Construit sur une île située au milieu de la rade de Marseille, le château d’If a durant plusieurs siècles servi de prison. Il tient sa célébrité du Comte de Monte-Cristo, roman d’Alexandre Dumas dont le héros, emprisonné sur la base d’une dénonciation calomnieuse, parvient à s’évader alors que le château est réputé pour sa sureté. If est aussi remarquable pour l’abondance et la qualité de ses graffitis. Il fut classé monument historique au milieu des années 1920.
Le jeudi 27 septembre 2018, une grande table circulaire fut placée au milieu de la terrasse d’une des tours du château. Marquée en son centre par la mention « Vous êtes ici » et entourée d’un limbe gradué en 360 degrés, elle allait servir de terrain de jeux. Un instrument pivotant autour du centre de la table et muni d’une fenêtre coulissante le long d’une règle graduée permettait de déterminer les deux valeurs, l’azimut et la distance, d’un point géographique.
À l’aide cet instrument, chaque visiteur repérait sur la table, en consultant un système d’informations géographiques, l’emplacement correspondant à son adresse personnelle puis y collait une vignette sur laquelle il avait dessiné un graffiti. À la fin de la journée, une centaine de vignettes indiquaient les lieux de résidence des participant
es. If est alors devenu le centre du monde, ou, pour le moins, le centre à partir duquel a été dressée la carte.Le taux de fréquentation du château varie selon la distance des lieux de résidence : les plus proches sont les plus nombreux. Pour équilibrer ce phénomène, la figuration de la distance était pondérée par un effet de loupe.
Ce mode de production cartographique constitue in fine une table d’orientation. Si la production de cartes conventionnelles apparaît souvent mystérieuse, cette expérience a montré comment, suivant un principe simple à mettre en œuvre — exploité à partir du XVe siècle pour rédiger les portulans [1], dont Marseille était un important centre d’édition —, il est envisageable de produire une représentation spécifique du monde.
À travers cette installation, le château d’If s’est mis en scène de manière collective. La relation habituellement convenue avec le public des expositions était inversée. En contribuant à cette œuvre de façon personnalisée, celui-ci n’a pas seulement été acteur, mais chacun et chacune, avec la singularité de son graffiti, a placé sa propre représentation sur la scène de la région comme pour mieux se contempler.
Le résultat obtenu donne à voir une image assez singulière de Marseille et de ses environs. Cette table d’un jour, dont le périmètre représenté se limitait à quelques dizaines de kilomètres autour de Marseille, préfigure l’intervention qui occupera toute la terrasse de la tour entre le printemps et l’automne 2019.