Google, via ses différents avatars (Maps, Sidewalk Lab, Google Ads, Waze), se donne progressivement les moyens d’être l’intégrateur le plus puissant des données urbaines dans toute leur diversité. Au-delà du front actuellement ouvert à Toronto, l’analyse fine de ces outils (et de leurs évolutions prévues) a de quoi inquiéter quant au pouvoir qui restera aux acteurs publics et locaux de décider, choisir et faire évoluer « ce qui fait ville ».
Tour d’horizon des différents chemins empruntés par Google pour capturer la ville, via des « expériences usagers » et des représentations graphiques très précisément conçues, et des chantiers à lancer pour tenter de sauver l’urbanité comme commun.
Le pouvoir de faire « cœur de ville »
Dans la quête de l’espace flânable, de la rue fourmillante et de la centralité, Google apporte une réponse qui lui ressemble : un algorithme, qui délimite dans Maps « les centralités d’intérêts » au sein des zones urbaines.
La couleur jaune-orangé signale ce qui fait une destination « digne d’intérêt ». Les zones ainsi identifiées nous paraissent à la fois très familières — ce sont les zones dotées d’une qualité d’usage urbain qui en font des destinations en soi — et, parfois, vaguement étranges : elles ne correspondent que partiellement à la vision des collectivités sur leurs propres centralités, se décalant par rapport à la délimitation symbolique et officielle du centre-ville (la place de l’Hôtel de Ville, les Halles, la Grande Rue…). On notera d’ailleurs ici un fort décalage entre les promesses de dynamisation urbaine des grands projets publics et privés et la réalité mesurée/édictée par Maps : les « nouveaux boulevards urbains » (boulevard Mac Donald, avenue de France) parisiens n’apparaissent jamais, certains « grands équipements » métropolitains (à X millions d’euros) échouent totalement à irriguer de vitalité les quartiers qui les entourent (pour prendre deux exemples muséaux : le Louvre-Lens et le Mucem, ilôts de jaune au milieu de quartier gris).
Ce jaune-orangé correspond à des espaces publics bordés par des séquences denses de rez-de-chaussés actifs et Google y agrège indifféremment des commerces ou des lieux « non-marchands », type équipement public ou associatif. Les règles précises de l’algorithme qui délimite ces nouvelles centralités restent mystérieuses. Le blog de Google Maps explique : « we determine “areas of interest” with an algorithmic process that allows us to highlight the areas with the highest concentration of restaurants, bars and shops. » À défaut de savoir précisément comment Google traite les données, on peut deviner, à partir de l’analyse des zones concernées, les jeux de données agrégés : profils des usagers, adresses, cadastres et formes urbaines, typologie de voiries et d’espace publics, horaires d’ouverture et d’affluences, notes et commentaires des usagers qui ont un compte Google, évènements et produits vendus, temps moyen passé sur place, public type (locaux, touristes, familles… ?), mode de transport des usagers qui s’y rendent, etc.
Agrégées, ces données sont cruciales à qui prétend comprendre et transformer la ville. Pourtant, seul Google en détient d’aussi diverses sous forme de jeux de données interopérables, créant la possibilité redoutable, à plus ou moins court terme, de la privatisation et de la monétisation de l’information sur l’espace public (et donc, la remise en cause de fait de sa nature fondamentalement « publique »). A l’instar de l’insertion de Google Maps sur un site, devenue payante après 10 ans de gratuité, le géant numérique semble ainsi approfondir sa stratégie en trois bandes — 1. offrir des outils gratuits aux usagers, basés notamment sur des données publiques 2. installer un monopole 3. revendre aux collectivités ces données/outils.
Plus généralement, au-delà de la simple requête d’itinéraire, les applications de plans deviennent des outils structurants de notre quotidien et se transforment en véritables moteurs de recherche multi-critère cumulant les fonctions de carte, d’annuaire (trouver le numéro de téléphone d’un équipement culturel, de la mairie), de guide (culinaire, touristique etc.), de recension des horaires de transports, de services de mobilité (en vendant directement dans Maps des trajets Uber, Lime, TC, Google se met en pôle position du MAAS) et même, maintenant, de catalogue (les commerçants sont invités depuis peu à partager en temps réels leurs étalages, stocks et promotions).
Le pouvoir de faire payer aux collectivités la connaissance de leur propre ville
La domination de Google dans ce domaine est écrasante : Maps compte 1 milliard d’usagers, talonnée par Waze, également propriété de Google. L’application Plans (Apple) a 3 ans de retard en termes de données sur les adresses commerciales, et Yelp n’arrive à toucher que certains type de commerces et d’usagers. La récente condamnation par l’Europe pour abus de position dominante pour l’installation par défaut de Google Maps sur les téléphones Android ne semble pas franchement faire vaciller le concerné.
Cette omniscience exclusive sur la ville fait courir un risque financier à court terme pour les collectivités locales, qui vont se faire « revendre » à prix d’or la connaissance leur propre territoires. Si une ville comme Paris a — espérons-nous — les moyens de se défendre, quelles ressources auront les élus et les habitants d’une ville moyenne en difficulté quand Google, fort de ses données a priori et de sa capacité à orienter les flux a posteriori, arrivera avec une offre all inclusive d’aménagements urbains (Sidewalk Lab vise aussi à réinventer le trottoir et ses services), de commerces et de gestion des flux des personnes ? Mirage irrésistible pour élu-e exsangue, la promesse d’attirer X milliers de touristes par an, de générer X millions d’euros de chiffre d’affaire commerçant (et les recettes correspondantes pour la ville) et de créer quelques dizaines d’emplois, sera difficile à repousser. Le programme « Action Cœur de Ville » pourrait paraître bien timoré et compliqué, à côté.
Le pouvoir de voir à travers les murs
Google Maps force les commerçants et gestionnaires de lieux à faire évoluer leur manière de se montrer, de s’offrir à la ville et à ses passants. Les fonctionnalités récentes et à venir de l’application font muter les formes urbaines que sont les rez-de-chaussée, leurs vitrines et leurs enseignes.
Vieille promesse technologique, la réalité augmentée arrive enfin, grâce à la maturité des technologies et des données (ARcore, puissance des terminaux mobile, modélisation 3D du bâti, etc.) : vous pouvez la tester depuis quelques jourss et c’est impressionnant. Elle va entraîner un changement radical, en aidant la navigation en ville « pas à pas » et en devenant un assistant continu de nos déambulations, comblant ainsi les dernières (et réelles) lacunes des usagers en matière de sens de l’orientation et de lecture cartographique, notamment dans leur recherche précise d’un commerce. Elle va également permettre aux systèmes de navigation de se rendre accessibles y compris à l’intérieur des bâtiments (où il n’y plus de signal GPS).
Rendre lisible ce qui se passe derrière les murs et dans les étages va bouleverser la façon de « faire enseigne » et de « faire vitrine », qui sont les principaux leviers des commerçants pour attirer et orienter les chalandises, et qui ont façonné les formes de la rue. En ville, on peut construire et augmenter les étages et les sous-sols, mais pas les vitrines ni les pas- de-portes : le marché très contraint des rez-de-chaussée va ainsi être chamboulé, puisqu’on ouvrira beaucoup plus facilement des commerces dans les arrières cours, en sous-sol, dans les étages, rendus visibles et accessibles. Les logiques structurantes de l’architecture urbaine, de la relation des bâtiments à leur rez-de-chaussée et à l’espace public, vont être bouleversées : on pensera différemment un patio, un passage, un rooftop ou même du commerce dans les étages, « à la japonaise ».
La vitrine et la façade, qui font aujourd’hui interface entre l’espace public et l’espace privé et sont des figures centrales de la morphologie urbaine, vont radicalement perdre de leur importance, y compris pour définir le prix d’un local et de son pas-de-porte. Plus largement, une partie de la fiscalité des commerces, indexée sur les enseignes et les pas-de-portes, pourrait se voir totalement dépassé : si aujourd’hui, les commerces paient une taxe sur la surface et taille de leur enseignes « physiques », en 2025 la véritable « taxe » (privée, pour le coup) consistera à payer son ranking et la visibilité de son enseigne virtuelle dans Maps.
Une lecture américaine de l’espace public.
La centralité urbaine américaine s’articule principalement autour de deux figures majeures :
– la rue commerçante américaine (une voie carrossable bordée de foncier privé) bien intégrée dans Maps sous la forme du jaune déjà évoqué,
– le centre commercial — le mall — pastiche contemporain de l’espace public avec ses fontaines intérieures, ses bancs, son éclairage artificiel « naturel » voire, demain, sa nature artificielle.
Google a très tôt fournit aux gestionnaires de ces gigantesque bâtiments commerciaux des outils de cartographie de leurs espaces intérieurs : plans des commerces, localisation des escaliers roulants, vues StreetView et, maintenant, réalité augmentée pour guider les clients -, fonction qui manquait aux centres commerciaux (mauvais signal GPS) et qui va permettre de limiter la perte de repère qu’induisent les architectures fermées sur elles-mêmes.
Mais cette grille de lecture binaire des formes urbaines de la centralité (la rue, le mall ou rien) met à mal la complexité et la diversité de géométries urbaines qui font « centre » en Europe (et probablement celle d’autres cultures).
D’anciennes comme des nouvelles figures urbaines souffrent ainsi dans Maps de représentations distordues ou, pire, disparaissent de la carte.
Quelques exemples :
• Lorsqu’une rue commerçante jouxte un centre commercial, la représentation graphique de Maps attire l’attention sur l’intérieur du centre commercial — alors même que la Rue Neuve, ici, est une des rues les plus commerciales de Belgique.
• L’ancienne figure urbaine des passages, ancêtre privé du centre commercial est tantôt considéré comme une rue normale, tantôt comme un espace commercial.
• Les dynamiques actuelles de piétonnisation, éloignées de ce qui se joue outre-Atlantique, sont aussi maltraitées : le boulevard Anspach, nouveau grand piétonnier bruxellois de plus de 30m de large, disparaît de la carte en étant relayé au maigre statut de sente piétonne alors qu’il s’agit de l’axe structurant de la ville en termes de renouveau de l’espace public, de commerce et de représentation mentale de la ville.
Le pouvoir de rayer un commerce de la carte.
Google Business est l’application qui permet à chaque local actif (commerce, équipement public) de gérer sa visibilité sur Google Maps. Adresse, jours et horaires d’ouverture, photos des produits et des espaces ainsi que, depuis peu, catalogue et promotions, peuvent y être recensés et mis à jour, pour être ensuite mis en avant dans Google Maps. Google investit une énergie considérable dans cette application, afin de la rendre accessible à tous et addictive. Comme tout réseau social prédateur d’attention, l’appli n’a de cesse de notifier le commerçant sur tout et n’importe quoi — le nombre de visiteurs de son adresse « virtuelle », les likes reçus par un client, la chalandise numérique ou physique qu’il a généré — et de l’inviter sans cesse à fournir davantage de données à la plateforme.
La récente intégration de Google Ads dans Google Business est un premier pas dans la monétisation de la visibilité des commerçants sur Maps. Jusqu’ici, les algorithmes hiérarchisaient la visibilité des commerces de façons relativement neutre, soit en fonction de l’affluence effective du commerce, soit en fonction du « taux d’affinité » de l’usager calculé par Google. Depuis quelques mois, les logos qui apparaissent en premiers sont ceux des commerces qui ont acheté cette visibilité.
L’application va ainsi tendre à présenter une information hiérarchisée en fonction des revenus générés pour Google : techniquement, vous pourrez toujours trouver n’importe quel commerce sur la carte, mais il faudra zoomer jusqu’à l’adresse précise pour voir d’autres établissements que ceux qui ont payé pour être « vus du ciel ». La capacité d’un lieu à être visible va ainsi dépendre directement du tribut payé à Google : dans cette configuration, il est plus probable que vous atterrissiez dans un Starbucks qu’au Café du commerce.
Waze « Le pouvoir de vous laisser le cul dans votre voiture »
Le business model de Waze, propriété de Google, tient à deux sources de revenus : revendre les données du trafic aux collectivités locales et vendre de la visibilité dans l’application aux commerçants aux abords des axes routiers.
“Waze local”, en proposant aux automobilistes d’ajuster leur trajet afin de visiter telle ou telle enseigne, offre une caisse de résonance sans précédent aux premiers fossoyeurs de la vitalité des centre-bourgs et des « cœurs de ville » dans les villes moyennes : le centre commercial de ZAC, la boulangerie sur la rocade, le petit commerce de la station essence. « Restez en voiture, on vous montre le chemin vers les commerces qui vous demanderont à peine d’en descendre pour acheter ce qu’il vous faut. » L’OS AndroidAuto et l’appli Waze, désormais préinstallée dans plus 50% des véhicules neufs, sont des dispositifs piliers de Google pour monétiser les temps de déplacements.
Le pouvoir de prolonger l’entre-soi numérique dans le monde physique
C’est une fonction de Google disponible depuis quelques mois : l’établissement d’un « taux d’affinité » d’un lieu avec vos goûts personnels, calculé sur la base de vos requêtes précédentes et d’autres données personnelles liées à vos usages des différentes applications de Google. Vous verrez ainsi en priorité les lieux et activités « qui vous ressemblent », ce qui va renforcer les fractures et effets de bulle numérique, en les projetant dans le monde physique. Sous couvert de personnalisation de l’expérience urbaine et à rebours de l’urbanité, l’entre-soi va en être renforcé. Des stratégies et biais de ranking vont nécessairement en découler, plus ou moins maîtrisées par les enseignes. Après la banalisation des centre-villes par la multiplication à l’infini des mêmes grandes enseignes banques/assurances/vêtements, s’ouvre un nouvel âge de la dés-urbanité : peu importent la disposition des enseignes, puisque ce sont des parcours personnalisés que Google va vous concocter.
Les acteurs publics, dépourvus d’ambition et d’outils en matière d’espace public et de rez-de chaussée ?
Qu’il s’agisse des opérateurs de véhicules free float, abordés ailleurs, ou de Google ici, les acteurs publics semblent totalement dépourvus d’ambition et d’outils pour analyser de façon critique les stratégies Ux (user experience) des acteurs numériques et leurs conséquences économiques, sociales, culturelles et politiques. Cet angle mort les prive d’une capacité à détecter des signaux faibles pour penser la fabrique de la ville de demain — à l’instar des nouvelles fonctionnalités de Maps décrites ci-dessus — voire conduise tout droit à la confiscation par les nouveaux acteurs de ce qui fait l’essence même de la ville.
On pourrait au contraire rêver de collectivités locales qui conçoivent une politique publique de la flânerie qui croiserait les enjeux de mobilité douce, d’espace public (notamment de trottoir), de commerces, de rez-de-chaussée, d’équipement public, de sécurité et de tranquillité (en particulier vis-à-vis des véhicules motorisés), de mixité sociale, de culture et de services publics. A défaut de quoi, la ville de demain, smart ou pas, pourrait bien ressembler à la dystopie décrite pas Damasio dans Les Furtifs : une ville dans laquelle les bulles d’entre-soi du numérique se sont pleinement et radicalement projetées dans le monde physique, et où les flux comme les lieux sont accaparés par les intérêts marchands.
Faire vitrine, faire seuil, comme faire terrasse relèvent du service rendu (ou non…) à la collectivité. En fabriquant du contrôle social, en générant chalandise et animation, en produisant de la mixité et de la rencontre, en se posant comme pivot possible de nouveau circuits-courts, en créant et en permettant la flânerie, l’activité de rez-de-chaussée amplifie et intègre l’espace public et, au-delà, la ville, le quartier ou le village.
Par « activité de rez-de-chaussée », nous entendons ici commerce indépendant et équipement accueillant du public, en ce qu’ils fabriquent des expériences uniques et tissent dans les rez-de-ville des séquences denses et foisonnantes d’expériences singulières. Qu’il s’agisse d’un échoppe ou d’un rez-de-chaussée de médiathèque, ces espaces proposent une expérience, une curation de produits et services, sous une forme unique qui lui est propre : une invitation publique (pour tous) depuis l’espace public à entrer dans une hospitalité particulière.
Trois idées pour reprendre le pouvoir sur la ville
Nous sommes à quelques mois des élections municipales. Il n’est pas certain que les enjeux décrits ici soient au coeur des programmes des candidats et des débats, au-delà de voeux pieux (et récurrents…) sur la « revitalisation des centre-villes ». Pourtant, nous y voyons un enjeu politique important pour que le futur urbain soit habitable et désirable. La prise de conscience qui semble irriguer l’ambition du programme « Action Cœur de Ville » est à cet égard salutaire, même si beaucoup reste à faire pour passer des intentions aux actes et si l’ambition ne concerne que certaines villes moyennes, alors que le sujet est partagé de l’agglomération parisienne aux villages du Morvan.
1. Le plan de Nolli comme nouvelle connaissance publique (en open data)
En 1748, l’architecte italien Giambattista Nolli édita le plan le plus précis jamais réalisé de Rome avec une particularité qui le rendit célèbre à tous les étudiants de première année d’architecture, jusqu’à nos jours : il représentait de la même façon (comme du « vide », accessible) les espaces publics et les rez-de-chaussée accessibles au public — à l’époque, l’intérieur des églises et la cour des palais. Il formalisait ainsi l’idée selon laquelle les rez-de-chaussée, visibles et accessibles, à la fois premier des étages privés et ultime extension de l’espace public, appartiennent à la fois au domaine public et au domaine privé.
Le parti-pris de Nolli pourrait nous inspirer, en actant que le sol de la ville (qu’il relève d’un foncier public ou privé), du fait de son accessibilité et de sa visibilité est une forme de bien commun dont les usages participent de l’intérêt général et qui mérite donc d’être pensé politiquement plutôt que laissés à des enseignes et des foncières qui achètent le droit de faire à peu près n’importe quoi en échange de promesses (jamais tenues) d’emplois créés.
La première brique de la gestion de ce commun particulier nous semble être son inventaire numérique, accessible et partagé en opendata. Aujourd’hui, ces rez-de-chaussée sont un angle mort des données et cartographies dont disposent les pouvoirs publics — le registre cadastral étant la maille la plus granulaire de connaissance en délimitant le contour du bâti. Nous pensons que les collectivités doivent avoir la main sur une connaissance fine des rez-de-chaussée accessibles (à l’image du plan de Nolli), de leur niveau d’accessibilité, des linéaires de vitrines, des pas de portes, des horaires d’ouverture.
L’enjeu est essentiellement de rendre accessibles et d’augmenter la qualité de ces données, aujourd’hui réparties entre une grande variété d’acteurs publics et directions qui ne pensent pas leurs données ensemble (Chambre de commerce, URSSAF, Permis de construire, Taxe sur les enseignes ; code NAF). Quelques courageux acteurs comme l’APUR amorcent d’ailleurs de laborieux relevés « manuels » des commerces (et font l’effort de le mettre en opendata), mais beaucoup de collectivités baissent les bras (la région bruxelloise abandonne son très détaillé Baromètre du Commerce)
TO DO LIST
• Développer un format commun décrivant l’espace et l’activité des rez-de-chaussée ouverts au public, avec une attention particulière sur les usages d’aménagement urbain.
• Accélérer la consolidation de la base adresse, trame structurante d’une telle connaissance.
Acteurs : OpenStreetMap / Quelques collectivités pilote de taille différentes / les amis de Datactivist / data.gov.be / perspective.brussels / Data.gouv.fr et / FNAU et Agences d’urbanismes / IGN /Chambre de commerces / URSSAF
2. Algorithmes et signaux faibles pour prendre soin des « centres »(-ville)
Le commerce de ville est intimement lié à la question des centralités urbaines — plurielles, tant la variété des formes et facteurs qui permettent de qualifier un bout de ville de « centre » est grande et difficile à saisir. Il s’agit souvent d’un curieux alliage, réussi sur le fil, de flux et d’apaisement, de formes urbaines particulières (le recul vis à vis de la chaussée, une terrasse qui attrape un rayon de soleil le matin à l’heure du café) et de sentiment evanescent. Autant de facteurs si peu maîtrisés que, même quand une collectivité se saisit de l’aménagement de l’espace public et du foncier, elle n’arrive pas toujours (presque jamais ?) à générer ces centres. Il suffit de constater ce que (ne) sont (pas) devenus, par ordre chronologique, les villes nouvelles, les nouveaux boulevards urbains, les quartiers ayant bénéficié des politiques de renouvellement urbain, les centres bourg « protégés », pour se rendre compte de la fragilité et de la rareté de l’urbanité réussie.
Pourtant, être capable de saisir et d’orienter ce qui « fait centre » est une condition première de l’efficacité de nombres des politiques publiques — de la structuration des réseaux de mobilités aux politiques de développement économique en passant par les politiques d’inclusion et les choix précis d’implantation des services publics. Pour les métropoles, la compréhension de leurs centralités est un défi qui reste à résoudre : les plus éclairées savent qu’elles doivent dépasser une représentation concentrique d’elles-mêmes, mais ne savent toujours pas déceler la variété des signaux faibles des « petits centres » qui fabriquent cette polycentralité. Pour les petites et moyennes collectivités, savoir délimiter finement (quasiment à l’échelle parcellaire) ce qui fait centre permet de délimiter les projets urbains, de factualiser les choix de zonages pour les réaménagements du « centre-ville », de choisir en connaissance de cause l’implantation d’un nouvel équipement public et de muscler une centralité fragile ou menacée le cas échéant. Quelle rues et place « piétonniser » pour en amplifier la qualité de flânerie ?
Une recherche publique sur les conditions d’émergence du commerce nous semble salutaire en analysant sur des échantillons de données larges les conditions d’émergences de la flânerie. Est ce que la largeur des trottoir favorise l’émergence de commerces ? Quels quartiers commerçants sont réellement fournisseurs d’emploi local ? Quelles coques et surfaces commerciales sont les plus susceptibles de favoriser tel ou tel type de commerce ? Existe-t’il une orientation et une largeur de voirie qui favorise l’apparition d’un café et d’une terrasse ? Quel type d’équipement public co-existe vertueusement avec du commerce ? Il ne s’agit pas là de confisquer la décision et l’identité particulière du projet urbain par des algorithmes, mais d’aider les choix et arbitrages des collectivités dans leurs projets urbains.
TO DO LIST
• Mobilisation d’algorithmes apprenants pour identifier les corrélations entre formes urbaines, formes architecturales, vitalité commerciale, mobilité (douce notamment) et sentiment des différents usagers de la rue
• Construire et expliciter des objectifs communs de vitalités urbaines entre acteurs publics de la ville : développement économique, vie sociale, aménagement urbain, opérateurs de mobilités.
• Prototyper ces nouvelles formes d’activités (par occupation temporaire) et monitorer ces objectifs communs sur des rues aux rez-de-chaussée vacants.
Acteurs : Banque des Territoires / DigitalWallonia / DINSIC / IGN / HUB.brussels / collectivités possédant des jeux de données commerciales récents / Pop-up Urbain
3. Imaginer un indicateur de flânerie pour nourrir les projets urbains et les stratégies publiques
Tout ne se vaut pas en ville et des choix (ou non-choix) d’acteurs publics comme privés, peuvent avoir des conséquences massives sur la « flânabilité » d’une rue et d’un quartier. Or, nous avons pris ici pour hypothèse que la flânerie avait des vertus politiques au-delà du seul plaisir des flâneurs : mixité sociale, ouverture à l’altérité, sécurité, habitabilité, lutte contre la pollution et le dérèglement climatique… Les avantages de villes flânables sont nombreux — les inconvénients de leurs antithèses, les centres commerciaux de banlieue dont Europacity est le dernier avatar, sont des insultes faites à l’avenir. On pourrait presque ériger ce caractère flânable des villes au rang de commun — à penser et à protéger comme tel.
Pourtant, les acteurs publics semblent démunis quand il s’agit de concevoir un nouveau quartier (le quartier Rosa Parks/Macdonald, à Paris, en est un tragique exemple) ou d’intervenir dans un quartier existant pour résoudre un ou plusieurs défis de politique publique (sécurité, désaffection commerciale, communautarisme, etc.). Comment prévoir finement les conséquences multiples et profondes de l’installation à ce coin de rue d’un commerce singulier plutôt que d’un établissement franchisé ? D’une grande surface alimentaire plutôt que d’un café ? D’un atelier plutôt que d’une banque ? Les exigences contractuelles des bailleurs et les indicateurs prévisionnels classiques de chiffre d’affaire et d’emplois créés seront toujours en défaveur des enseignes uniques, productives et multi-activités. Pourtant, elles sont le sel de la ville, là l’urbanité meurt de la multiplication des franchises sans âme.
Emmanuelle Hoss, directrice de la SEMAEST, propose d’imaginer un « indicateur de flânerie », qui permettrait de mesurer les caractéristiques urbaines d’un quartier, d’une rue, d’une succession d’enseignes en mêlant indicateurs objectifs et subjectifs. Un tel indicateur pourrait être mobilisé soit à des fins purement analytique (pour cartographier les espaces) soit pour concevoir des nouveaux quartiers habitables (personne ne « flâne » devant des enseignes franchisées qui font chacune 30 mètres de large) soit pour concevoir des stratégies de transformation de la ville plus précisément informées (l’acteur public et ses satellites doivent-ils investir dans le rachat de ces locaux vacants ? pourquoi ?).
TO DO LIST
• affiner les typologies et trajectoires de commerces qui « font ville » — par leur vitrine, par leur activité, par leur recherche d’implantation micro-locale.
• produire une étude articulant compréhension fine des ressorts de l’espace public au regard des rez-de-chaussée : sociologie des usages, économie des rez-de-chaussée, compréhension des nouvelles mobilités, etc.Acteurs : SEMAEST / FNAU et Agences d’urbanismes / Perspective.brussels /Chambre de commerces / Quelques collectivités pilote de taille différentes / HUB.brussels / Gare & Connections SNCF