Leif Svalesen, un plongeur norvégien originaire du Sørlandet, après de longues recherches avec toute une équipe de passionnés, a fini par découvrir en 1974 dans une petite baie de l’île de Tromøy, à quelques mètres à peine du rivage, l’épave d’un navire du XVIIIe siècle. Il s’agit du Fredensborg, un bateau danois qui fit naufrage le 1er décembre 1768 au cours d’une grosse tempête. Lors des fouilles de l’épave, on a trouvé des fragments d’objets visiblement fabriqués en Afrique, et finalement, lors des dernières plongées, des amas de pièces métalliques rouillées et friables, qui, après de nombreuses tentatives de réconstitution, se révèleront être des chaînes et des systèmes d’attache… Il est d’ailleurs miraculeux que ces pièces en fer — même si elles sont aussi dégradées — aient résisté plus de deux siècles aux attaques de cette eau très salée, l’une des plus corrosives au monde. Fallait-il que le fer soit de très bonne qualité !
Cette découverte a radicalement changé la vision que la Norvège a de sa propre histoire, car le Fredensborg était en effet un bateau négrier danois, dont les voyages sont parmi les mieux décrits dans les archives historiques de Copenhague.
Les informations collectées par Leif Svalesen montrent que la Norvège (qui était à l’époque une colonie placée sous l’autorité du roi du Danemark) était fortement impliquée dans le commerce triangulaire. Cette nouvelle fut un véritable choc pour les Norvégien nes, qui avaient toujours pensé que leur pays était resté à l’écart de ce tragique pan de l’histoire. Ses recherches ont conduit Leif Svalesen au Ghana, où se trouvait Christiansborg, le port-comptoir danois (la Norvège était à l’époque sous domination danoise) à partir duquel étaient embarqué es les esclaves sur le Fredensborg.
Après ces révélations, l’Unesco a invité Leif Svalesen, avec d’autres chercheurs et chercheuses, à rejoindre le comité scientifique permanent de « La route de l’esclavage », qui coordonne les initiatives et activités liées à l’histoire et la mémoire du commerce triangulaire et à la traite des Noir es.
Dans le prolongement de ces initiatives, la ville d’Arendal et le musée Kuben ont adjoint, à l’exposition permanente sur l’esclavage « historique » un module sur les situations d’esclavage contemporain (ou esclavage « moderne »).
L’intention est de souligner la responsabilité directe ou indirecte de la Norvège - et plus généralement des pays riches - dans la mise à l’état d’esclavage de millions d’adultes et d’enfants et qui profite d’une main-d’œuvre soumise à des conditions de travail humainement indigne et sous-payée (ou tout simplement non rétribué).
À partir de l’analyse du « Global Slavery Index » de la Walk Free Foundation, nous avons réalisé une représentation cartographique qui donne une vision globale de cet esclavage moderne.
La fondation a détaillé sa méthodologie et clairement défini la terminologie qu’elle a suivie pour produire cet index très complexe (trafic d’êtres humains, travail forcé, esclavage moderne, travail des enfants, etc).
L’index est la synthèse de trois modules de recherches :
1. Vulnérabilité :
Le premier est un « modèle de vulnérabilité » qui s’appuie sur 24 variables regroupées en quatre dimensions :
Droits sociaux-économiques (y compris la santé)
Sécurité personnelle
Conflits et réfugiés
2. Prévalence :
Le deuxième module regroupe une série d’enquêtes essentiellement qualitatives menées auprès des populations de 160 pays pour mesurer la « prévalence » des situations d’esclavage.
3. Cadre législatif et institutionnel :
Le troisième est une liste/synthèse détaillée de l’état des lois, des dispositions règlementaires, des politiques et des programmes gouvernementaux mis en place (ou pas) pour prévenir les situations d’esclavage moderne.
Autant dire qu’une initiative de cette ampleur n’est pas exempte de risque d’erreur de calculs ou d’interprétation et qu’elle comporte, comme toute fabrication d’index, une part de subjectivité. À cet égard, les auteur
es ont publié tout un chapitre – aussi très bien argumenté - sur les limites de cette étude. Un exemple flagrant des incertitudes et des marges d’erreur possibles : entre le rapport 2016 (qui a servi de base à la création de ces visualisations) et le rapport 2018 publié au cours de l’été, le nombre des victimes en Inde est passé de 18 à 7 millions, les chercheur es ayant affiné les paramètres sur lesquels reposent ces informations. La différence est énorme, mais l’Inde reste tout de même à la première place sur la liste mondiale du nombre de victimes de l’esclavage. Nous publierons certainement bientôt la mise à jour cartographique.Voici une représentation selon deux visions complémentaires :
A - Selon la deuxième catégorie de l’indice (droits sociaux-économiques - y compris la santé) :
Mesure de la dimension « droits sociaux-économiques et santé » de l’index esclavage moderne, 2016
B - Selon les estimations en nombre de victimes (non rapportées à la population), basée sur la prévalence.
Cette première approche visuelle permet d’identifier, à plusieurs niveaux, les situations les plus préoccupantes (Inde, Chine, Pakistan, Ouzbékistan, Corée du Nord ou RDC ) et de mettre en évidence des situations particulières inattendues (Pologne, Roumanie, Italie). Le rapport du Global Slavery index offre des analyses régionales et nationales assez complètes.
Pour mieux cerner les situations régionales, nationales et enfin mondiale décrites par cet index, nous avons accompagné ces cartes d’une collection d’indicateurs variés couvrant l’essentiel des grands problèmes contemporains, que l’on peut croiser et comparer :
2018 | Éducation : | Accès à l’école primaire, 2014-2016 | ||
2018 | Enfance Travail : |
Les enfants au travail, 2012-2017 | ||
2018 | Développement : | Indice du développement humain (IDH), 2015 | ||
2018 | Développement Santé : |
Mortalité infantile, 2015-2016 | ||
2018 | Santé : | Nombre de médecins pour 10 000 habitants, 2016 | ||
2018 | Santé : | Retard de croissance chez les enfants de moins de 5 ans, 2016 | ||
2018 | Démographie : | Âge moyen de la population, 2016 | ||
2018 | Gouvernance : | Index de démocratie, 2016 | ||
2018 | Gouvernance : | Index de perception de la corruption, 2017 | ||
2018 | Communication : | Connexions Internet haut-débit, 2016 | ||
2018 | Discriminations : | Index d’inégalité de genre (IGG), 2015 |
Ces indicateurs, outils d’observation très imparfaits, offrent une vue globale de l’état du monde dans ses grandes dimensions politiques, économiques, sociales et environnementales.
Enfin, il faut noter que chaque carte de cette collection existe en trois langues (français, anglais et norvégien).
Références :
The Transatlantic Slave Trade | Struggles against Slavery (fichier PDF) | Map of the Slave Trade (fichier PDF) | The Unesco slave route project | The Slave Ship Fredensborg : History, Shipwreck, and Find | Leif Svalesen, The slave ship Fredensborgs, Indiana University Press, 2000. | Fredensborgs siste reise – dokumentene forteller | Dansk Vestindien før og nu : Slavernes kyst og slavernes skibe | Fort Christiansborg and the Forging of Modern Ghana, Worcester Cathedral Archive Blog | The Danish national archives : Timeline on the Danish slave trade