permettant des excès limités dans le temps.

La focalisation sur la diversité des conseillerères du CLJ s’accompagne ainsi d’un rappel de la cohésion créée par ces rencontres. Lors de la JIJN, Warren Naxue pouvait ainsi déclarer « qu’au fil du temps, à force de se rencontrer, d’échanger, de partager le Conseil est devenu une grande famille » (LS, 2023). De même, le nom de la fête, « l’identité de la jeunesse nouméenne », porte cette volonté de cohésion et d’appartenance à un groupe et à un territoire (les jeunes, la ville de Nouméa).

Mais, cette recherche d’harmonie se retrouve en particulier dans le traitement sémantique du « jeune » par la JIJN. Terme protéiforme, il reste, en Nouvelle-Calédonie, lié à une vision négative et stigmatisée : celui d’une adolescente ou d’une jeune adulte marginalisée, en perte de repères, souvent alcoolique ou droguée, évoluant dans la délinquance au sein d’une bande ; « Souvent, on les retrouve dans leur quartier, errant en petits groupes et luttant contre diverses dépendances » (Ville de Nouméa, 2024b). Si cette image englobe théoriquement l’ensemble des genres et des ethnies, le stéréotype du « jeune » le particularise comme un individu masculin kanak, fréquemment originaire des Îles Loyautés [26].

En plus d’une caractéristique genrée et ethnique, c’est aussi un style vestimentaire qui est stigmatisé. Par exemple, au début de l’année 2024, l’une de mes voisines d’origine wallisienne avait fait part de sa vive inquiétude et son sentiment d’insécurité face à un « jeune » qui « traînait » devant notre résidence. Il s’est avéré qu’elle parlait de moi ! Rentrant du Rex Nouméa, j’étais habillé d’un sweat à capuche et d’un pantalon caractéristique du « jeune ».

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Performance musicale de rappeurs et slameurs lors du « Rappy Birthday — 10 ans du stud’ », dont l’artiste Wyka à droite. Leur ethnie, leur genre, leur style vestimentaire sont caractéristiques des clichés et stéréotypes stigmatisants du « jeune » tel que représenté dans la société calédonienne.
Photo : Artème Pointel, 2023.

Le rajout de l’adjectif « des quartiers » ne comporte pas forcément la même portée symbolique que son équivalent dans l’Hexagone. Bien que désignant implicitement certaines parties stigmatisés de la ville de Nouméa et des « cités » bien identifiées (Kaméré, les tours de Magenta, Montravel, les tours de Normandie, Rivière Salée, Tindu, Tuband), le terme en omet d’autres tout autant marginalisés (Nouville, Logicoop, les squats de Nouméa, etc.) ; dans certains cas, ce déterminant recouvre même la globalité de la ville.

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Les quatre types de quartiers de Nouméa en 2009. Les quartiers aisés se caractérisent par des indicateurs socio-économiques (très) favorables ; les quartiers intermédiaires présentent une certaine mixité sociale et communautaire ; les quartiers populaires concentrent une population majoritairement océanienne et restent caractérisés par l’importance des logements sociaux ; les quartiers marginalisés ont un bâti urbain constitué principalement de squats occupés par une population majoritairement kanake. Cette organisation socio-spatiale a évolué à la marge entre 2009 à 2024.
Source : Jean-Christophe Gay, La Nouvelle-Calédonie, un destin peu commun, 2014.
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« Les “zones” de Nouméa - des lieux stigmatisés » (quartiers, cités et squats).
Source : Artème Pointel – Cartodataviz.

Ce cliché se retrouve dans l’ensemble de la société et des médias calédoniens. Dans l’article du 22 juillet 2024 de Nouvelle-Calédonie La 1re [27], « Un homme poignardé à la Vallée-du-Tir, à Nouméa, ce lundi matin », la victime est définie simplement comme « Un jeune sorti du Camp-est [28]  », quand l’agresseur est juste « un autre jeune ». Le seul autre renseignement disponible quant à leurs identités, c’est leur genre : « deux hommes » (Rédaction Nouvelle Nouvelle-Calédonie La 1re, 2024).

La communication du CLJ et de la JIJN s’attelle au contraire à court-circuiter cette représentation : ils incarnent l’ensemble de la jeunesse, dont le caractère multiple est revendiqué. Le parcours de vie difficile de certaines est assumé comme une réalité qui ne met aucunement à mal la solidarité et l’identité du groupe. La trope [29] originelle du « jeune », ouvertement critiquée, est remplacée par celle du ou de la « jeune engagée », résolue dans sa démarche, qui utilise les services mis à sa disposition, aide et renforce l’ascension morale de ses camarades par son implication dans la gouvernance de la ville. Lors de son interview, Warren Naxue déclarait :

Lors de la JIJN, on aura un temps de parole, justement des témoignages de jeunes, le samedi à partir de 10 heures, où on pourra justement témoigner avec des jeunes qui sont inspirants. Parce que souvent on met l’accent sur des jeunes, on va dire, sur la délinquance, des mots qui sont très forts, très durs, mais nous on voulait mettre l’accent aussi sur des jeunes qui veulent réussir, des jeunes qui sont passés aussi par des côtés, on va dire, sombres, mais qui sont justement dans cette lumière et qui veulent aller de l’avant.

Donc c’était tout l’enjeu de ce Conseil Local de la Jeunesse, et lorsque je l’ai lancé, bah, je savais pas qui j’allais avoir en face de moi, et aujourd’hui bien au-delà du Conseil Local de la Jeunesse puisqu’ils pouvaient changer le nom “Conseil Local”, ils ont créé leur identité visuelle, ça faisait partie aussi du projet, les valeurs c’est eux qui les ont portées, et même cette journée-là, bien c’est eux qui l’ont mis en place.

Le dernier week-end on avait encore un rassemblement, on a fait plus de 24 rassemblements depuis le début de l’année, le dernier week-end je suis pas allé […], je les ai laissés parce que c’est aussi les rendre responsables, et j’ai confiance. Donc samedi, bah, moi je vais découvrir aussi des choses, j’ai pas vu le tout, ce qu’ils ont mis en place, mais j’ai confiance parce que ça fait un moment qu’on est ensemble, je les ai vus aussi sollicités sur des projets, et ils sont impactants et ce qui est bien c’est qu’ils inspirent, et aujourd’hui c’est [aussi] leur Journée de l’identité de la jeunesse nouméenne » (Lévêque, 2023)

Parallèlement à une figure d’une « jeune engagée », se crée en porte-à-faux l’image d’une « jeune ignorante », qui se confond avec la trope du « jeune » — elle en reste la référence principale du discours et constitue la réinjection du stéréotype au sein de la JIJN. Celui-ci ignore (sciemment ou non) les services (culturels, économiques, politiques, etc.) et les aides qui lui sont dédiées. Ainsi, lors de la séance plénière du 10 mai 2023, la conseillère Illona Marc interrogeait de cette manière le public :

Cette jeunesse elle est au courant ? Celle qui est derrière les portes, là-bas, qui ne nous écoute pas ; est-ce qu’elle est alertée sur ce qui se fait en Nouvelle-Calédonie ? Et quels sont les services qui lui sont dédiés ? Quels acteurs sont là pour l’aider ? » (Ville de Nouméa, 2023f)

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Schéma conceptuel du « Modèle symbolique de la “jeunesse nouméenne” », représentant le nouveau narratif symbolique
porté par la CLJ et la JIJN.
Source : Artème Pointel – Cartodataviz.

La journée se dote alors d’un objectif politique : mettre en place une action normalisatrice qui engage les corps de ces « autres jeunes » pour les mener vers une intégration sociale et leur valorisation. Alors, à l’image du CLJ (par le glissement symbolique décrit plus haut), le ou la « jeune » se transforme en membre d’un groupe inclus dans la vie de la polis : la « jeunesse nouméenne », mise en scène lors de la JIJN.

De ce fait, les comportements perçus comme « transgressifs » (politiques, culturels, individuels, etc.) – comme dans les autres fêtes nouvelles – sont contrôlés et maîtrisés avant et pendant le déroulement de la journée. L’autodiscipline est ainsi mise en avant dès le 10 mai 2023 par le conseiller Timéo Beaunier :

La scène libre qui, on va dire, est une caractérisation de la jeunesse parce qu’on aime bien être libre, donc c’est une scène sur laquelle on vient faire ce qu’on veut : chanter, danser, slamer, comme on veut, dans la limite du raisonnable du moral et de l’éthique quand même. » (Ville de Nouméa, 2023f)

Les conseillerères du CLJ ont parfois agi, lors de cette journée, comme les garantes du bon déroulement de la fête, intervenant directement pour prévenir et limiter les activités perçues comme inappropriées. Il fut ainsi demandé au bénévole s’occupant de l’atelier « Juste Dance » du Rex, d’en baisser le son, car il était « trop fort ». À ces moments-là, les membres du CLJ deviennent, à l’échelle des corps, les exécutantes du contrôle de la jeunesse dans l’espace urbain de Nouméa.

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Membre du CLJ (à gauche) demandant au bénévole du Rex Nouméa (au centre) de baisser le son de l’animation « Juste Dance ».
Photo : Adamic, 2023.

3 – La JIJN, une fête inscrite dans le projet politique et urbain de la ville

Au plaisir des touristes
la cité se fait belle
la ville se maquille
sous haute surveillance
au seuil des cabanes »

– Déwé Gorodé, Par les temps qui courent, aphorismes, 1996

L’aspect de ce contrôle « biopolitique [30] » des corps n’est en rien une spécificité de la JIJN, mais se retrouve de manière plus ou moins marquée dans l’ensemble de fêtes organisées par la ville de Nouméa. Il tient d’un projet politique et urbain plus global, visant à réifier des temps de « vivre-ensemble » pour créer des effets économiques et symboliques bénéfiques pour la commune. En 2024, huit événements urbains étaient ainsi programmés par la ville, décrits comme « des événements rassembleurs et fédérateurs, notamment en direction des jeunes » (Ville de Nouméa, 2024d).

Mais les aspects de ce projet politique apparaissent en particulier lors de la comparaison de la JIJN avec l’initiative « Nouméa fête ses quartiers » qui s’est tenue le 1er juillet 2023. Comme la JIJN, elle visait à « favoriser la cohésion sociale » (Lindor, Madec, 2020a) et à montrer la dynamique des quartiers de la ville :

“Cette journée nous permet de voir qu’il y a de l’hyperactivité dans nos quartiers” indiquait Sonia Lagarde, la Maire de Nouméa en visitant les stands avec plusieurs de ses adjoints. “Cette journée met en avant la convivialité, mais aussi la fraternité et la mixité sociale de Nouméa. [...]”  » (Sabot, 2023a)

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Affiche présentant l’événement « Nouméa fête ses quartiers ».
Source : Ville de Nouméa, 2023

Au travers de ce dispositif d’ateliers et de rencontres, ce sont les associations et les services culturels et sociaux mis à disposition par la ville de Nouméa qui sont présentés au public : ici, les espaces municipaux (anciennement maisons de quartier).

Cette quatrième fête des quartiers aura aussi été l’occasion de mettre en lumière les agents de la ville qui travaillent chaque jour dans les maisons de quartiers par exemple au contact des populations. Une journée lors de laquelle, entre deux démonstrations de danse, les visiteurs ont peut-être découvert qu’il était même possible de cultiver son jardin au cœur de la cité.

Les jardins familiaux de la ville de Nouméa rencontrent en effet un franc succès. Plus de 300 parcelles de terre sont mises à la disposition des habitants. Une initiative qui permet de créer du lien entre les habitants et entre les générations. Les quartiers de Nouméa sont bien vivants et le public, venu souvent en famille a pu profiter d’une très belle journée. “La fraternité, elle est là aujourd’hui, ici place des cocotiers, mais elle se vit tous les jours dans nos quartiers”, expliquait encore Sonia Lagarde. » (Sabot, 2023a)

Mais le parallèle entre la JIJN et « Nouméa fête ses quartiers » ne s’arrête pas seulement à cette mise en scène idyllique du « vivre-ensemble » de la commune ; elle se retrouve dans la structuration spatiale même de ces deux fêtes. Organisées toutes les deux sur la place des Cocotiers, elles disposaient chacune :

  • d’un espace animation où se concentraient les différents ateliers ;
  • d’un espace scénique dédié à la danse, la musique, aux concours de défilés (défilé de la plus belle robe « éco-responsable », concours cosplay, etc..) et aux remises de lots ;
  • d’un espace associatif centré sur des ateliers d’information, de sensibilisation et de prévention (santé, handicap, harcèlement, etc.) ;
  • d’un espace de restauration, animé par des associations de proximité.

Seules différences, l’espace marché « dédié aux produits vivriers, plantes, fleurs, artisanat et vannerie » (Ville de Nouméa, 2023c) pour « Nouméa fête ses quartiers » et un espace dédié à l’insertion professionnelle et bénévole pour la JIJN.

Certains acteurs ont aussi participé aux deux événements, tels la Croix Rouge, l’association Afrikdissi [31], ou le Rex Nouméa. Le CLJ était aussi présent avec un stand. La JIJN se démarquait aussi par la présence de plusieurs « stars » calédoniennes, comme le géopoliticien Pierre-Christophe Pantz.

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Capture d’écran du plan d’aménagement de la fête fourni
par la Ville de Nouméa à la presse en préparation de la JIJN.
Source : Ville de Nouméa, 2023.

Enfin, « Nouméa fête ses quartiers » met en place un narratif normalisateur, se concentrant sur la jeunesse. En 2020, lors de la première édition, un animateur de quartier définissait l’utilité des animations de proximité de cette manière :

C’est pour mieux s’intégrer, pour mieux rentrer dans la société ici actuelle. Bon, c’est sûr que ça fait une porte de sortie aussi pour les jeunes qui sont dans les quartiers ; on a toujours du mal à s’exprimer, voire à rechercher du travail voire… bon c’est toujours un grand chemin. » (Lindor, Madec, 2020b).

Pour David, un adolescent kanak de 13 ans, « ça apprend de nouvelles choses, des ateliers, le recyclage comme ce… comme ce que je viens de faire, des petits jeux qui nous apprennent à bien être, à bien se comporter au collège, à l’école et même au lycée » (Lindor, Madec, 2020b). Il se fait ainsi le porte-parole d’un discours porté par la municipalité.

En 2023, Sonia Lagarde considérait ainsi qu’ « il était très important de montrer (aux jeunes notamment [...]) qu’il y a bien d’autres choses à faire que des bêtises » (Sabot, 2023a). De cette façon, à l’opposé des adultes, perçus presque comme des citoyennes responsables « par nature », les « jeunes » doivent être prises en charge et éduquées au travers de services dédiés, qui leur sont présentés dans des espace-temps précis (dont les espaces municipaux et les fêtes).

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À gauche « Nouméa fête ses quartiers » à 16h17 ; à droite Journée de l’identité de la jeunesse nouméenne à 11h33.
Photo : Artème Pointel, 2023.

Cet « air de famille » et les objectifs communs des deux événements s’expliquent essentiellement par l’utilisation de la fête comme outil de la politique publique nouméenne. Car la prise en charge institutionnelle (directe ou indirecte) de la fête s’accompagne :

d’un “cadrage” public impliquant la participation de professionnels, au moins des animateurs, et le plus souvent des artistes. Les contraintes découlant des logiques administratives, des règles de gestion financière et du droit de la responsabilité des administratifs et des élus, tendent à un encadrement de plus en plus marqué des interventions et à l’exclusion de fait des opérateurs qui ne disposent pas de ces compétences.

Les choix d’excellence culturelle tendent également à marginaliser les artistes ou intervenants autodidactes issus du territoire, concurrencés par les associations et intervenants labélisés par les institutions culturelles. » (Augustin, Arpaillange, 2009)

Les fêtes tendent donc à se ressembler les unes les autres, amenant à « un modèle standardisé (…), qui tend à s’homogénéiser à l’échelle des agglomérations et / ou des villes relevant des dispositifs nationaux, voire fonctionnant sur la base de produits homogènes faisant l’objet d’une définition et d’un label à l’échelle nationale. » (Augustin, Arpaillange, 2009). Dans le cadre de la ville de Nouméa, le Rex Nouméa et les animateurs des espaces municipaux sont des exemples types de « ces professionnels labélisés », facteurs d’uniformisation.

Il est très probable que l’atelier de cartographie sensible mené lors de la JIJN n’aurait jamais eu lieu si je l’avais proposé directement au CLJ ; mais en tant qu’activité portée par le Rex, il gagnait en crédibilité, profitant de l’étiquette institutionnelle de la structure. Malheureusement, il en est aussi vidé de sa substance.

Comme animation institutionnelle, sa portée symbolique et radicale est niée au profit du « pittoresque » de l’activité. Il devient, en quelque sorte, à peine plus qu’une « fantaisie », un « mouvement d’humeur » passager qui ne correspond pas à un besoin véritable. Ça devient un consommable éphémère auquel on participe plus ou moins, morceau d’une « performance » générale favorable à « l’enchantement » du ou de la citadine.

Cette performance a pour condition, aussi bien que pour enjeu, de faire des participants à ce type de manifestations des citadins-acteurs, indispensables aux dispositifs. Acteurs d’une ville qui ne peut exister que dans sa dimension performante et éphémère, les citadins ainsi “enchantés” goûteraient le plaisir du rassemblement, un rassemblement qui ne fait que des égaux pour l’occasion et qui les laisserait dans une indétermination plutôt ludique de leur identité, voire permettrait une sorte de mimicry [mimétisme]. » (Lallement, 2007)

Dans cette mécanique de la fête, le ou la « jeune engagée » et le ou la « jeune ingorante » de la JIJN, au-delà des discours les caractérisant, sont fondamentalement autant de festivalierères aux conduites dirigées, tous comme le sont les enfants, les adolescentes, les jeunes adultes et les adultes de qui participent aux événements urbains organisés dans la ville.

De ce fait, la reproduction des rapports sociaux quotidiens, le contrôle des corps et des échanges sociaux, et la mise en économie de l’événement dans le cadre d’une politique urbaine intégrale font de la JIJN une fête populaire « normalisante et “anomisante [32]”, c’est-à-dire produisant les conditions d’un travail perpétuel de la norme » (Delorme, 2020).

 

2 – Cartographie et JIJN : du projet à la réalité.

La JIJN apparaissant comme un dispositif supplémentaire pour transformer les participantes en « consommateurices d’espace-temps éphémère », la responsable du Rex avait des doutes sur la pertinence et l’intérêt d’organiser un atelier de cartographie sensible. Lors d’une conversation informelle, Nadège Lagneau [33] m’avoua penser que cette animation ne fonctionnerait pas (tout comme l’activité « Juste Dance »). Je partageais ce point de vue et je m’étais préparé à passer la journée seul à ma table, à défaut de susciter l’intérêt des festivalierères.

L’atelier de cartographie se déroula sur la place des Cocotiers tout au long de la journée du 26 août 2023. Quatre secteurs différents étaient organisés sous le chapiteau du stand :

  • Un espace d’accueil, présentant le Rex Nouméa et ses missions, tenus par Nadège Lagneau.
  • Un premier espace dégagé, dédié au Hip-hop, Slam, Théâtre impro et Voguing. Il était investi par les animateurices pour leurs interventions.
  • Un second espace dégagé, dédié à l’animation Just Dance où était installé une télévision avec capteur de mouvement. Il était tenu par Jeorge Vallejo et un lycéen bénévole, utilisateur du Lab Multimédia.
  • Et enfin, l’espace dédié à la cartographie sensible, situé à la périphérie des deux autres espaces, servant de « frontière » avec les autres animations. Le matériel de dessin, et les supports papiers étaient fourni par le Rex.
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Carte « Du Rex à la Place des Cocotiers », localisant le Rex Nouméa par rapport à la place où se déroula la JIJN.
Crédit : Artème Pointel — Cartodataviz.
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Schéma présentant l’organisation du stand du Rex Nouméa lors de la JIJN.
Source : Artème Pointel – Cartodataviz.
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À gauche, l’atelier de cartographie sensible vu depuis l’espace d’accueil ;
à droite, l’atelier vu depuis le premier espace dégagé, avec en fond l’atelier Juste Dance.
Photo : Adamic, 2023.
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Place des Cocotiers le jour de la JIJN.
Photo : Artème Pointel, 2023.

A -Élaborer et organiser l’atelier de cartographie

Malgré ces prémisses, j’ai essayé de préparer l’exercice de la manière la plus ergonomique possible :

  • Repenser et améliorer ma pratique de l’exercice de cartographie expérimentale conçu par Philippe Rekacewicz, en l’adaptant aux besoins spécifiques de l’environnement du festival. Je souhaitais, entre autres, éviter la production de mind maps et susciter la création de cartes dans lesquelles les participantes tendaient à se « spatialiser », à se « représenter » et à figurer leurs itinéraires de vie. J’ai donc préparé quelques outils présentant les fondamentaux sémiologiques nécessaires pour le dessin cartographique, quelques exemples de cartographies sensibles, mettant à disposition une tablette tactile permettant d’accéder à des productions des ateliers que Philippe Rekacewicz avait menés par le passé. Enfin, je demandais explicitement que le dessin « ressemble » à une carte : elle devait comporter une légende apparente, un titre et une signature.
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Éléments de sémiologie (carto)graphiques pour les participantes de l’atelier de cartographie.
Source : Philippe Rekacewicz, repris par Artème Pointel.
  • Ne pas fournir de fonds de cartes, mais seulement des feuilles blanches. Un « arrière-fond cartographique » encouragerait, à mon sens, à la continuité symbolique du « contrôle biopolitique » induit par la JIJN. « Dès que nous savons où nous sommes, le monde devient aussi étroit qu’une carte. Mais quand nous l’ignorons, il est sans limites. » (Cixin, 2022).
  • Mettre encore plus en exergue le « droit à l’erreur, au tâtonnement, au regret » permis par l’exercice ; « On a le droit à l’erreur, et on peut dessiner autant d’esquisses que nécessaire pour arriver à un résultat qui nous convient. On peut faire un ou des brouillons, et mettre au propre, on peut aussi réussir du premier coup ! » (Rekacewicz, 2019)
  • Rappeler qu’on peut « prendre son temps », puisque dans la fête, cette activité se déroulait en continu : chacune pouvait prendre le temps qu’il faut – soit dix minutes ou quatre heures – pour créer son dessin. C’est ce qui permettait de ne pas transformer cet atelier en simple « produit de de consommation ».
  • Me positionner, non pas comme animateur, mais comme accompagnateur et archiviste des productions réalisées. L’animateur n’est qu’une courroie de transmission d’une obligation prescriptive plus vaste ; il est omniprésent dans son activité. L’accompagnateur peut disparaître pour laisser le ou la participante en totale autonomie ; il ne fait que fournir les consignes et les explications, puis mettre les outils de travail à disposition. L’archiviste, enfin, collecte les œuvres créées, il les garde « en mémoire » pour les valoriser en compagnie d’autres œuvres issues d’ateliers passés et futurs.
  • Expliquer aux participantes qu’elles et ils peuvent « ne pas terminer l’exercice. »

Ces dispositions visaient à contrecarrer l’injonction de « festivalierère » induite par la JIJN — susciter des interactions, des réactions, un échange, et initier à un regard critique sur le monde.

B - Une fête à la mémoire « presque » inexistante

Quelles impressions laisse cette journée festive dans la ville ? Un petit tour d’horizon de la presse et des réseaux sociaux permet de comprendre qu’elle est « oubliée ».

L’article du 28 août du journal La voix du Caillou [34] titre « Une première réussie », mais se concentre principalement sur la présentation du CLJ, sans véritablement développer. C’est tout l’inverse du « Big Up Day [35] », qui s’était déroulé la même journée (Sabot, 2023b). Plus étonnant, mis à part cet article, aucun autre compte rendu « officiel [36] » n’est disponible en ligne. La ville de Nouméa, qui axe une partie de sa communication sur sa page Facebook « Nouméa ma ville », n’a publié aucun bilan de la JIJN, à l’inverse d’un post public pour « Nouméa fête ses quartiers ». Pas plus de mention dans le périodique Nouméa ma ville, où sont référencés les événements urbains de la commune. Pourtant, des photos ont bien été prises par les services municipaux ; le docteur Pierre-Christophe Pantz en réutilise quelques-unes dans son propre message Facebook. Quant aux comptes rendus « officieux », ils sont eux aussi très rares : seules trois publications (celle du Rex Nouméa, de l’association Afrikdissi et de Pierre-Christophe Pantz) semblent présentes sur les réseaux sociaux.

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Capture d’écran de la publication sur le compte Facebook de Pierre-Christophe Pantz à propos la JIJN, reprenant des photographies de la ville de Nouméa.
Source : Facebook.

Cette absence d’information donne cette impression d’un « oubli » progressif de cet événement. Quelques conversations informelles au Rex en juillet 2024 renforcent ce sentiment ; à l’échelle individuelle, peu de personnes se souviennent de la JIJN. Nadège Lagneau ne parlait que des animations du Rex et son impression d’être face à des « jeunes » ne se projetant pas dans les ateliers ; Wyka [37] (qui s’occupait de l’initiation slam) a d’abord confondu la JIJN avec une autre fête, puis a dit qu’il n’y avait pas eu beaucoup de monde ; Biboune [38] (initiation danse voguing) a surtout parlé de l’atelier de cartographie.

Un constat reste pourtant prégnant au Rex Nouméa : la majorité des activités proposées par le centre ont été des échecs. Aucun public n’a participé aux initiations à la hip-hop, au slam, au théâtre d’improvisation et à la danse voguing. Au contraire, des adultes, des jeunes et des enfants ont dansé toute la journée sur les musiques de « Just Dance », et une dizaine de personnes sont venues participer à l’atelier de cartographie sensible.

C - Profil des participantes

Les participantes étaient majoritairement des adultes et jeunes adultes, principalement européennes, souvent membres de l’administration de la ville (commissions, chefs de services, référents, services civiques, etc.), comme par exemple Pascale Servent, 10e adjointe au maire, chargée des relations avec le monde associatif, de la politique muséale et patrimoniale et des jumelages. Il y avait aussi des artistes comme Biboune. En observant le public qui s’est intéressé à l’atelier, j’ai pu distinguer trois profils [*/*] :

  • Les « personnes impliquées », qui ont commencé l’atelier, mais n’ont pas terminé leurs cartes. Pascale Servent est venue dans le cadre de la présentation des stands aux élues ; elle a commencé sa création pour arriver jusqu’à la troisième étape de l’exercice, avant d’être rappelée par l’équipe municipale, sans pouvoir terminer (mais elle a emporté ses esquisses avec elle !)
  • Les « personnes investies », qui ont mené jusqu’au bout le processus de cartographie expérimentale et réalisé une production finale.

Il y avait aussi une jeune femme kanake, en service civique au sein de la médiation culturelle et patrimoniale de la ville de Nouméa, qui est venue, et a réalisé avec talent les deux premières étapes. Elle n’a hélas pu terminer son document ayant perdu l’essentiel des informations qu’elle avait triées et organisées : la carte est donc inachevée, mais la première esquisse laisse apparaître quelque chose d’émouvant, on peut dire qu’elle était « impliquée » et « investie » en même temps !

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Carte sensible inachevée de la jeune femme en service civique kanak.

D - Les productions cartographiques

Seules quatre cartes sensibles ont été produites. Elles sont le fruit du travail de Biboune, Camille, Héloïse et Jeorge Vallejo.

Biboune animait initialement l’initiation de Danse Voging ; mais en l’absence de public, je lui proposais de participer à l’atelier de cartographie. Il a longtemps laissé mûrir son « intention cartographique », et réfléchi pendant plusieurs heures avant de commencer à composer sa carte. Ce temps de réflexion se retrouve amplement dans son travail d’une très grande originalité. Intitulé « Motion Continent », il propose un voyage dans l’espace et le temps propre de l’artiste. Autour d’un continent scindé entre la « Presqu’île des souvenirs » et le « Plateau univers », gravitent quatre petits archipels : « l’Archipel identité », les « Îlots transmissions », « l’Archipel foyer » et les « Îlots de la sécurité ». Ces ensembles renvoient à des lieux (Kaméré, Vanuatu, etc.) et des personnes (Azaël), auquel sont assimilés des souvenirs. L’aspect mouvant de la carte est influencé par sa discipline : la danse.

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Carte sensible de Biboune : « Motion Continent ».
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« Brouillon » de la carte sensible de Biboune : « Motion Continent ».

Camille, membre du service de la médiation culturelle et patrimoniale de la ville de Nouméa, est aussi écrivaine et artiste graphique. Lors de la JIJN, elle animait un atelier itinérant d’haïku, proposant aux festivalierères d’écrire leurs propres poèmes sur les différents quartiers de Nouméa. Ces derniers étaient ensuite réunis au sein d’une même installation artistique, menant à une cartographie poétique de la ville. Le résultat final devait être exposé dans le cadre de l’exposition UrbainS [39]. Bien que portant un projet relevant de la cartographie sensible, Camille ne connaissait pas cette pratique. Sa carte, Le Monde Hors-Les-Murs reprend une projection cylindrique équidistante stylisée. Elle montre l’ensemble de son parcours de vie, entre lieu flou et lieu tangible ; entre catalyseurs, encrage et constructions ; entre trajets rêvés, chemins d’écriture, trajets « offerts » et « commuting ». L’aspect multiculturel, métissé, ou « mondial » — pour le dire autrement —, est particulièrement présent comme le sous-tend le titre. Elle exprime la volonté de sortir de son « ethnocentrisme », peut-être témoignage d’un désir d’ouverture ou de prise de conscience d’un biais culturel .

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Carte sensible de Camille : « Le Monde Hors-les-Murs ».
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Brouillon et légende la carte sensible de Camille : « Le Monde Hors-les-Murs ».

Héloïse, qui effectuait un service civique, accompagnait Camille dans son atelier de haïku. Sa carte rappelle celle de Camille, mais s’en distingue par la représentation d’un territoire plus « concentré » et d’une projection différente. La Nouvelle-Calédonie occupe la majeur partie de la feuille, où l’on voit aussi deux zooms représentant la péninsule de Nouméa et la France hexagonale. Ces trois territoires semblent regrouper les références identitaires de l’autrice : les « hauts lieux » personnels (naissance, résidence, ressource nature, travail), les origines maternelles, la famille, les amies, et ce qu’elle nomme joliment les « bulles d’amours ». Le reste du monde est présent selon un gradient « d’envies de voyage », où l’Asie et l’Amérique du Nord occupent le premier plan.

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Carte sensible d’Héloïse.
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Note d’intention et légende de la carte sensible d’Héloïse.

Jeorge Vallejo a réalisé la carte la plus abstraite. Sans doute influencé par sa participation lors des premiers ateliers au Rex Nouméa quelques semaines plus tôt, il propose un schéma conceptuel, mêlant sentiments, activités et lieux. Cette visualisation montre à la fois l’unité et la disparité de son identité : c’est une « théorie du tout » constitué de composantes individuelles répétées dans chacun des trois pôles. Par effet de superposition, il y fait apparaître la notion de « profondeur » : les sentiments construisent les lieux, qui en font des activités. En plus de trois villes (Dunedin, Cuzco — ici orthographié Kuzco —, et Nouméa), il y rajoute un monde virtuel : le métavers.

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Carte sensible de Jeorge Vallejo.
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Brouillon de la carte sensible de Jeorge Vallejo.

Épilogue - La cartographie sensible au défi des événements institutionnels

You never listened to a word that I said
You only seen me from the clothes that I wear
Or did the interest go so much deeper
It must have been to the color of my hair

(The) Public image

Oh what you wanted was never made clear
Behind the image was ignorance and fear
You hide behind this public machine
You still follow same old scheme

(The) Public image »
 
 – Public Image Limited, Public Image, 1978

En faisant le bilan de cette expérimentation, j’ai eu l’impression que cette exercice cartographique très spécifique n’était pas vraiment compatible au sein d’un événement comme la JIJN. En tant qu’intervenant dans le cadre d’un service civique, on attendait que je propose une prestation pour « normaliser le corps des jeunes », mission assez peu compatible avec la liberté qu’exige la pratique de la cartographie sensible.

Néanmoins, le fait d’avoir accompagné quatre participantes dans la fabrication de leurs « cartes d’identité », qui figuraient, entre autres, des éléments émotionnels, a permis de réinvestir le sensible dans ce lieu si standardisé, facilitant ainsi le « contournement » de l’injonction institutionnelle.

Au-delà de ce petit groupe, c’est l’ensemble des « personnes impliquées » et des « personnes de passage » qui a produit une autre représentation de l’espace, par les discussions, réflexions, et divers échanges qui ont pu avoir lieu au cours de la journée.

Bien que cet atelier de cartographie sensible n’ai touché qu’une infime partie des festivalierères, il a permis l’émergence – certes très éphémère – d’un autre espace-temps, indépendant de la JIJN. Mais la quasi-absence a posteriori des mentions de cet événement tend à effacer cet instant de liberté.

En tout cas, des productions de cartographie sensible sont aujourd’hui exposées aux côtés de cartes plus officielles et de productions artistiques au sein de l’exposition nouméenne « UrbainS ». Je ne suis pas sûr qu’elles permettent un regard critique des narrations officielles, alors que les auteurices sont définies par des tropes minimisant leurs opinions. Peuvent-elles réussir à dévoiler et relever « ce qui se cache derrière le texte » (Rekacewicz, Zwer, 2021) alors qu’elles sont marginalisées et institutionnalisées par des acteurs dominants ?

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Œuvre KAMARED : Chemin du Quotidien, chemins de vie : autoportraits cartographiques.
Cartographie sensible des différents chemins que prennent chaque matin les élèves de 5e pour aller au collège de Kaméré. Réalisé par l’artiste Pascale Grey en partenariat avec les élèves Célestin Bearune, Appolinaire Boi, Levinska Fochi, Wilkins Fred, Emmuel Konyi, Orlanda Koroma, Waïpio Lelei, Tufugalea Likuvalu, Alonzo Matu, Jephte Nane, Falakika Niuliki, Olensya Niuliki, Lénaelle Ea, Benjamin Wahnapo, Rose Watue, Dave Wel.

 

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Cartographie sensible.
Maquette du centre-ville de Nouméa créée par les élèves de la Terminale STD2A du Lycée Jules Garnier. Elle est composée de plusieurs îlots reprenant un thème différent. Réalisé par Sara Ali, Raphaëlle Banar, Tiaré Boyer, Emelyne Brinon, Keelyan Courtois, Jennyfer Djadam-Naperavoin, Alessandra Fiorani, Télésia Firuu-Pakeso, Lou-Ann Guyenon, Kayanne Kavisoye, Lisa Kusser, Aymeric Luepak, Laura Marguerite, Charline Mechineau, Vaïmiti Munich, Kelly Ojar, Nathanaël Poniman, Leïlani Prevot, Léa Sounou, Talyssa Vaitulukina, Pierre Wiwane.

 

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Îlot Émotions en tourbillons de la maquette du centre-ville de Nouméa.
Réalisé par Aymeric Luepak.
Photo : Aymeric Luepak, 2023.

 

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Nouméa : nos bulles de quartiers.
Maquettes des quartiers / lieux de l’Artillerie, l’Anse Vata, la Baie des citrons, lycée Lapérouse, Nouville, la Place des Cocotiers, Porte de Fer, Sainte Marie, et Vallée des Colons, tel que perçus par les élèves de l’enseignement Arts Plastiques Spécialité et Option du lycée Lapérouse.
Réalisé par Clara Amatsokermi, Camlin Bareau-Lescouezec, Lilou Berthier, Lou-Ann Buchon, Samuel Bulte, Nathan Delon, Dayana Drouard, Lea Dupre, Angélina Frasca, Yaëlle Garat, Camille Gerard, Sarah Gourgues, Mona Guerre, Juliette Le Leannec-Mel, Loan Levenchaud, Eva Lionnet, Baptiste Luu, Clara Maes, Emilie Martini, Oscar Metayer, Rose Monge, Colombe Moulin, Julie-Anne Nemorin, Triêu-Minh Nguyen, Enzo Pascal, Lynette Richarme, Alycia Simonin, Tatiana Thomas-Frankignoul.

12 cartes sensibles réalisées par les élèves de terminal BAC PRO AMA — communication visuelle et Pluri média du lycée professionnel Saint-Joseph de Cluny reflètent en particulier cette interrogation. Créées « en conversation avec une médiatrice de la ville de Nouméa », elles sont présentés au sein de UrbainS « également et surtout [comme] valeur de témoignage de la sensibilité des jeunes Nouméens en 2023 : l’exploration urbaine, l’élargissement de soi, la nostalgie d’une terre d’enfance et les ébauches du futur » (Ville de Nouméa, 2023g). Comme lors de la JIJN, ce descriptif participe, à une autre échelle, à l’élaboration symbolique de la « Jeunesse Nouméenne », (en)cadrant les élèves dans une norme.
 

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1 –Clarans : Dans toutes les coupées des quartiers sud.

 

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2 – Henri : Comment on en est arrivés là.

 

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3 – Nolan : Je parkours la ville.

 

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4 – Clementine : Les enseignes comme des pronoms.

 

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5 – André : Jamais les mêmes arrêts, toujours les mêmes trottoirs.

 

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6 – Isa : La porte ouverte.

 

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7 – Keysiane : La mer.

 

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8 – Teuira : Aux îles dispersées.

 

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9 – Alain : La couleur qu’on donne aux histoires.

 

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10 – Jimmy : Le temps des légendes.

 

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11 – Aubane : Des deux versants du col de la pirogue.

 

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12 – Lilou : Vers l’extérieur de la fenêtre.

 

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Tableau Work in progress des différents ateliers des élèves de terminal BAC PRO AMA — communication visuelle et Pluri média du lycée professionnel Saint-Joseph de Cluny.
photo : Artème Pointel, 2023.

 
Peut-être le véritable enjeu de la cartographie sensible ou radicale se joue-t-il plus à l’échelle des corps, permettant « un regard que nous portons sur nous-mêmes, regard que nous voudrions un peu plus juste » (Rekacewicz, Zwer, 2021). Lors des événements de 2024, Biboune produisait une carte rêvée de la Nouvelle-Calédonie, qui représentait les lieux proposés sur son compte Instagram – une grande variété de regards réunis dans une seule carte.

L’art est au service de la polis, dans un sens ou dans l’autre : au service des puissants ou bien au service de celles et de ceux qui subissent les violences. » (Rekacewicz, Zwer, 2021)
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Carte rêvée de la Nouvelle-Calédonie produite par Biboune avec l’aide de abonnées de son compte Instagram.
Source : Biboune, 2024.

Bibliographie

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