Une année comme une autre à la fac Saint Charles [1].
Un diplôme en « animation d’ateliers d’écriture ».
Nous sommes deux camarades de fac : Bruno Mathé et Aroun Mariadas.
Un prof-psy, Thomas Rime, nous parle de Fernand Deligny, tenant de l’antipsychiatrie qui vivait dans les Cévennes avec des enfants autistes non verbaux.
De cette expérience de vie naissent des lignes d’erre, des dessins qui tracent les gestes et mouvements de ces enfants. Inspirés par Deligny, nous écrivons les différentes trajectoires de nos vi(ll)es, des plus réelles aux plus métaphoriques.
Bruno fait écrire la ville aux participantMassalia Vox... et Aroun, au CoFoR [2] (un projet dédié à la santé mentale) fait dessiner des cartes, comme autant d’outils d’expression du rétablissement, de la traversée de nos états psychiques.
es de ses ateliers dans le lieu d’Initiatives et d’Entraide Urbain,
Ensemble, nous avons plus ou moins réussi... ! mais surtout, grâce à ces expériences, nous avons découvert la richesse de la cartographie, et c’est peu de dire que nous en sommes littéralement tombés amoureux.
Pas de n’importe quelle cartographie : pas une cartographie mainstream, classique et moderne, mais une cartographie plus personnelle, sensible et narrative.
Celle qui fait ressortir nos histoires à nous, l’amour qu’on porte aux lieux, aux personnes, aux pavés.
Nous avons ressenti comme un « coup de foudre », une envie de creuser, d’engager des conversations ininterrompues avec des ami
es, des inconnu es, de récolter perceptions, sentiments et désirs.Découvrir cette approche, c’était un peu comme revoir une personne qu’on a trouvé intimidante pendant des années, découvrir une fossette dans son visage et (re)tomber amoureux...



Nos ami
es Guillaume et Edith Montsaingeon, aussi passionné es de cartographie, nous ont présenté des artistes, des géographes et d’autres hurluberlus qui passaient le plus clair de leur temps à dessiner des cartes. Certain es à Marseille, d’autres par-delà les frontières. Philippe Rekacewicz, dans son fjord norvégien, a ouvert les portes de sa maison à Bruno ; Moses März a présenté à Aroun le meilleur bouquiniste de Berlin tout en ouvrant les portes imaginaires de ses ateliers de cartographie.On a dévalisé un rayon complet de l’Alcazar, la bibliothèque municipale de Marseille, puis on s’est mis à lire et à admirer le travail d’autres artistes (Elsa Noyons [3], Élise Olmedo [4]).
On s’est mis à bouillonner (et à brouillonner aussi !) d’envie sans même avoir d’idée aboutie.
Les ateliers d’écriture que nous avons menés sont destinés à répondre à une envie de se raconter, de dessiner et d’écrire des cartes de façon jouissive et artistique — que ce soit moche ou beau, et peut-être les deux à la fois — pour que ça dise quelque chose de nous, et de celles et ceux qui nous importent.
Pour que les cartes nous ressemblent enfin.



On s’est donc jetés à l’eau avec le dispositif Rouvrir le monde, qui permettait à des artistes d’accéder à un lieu de résidence en contrepartie d’ateliers à animer pour des usager
es. On a posé nos valises pleines de bouquins et de questionnements à Massalia Vox dans le quartier du Chapitre. Bruno y avait encadré des ateliers d’écriture pour des étudiant es, Aroun était venu y traîner sa passion pour l’écriture en collectif.- Comment appeler notre série de quatre ateliers auprès des participant es ?
- Comment concilier nos errances et le vertige de la plongée dans cet univers passionnant qu’est la cartographie ?
- Parle-t-on de cartographie sensible, narrative, radicale, de contre-cartographie ?
On s’est retourné le cerveau pendant l’été en partageant des références de-ci, de-là, pour finalement aboutir à une expression simple et courte, qui nous plaisait beaucoup, comme un fragment prélevé d’une conversation, sans verbe, sans début, sans fin :
« Et dans ma tête, des cartes. »
Une invitation à explorer ensemble l’infinité des possibles offerts par les principes du texte et de la cartographie.
On a tâtonné, avec un groupe dense, motivé, hétérogène.
On a tâtonné, avec nos cheminements personnels qu’il fallait bien confronter.
On a tâtonné, modelé, bouleversé, assumant des axes qui se brouillaient parfois.
Mais restait quand même un objectif commun : produire la carte collective d’une ville rêvée, avec ce que cela comportait d’allers-retours, d’imprécisions, et de fantasmes.
☐ ☐ ☐ ☐ ☐ ☐

Il y avait l’enthousiasme
d’être réuni es et curieux et curieuses,
un enthousiasme qui se suffisait à lui-même,
mais tout ce qui serait en plus serait un plus
L’essentiel
c’était cette énergie collective
la qualité de l’écoute
l’envie d’essayer
de recommencer
de gratter la croûte des idées

Elle est foutraque
notre carte de ville rêvée
et alors...
c’est un brouillon de carte
le fruit de plusieurs tentatives
conciliées plurielles
foutraque
comme nous le sommes
malgré nos injonctions à créer du sens
des légendes et des liens
Est-ce qu’on referait pareil demain ?
Sûrement pas

On a été nourris
on a été provoqués
on a débattu,
on a imaginé la suite
la suite, on la rêve
plus
et moins
à la fois
moins écartelée
moins protéiforme
plus militante
plus utile
la suite
on la rêve
pour se rassembler
pour donner à voir
pour lutter
Pour sauver ?

☐ ☐ ☐ ☐ ☐ ☐
Pourquoi c’est important pour toi, Marseille ? Parce qu’il y a des amis de l’eau des personnes partout qu’il y a des recoins cachés »

Je reste là encore un peu pour danser expérimenter encore un peu cette densité avant de partir »
LA VILLETu m’étouffes
je
te
suis »
Marseille est grande et oubliée par les nouvelles boutiques tentant d’effacerLes mémoires des
errantes
des tuées et des
solidarités
Mais les ruptures ne
s’oublient pas et
l’Histoire sait »
C’est une rue calme, propre. On se croirait presque chez les bourgeois et puis ce sont juste des gens là depuis toujours. Ils prennent soin, c’est tout, comme avant le plastique. Des plantes grimpantes sur les façades et des fleurs sur les appuis de fenêtres. »
Golden de l’extérieurCafards à
l’intérieurSous les transports
brûlants
Pas de répit pour
les habitants »

