Cartes peintes d’Afrique du Sud

#art #cartographie #peinture #Afrique_du_Sud #histoire #colonisation #libération

20 septembre 2018

 

Sylvain Guyot, artiste et géographe, explore depuis 1996 les transformations post-apartheid qui ont lieu en Afrique du Sud. C’est dans ce pays défiguré par les ségrégations raciales, lors d’un long séjour doctoral au début des années 2000, que sa passion pour la géographie portée par son inspiration artistique trouve toute son expression.

Les surfaces colorées et les lignes sont les deux principales composantes sémiologiques de ce travail artistico-géographique. Les niveaux de gris, noir et blanc compris, représentent la colonisation et l’apartheid ; les couleurs de l’arc-en-ciel symbolisent la « nation arc-en-ciel » en devenir – et les autres teintes les utopies futures. Les lignes matérialisent les frontières raciales.

texte et images : Sylvain Guyot

Espaces et temps sud-africains

Vers -3 millions d’années : Des Australopithèques vivaient sur les hauts plateaux du veld.

Vers -40 000 et -25 000 ans : Les plus anciens habitants connus ont développé la culture des Bochimans, chasseurs-cueilleurs nomades dont les peintures rupestres sont les seules traces de leur passage.

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Pella.
Acrylique sur carte topographique au 1:50000e(59×77 cm).
Sylvain Guyot

Vers -2 500 ans : Certains Bochimans ont acquis du bétail des régions plus au nord, devenant éleveurs. Les Khoïkhoï, des Bochimans pastoraux, se sont alors déplacés vers le sud, rejoignant l’actuel Cap de Bonne-Espérance. Avec les Bochimans de l’intérieur, nommés San, ils forment le peuple des khoisans.

Vers -1000 : Des peuples de langues bantoues émigrent du delta du Niger.

500 : Ces peuples bantous originaires d’Afrique centrale (région des grands lacs) atteignent la côte sud sur l’Océan Indien et s’installent dans l’actuelle province du KwaZulu-Natal.

1488 : Bartolomeu Dias atteint le cap des Tempêtes (cap de Bonne-Espérance).

1497 : Découverte du Natal par Vasco de Gama.

1652 : Établissement d’une station de ravitaillement néerlandaise au Cap par 90 salariés de la Compagnie hollandaise des Indes orientales commandés par Jan van Riebeeck.

1688 : Deux cents huguenots français rejoignent les 800 administrés du comptoir commercial et sont autorisés à s’établir dans la région du Cap où ils fondent Franschhoek.

1795 : Première occupation britannique du Cap

1818-1825 : Le Mfecane (ou grand dérangement) déplace les peuples bantous de la région sous la force de l’expansion sanglante des Zoulous dirigés par le roi Shaka.

1838 : Victoire des Boers contre les Zoulous lors de la bataille de Blood River.

1840 : La république boer de Natalia est annexée par les Britanniques qui forment alors la colonie du Natal.

1867 : Découverte des premiers diamants à Kimberley puis de gisements d’or dans le Witwatersrand au Transvaal suscitant la convoitise des Britanniques.

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Alexander Bay.
Acrylique sur carte topographique au 1:50000e(59×77 cm).
Sylvain Guyot

1879 : Guerre anglo-zouloue, les Britanniques sont défaits à Isandhlwana mais gagnent la guerre.

1880-1881 : Première guerre des Boers. Défaite des Britanniques.

1887 : Annexion du Zoulouland par les Britanniques.

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Mtubatuba. La colonisation britannique de la forêt zouloue.
Gouache sur carte topographique au 1:50000e (59×77 cm).
Sylvain Guyot
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Blackburn. La Colonisation britannique du Royaume Zoulou.
Gouache sur carte topographique au 1:50000e (59×77 cm).
Sylvain Guyot

Suite à l’annexion du Zoulouland, les Britanniques créent des petites villes industrielles [Mtubatuba et River View apparaissent à travers une résurgence de la carte originelle] et impriment un parcellaire différencié de domaines (Perseverance, Endurance...) et de fermes [sections blanches aux limites noires] qui encerclent les populations zouloues dans des réserves [section colorée située aux marges des parcs naturels de Hluhluwe-Mfolozi]. La section verte correspond à une ancienne zone de chasse royale de Shaka Zulu transformée en forêt protégée.

1899-1902 : Seconde guerre des Boers. La domination britannique sur toute l’Afrique du Sud est assurée par l’écrasement des deux républiques indépendantes. Inauguration des camps de concentration, dénoncés par Emily Hobhouse, dans lesquels périssent plus de vingt six mille civils boers, majoritairement des vieillards, des femmes et des enfants.

1910 : Le South Africa Act crée le dominion de l’Union d’Afrique du Sud regroupant les colonies du Cap, du Natal, du Transvaal et de l’Orange. Louis Botha premier ministre.

1912 : Création d’un mouvement noir sud-africain, le Congrès national africain (l’ANC) à Bloemfontein (État libre d’Orange.

1918 : Naissance de Nelson Mandela dans le Transkei

1936 : Suppression de la franchise de vote des populations noires de la province du Cap. La part des réserves indigènes passe de 7 % à 13 % de la surface du territoire sud-africain.

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King Williams Town. Mandela étudiant à Fort Hare.
Collages et acrylique sur carte topographique au 1:250000e (80×59 cm).
Sylvain Guyot

Cette carte représente l’est de la Province du Cap pendant l’apartheid. Marqués en jaune les territoires réservés aux Blancs, renforcés par le rouge des toponymes locaux provenant pour l’essentiel de la « vieille Europe ». Enclavées entre les limites peintes en noir, les réserves africaines sont transformées en bantoustans (Ciskei et Transkei) dans les années 1960. Mandela a fait ses études secondaires au lycée de Healdtown non loin de Fort Beaufort et ses études supérieures à l’université de Fort Hare. Dans les années 1930 et 1940, ces deux institutions anglophones accueillaient l’élite africaine du pays. Plus tard Fort Hare est devenu l’université du Bantoustan du Ciskei.

1948  : Victoire du Parti National aux élections générales. Daniel Malan est premier ministre et forme un gouvernement exclusivement composé d’Afrikaners.

1949-1954 : Mise en place des principales lois d’apartheid avec l’institutionnalisation de la suprématie blanche.

1950  : Loi d’habitation séparée (Group Areas Act du 27 avril 1950), répartissant racialement les zones urbaines d’habitation.

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Margate : “A village of Happiness”. Une géographie de l’apartheid
Gouache et acrylique sur carte topographique au 1:50000e (59×77 cm)
Sylvain Guyot

Les villes blanches, comme la station balnéaire de Margate « village of happiness », du nom d’une maison de retraite pour vieux Blancs aisés [carte originelle], et leurs périphéries [sections en blanc] sont servies par des zones rurales et des townships africains [sections de carte originelle entourées de noir].

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Port Shepstone Coast. La géographie d’apartheid des Blancs
Gouache sur carte topographique au 1:250000e (59×85 cm)
Sylvain Guyot

Suite à l’application des lois d’apartheid qui prennent le relais des dispositifs ségrégationnistes coloniaux, la Province du Natal est entièrement réservée aux Blancs [carte originelle]. Les territoires réservés aux Noirs - qui ont pris le nom de Bantoustans - sont constitués de multiples poches et enclaves [sections en noir] déconnectées les unes des autres. Elles servent essentiellement de réservoirs de main d’œuvre pour les villes blanches voisines [South Coast du Natal, littoral essentiellement balnéaire] et les plantations de canne à sucre.

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Kosi Bay. La frontière noire
Acrylique sur carte topographique au 1/50.000e (59×77 cm).
Sylvain Guyot

Cette carte représente une des frontières nationales « noires » d’Afrique du sud pendant l’apartheid, séparant le bantoustan du KwaZulu du Mozambique. En réalité, cette carte montre un territoire connecté avec des populations autochtones africaines Thonga vivant des deux côtés de la frontière [sections en niveaux de gris sur la carte], mais sous contrôle politique de l’Afrique du Sud blanche de part et d’autre, surtout durant la guerre civile Mozambicaine (1977-1992). Ponta do Ouro [carte originelle] était alors un bastion de la RENAMO, milice droitière armée par Pretoria et les USA alors opposée à l’armée marxiste de l’indépendance du Mozambique (FRELIMO).

1958 : Mort de Strijdom. Hendrik Verwoerd lui succède. L’idéologie du « Baasskap » est remplacée par celle de développement séparé. Loi sur la promotion de gouvernements noirs autonomes créant les bantoustans sous administration des non blancs.

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Le Bantoustan KwaZulu. La géographie du Grand Apartheid
Gouache sur carte topographique au 1:250000e (85×59 cm).
Sylvain Guyot

L’Apartheid Renversé ? Les lois relatives à la mise en place du Grand Apartheid prévoient l’autonomisation, voire l’indépendance, de territoires réservés à une seule ethnie africaine. Ici, le Bantoustan KwaZulu [sections de carte originelle entourées de gris], territoire autonome réservé aux Zoulous, comprend des zones rurales -anciennes réserves autochtones- et des zones urbaines —townships - localisés à proximité des villes de Durban et Pietermaritzburg. La Province du Natal correspond à une bande côtière subtropicale connectée à un espace intérieur de plus haute altitude [sections noires et grises, présence importante de populations indiennes venues travailler sur les plantations de canne à sucre].

1960 : Massacre de Sharpeville et interdiction de l’ANC, du PAC et des mouvements nationalistes africains. Référendum du 2 novembre sur l’instauration de la république (validée à 52 % des suffrages).

31 mai 1961 : Fondation de la République d’Afrique du Sud. Retrait du Commonwealth. Début de la lutte armée de l’ANC.

1963 : Nelson Mandela est condamné à perpétuité pour terrorisme et les autres chefs de l’ANC, emprisonnés ou exilés.

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Le Cap. Robben Attacks !
Marqueur et collage sur carte topographique, 59×77 cm.
Sylvain Guyot

L’île de Robben Island (collages), prison de Nelson Mandela (durant 18 de ses 27 années de détention entre 1963 et 1990) et de nombreux autres opposants au régime d’apartheid, semble vouloir marcher ou tomber sur le Cap, ville qui semble figée entre noir (espaces urbanisés) et blanc (espaces naturels).

1976  : Répression et état d’urgence suite aux émeutes dans le township de Soweto contre l’enseignement obligatoire en afrikaans. Indépendance du Transkei non reconnue par la communauté internationale.

1986  : État d’urgence. Guerre civile au Natal entre mouvements noirs.

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KwaZulu-Natal : Une cible vers l’arc en ciel ?
Gouache sur carte aéronautique au 1:1000000e (58×78 cm).
Sylvain Guyot

Les incertitudes sont très fortes au KwaZulu-Natal à la veille de l’avènement de la Nation Arc-en-ciel [damier arc-en-ciel encore incertain]. Une guerre civile éclate entre les militants anti-apartheid de l’ANC et ceux de L’Inkatha favorables à l’indépendance du KwaZulu [cible d’AK47 centrée sur Durban]. Le Lesotho, petit pays enclavé dans l’Afrique du Sud, fait figure de refuge [section en noir].

15 août 1989 : Pieter Botha, affaibli par la maladie, démissionne et laisse le pouvoir à Frederik De Klerk.

Février 1990 : Légalisation de l’ANC, du parti communiste sud-africain et de tous les mouvements noirs. Libération de Nelson Mandela.

1993-1994 : Négociations constitutionnelles sur fond de tensions dans les townships et des menaces de l’extrême-droite blanche.

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Port Shepstone. Un arc en ciel écartelé.
Gouache et acrylique sur carte au 1:50000e (59×77 cm).
Sylvain Guyot

La situation reste encore très tendue au KwaZulu-Natal à la veille des premières élections démocratiques multiraciales. Les premiers assouplissements aux lois raciales présentent un pays écartelé où certaines zones s’ouvrent et se pacifient [éclats de territoires colorés] alors que d’autres restent encore très marquées par les stigmates du passé [éclats de territoires noirs et grisés]. Le fond de carte permet de comprendre la grande diversité des paysages [sections de carte originelle].

27 avril 1994 : Entrée en vigueur de la constitution intérimaire. Nouveau drapeau et modification de l’hymne national. Premières élections multiraciales de l’histoire du pays remportées par l’ANC (62,65 %) qui s’impose dans 7 des 9 nouvelles provinces du pays.

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Cape Rainbow.
Acrylique sur carte topographique au 1:50000e (59×77 cm).
Sylvain Guyot

10 mai 1994 : Nelson Mandela devient le premier président noir de l’Afrique du Sud.

1999 : Thabo Mbeki devient le second président noir d’Afrique du Sud. L’ANC accroît sa prépondérance aux élections générales et remporte 7 des 9 provinces sud-africaines.

Le 14 novembre 2006  : l’Afrique du Sud est le premier pays du continent africain à légaliser le mariage homosexuel, avec égalité des droits au mariage entre hétérosexuels. La nouvelle loi entre en vigueur le 30 novembre 2006.

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Durban-Ethekwini. Une ville arc en ciel ?
Gouache sur carte topographique au 1:50000e (73×77 cm).
Sylvain Guyot

Les grandes métropoles sud-africaines sont-elles les creusets urbains de la nation arc-en-ciel ? Elles permettent aux populations de se fréquenter et de se mélanger malgré la persistance de fortes ségrégations sociales. A Durban, seuls quelques milieux intellectuels et artistiques semblent vivre pleinement l’altérité [alternance de bandes colorées avec des bandes de carte originelle].

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Felixton. L’Arc en ciel seulement pour certains.
Gouache sur carte topographique au 1:50000e (59×77 cm).
Sylvain Guyot

Malgré d’importants changements, territoriaux, sociaux et économiques, les héritages ségrégatifs pèsent encore sur les territoires sud-africains. Si les populations noires aisées viennent habiter à proximité des bourgeoisies blanches [sections colorées arc-en-ciel correspondant aux anciennes zones urbaines blanches —ici Empangeni, Felixton et Mtunzini], les autres vivent encore largement entre elles dans les anciens bantoustans [sections de carte originelle] et travaillent pour l’exploitation forestière [section vert clair] ou les plantations de canne à sucre [section vert bouteille].

2009 : Suite aux élections générales du 22 avril remportées par l’ANC (près de 66 % des voix), Jacob Zuma devient le nouveau président sud-africain. L’Alliance démocratique remporte le Cap-Occidental lors des élections provinciales.

2010  : Coupe du monde de football en Afrique du Sud.

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KwaBonambi. Un terrain pour tous ?
Acrylique sur carte topographique au 1:50000e (59×77 cm).
Sylvain Guyot

La coupe du monde de football de 2010 donne au Monde l’image d’une Afrique du Sud prospère, sécurisée et réconciliée. Trouve-t-on un champ pour chacun et un terrain pour tous ? Cette carte évoque la multiplicité des possibles [parcellaire vert bleu] malgré la prégnance de grands territoires encore peu transformés [sections jaunes].  

2011 : Les élections municipales sont marquées par une baisse relative de l’ANC (62 %), qui l’emporte cependant assez largement, et par la montée de l’Alliance démocratique (24 % des voix) qui s’impose dans la majorité des municipalités du Cap-Occidental.

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La Péninsule du Cap. « Notre paradis à nous ».
Gouache et acrylique sur carte topographique (74×95 cm).
Sylvain Guyot

Cette carte de la Péninsule du Cap suggère l’extension de l’urbanisation au contact des vignobles de Constantia et du parc national de la Montagne de la Table [sections avec différentes teintes de vert]. Si quelques populations de couleur vivent dans de très mauvaises conditions de logements [sections en orange], de nombreux riches blancs revendiquent cette péninsule comme étant « leur paradis intouchable » [sections en noir].

Août 2012 : La grève des mineurs à Marikana est réprimée dans le sang : trente-quatre ouvriers sont tués par la police.

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Alexandra Egoli !
Gouache sur carte topographique (59×77 cm).
Sylvain Guyot

Cette carte de Johannesburg, capitale économique du pays, évoque les lignes de fuite des terrils miniers qui ont fait sa richesse : « Egoli », ville de l’or, est le nom alternatif zoulou pour désigner Johannesburg. 

L’arc-en-ciel s’est complètement éclaté sur la ville, symbole des ségrégations persistantes. Un petit carré noir s’insinue au milieu de cette déferlante de couleurs, le township d’Alexandra, véritable ghetto africain retranché au cœur de la ville. 

2012 : Centenaire de l’ANC. Festivités à Bloemfontein, son lieu de naissance.

2013, 5 décembre : Mort de Nelson Mandela à Johannesburg.

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Le drapeau de Bonne-Espérance
Collage cartographique sur drapeau sud-africain (55×75 cm).
Sylvain Guyot

La péninsule du Cap découpe le drapeau sud-africain comme ultime symbole de bonne espérance pour le futur. Robben Island, morceau de carte agrandi, veille sur le Cap, comme un patrimoine mondial entretenant la mémoire des luttes passées, présentes et futures.