Décembre 2023, TGV 5280 voiture 5 place 105, Le Mans-Paris, première étape d’un voyage à destination des Ardennes.
La grisaille de ces dernières semaines a levé le voile pour quelques jours seulement sur un ciel plus lumineux. Une chance. Je referme le livre qui m’accompagne dans ce périple et laisse mon regard se perdre dans le paysage qui défile à grande vitesse. Je n’avais pas fait ce trajet depuis la propagation de la pandémie de covid en 2019. Où sont les haies ? Au fur et à mesure qu’on approche de Chartres elles se raréfient, avant de disparaître totalement. L’agro-industrie n’a de cesse de dévorer le moindre îlot de verdure. « Révolution verte » qu’ils disaient.
On aurait pu penser que cette folle histoire de remembrement initiée par les pouvoirs publics au sortir de la seconde guerre mondiale n’était plus de mise, les arguments en faveur du maintien des haies existantes et de la plantation de nouvelles ayant convaincu durablement l’ensemble de la population, élud’incitations, depuis la fin du siècle dernier, à préserver et replanter ces niches, précieuses pour la biodiversité, les écosystèmes, l’agriculture et la beauté des campagnes, disparaissent encore et toujours de nos espaces ruraux.
es, paysan nes et habitant es. Las. En dépit1,4 millions de km linéaire de haies arrachées depuis 1950 ; 10 400 km par an, en moyenne, entre 2006 et 2014 ; 23 500 km par an entre 2017 et 2021, soit plus du double ces dernières années. C’est l’âme du bocage qu’on anéantit.
Le média Splann a consacré un dossier à la destruction du bocage dans le Nord-Ouest du pays, qu’il résume ainsi :
Les services rendus par le bocage profitent à l’ensemble de la société, mais les agriculteurs sont trop seuls et peu aidés pour en assurer l’entretien ; Les réglementations liées à la haie sont très complexes et hors-sol ; L’agrandissement des fermes et des machines nuit au bocage ; Cette tendance va s’aggraver avec les nombreux départs en retraites et le recul de l’élevage bovin à l’herbe. »
Ne faut-il pas alors aborder la question sous un angle global (la fin de l’agriculture conventionnelle) et local avec une prise en charge partagée des haies entre collectivités, paysan
nes et société civile ?En réalité, les politiques actuelles ne sont pas à la hauteur pour redynamiser, revivifier les territoires ruraux, lesquels nécessitent dès à présent des mesures radicales comme la réduction des surfaces céréalières, la fin des élevages intensifs, la généralisation de la polyculture et de l’agroécologie, la plantation de haies et l’aide à l’installation d’une nouvelle génération de paysan
nes à la recherche de terres accessibles.Dans le cas contraire, la prochaine vague de départs en retraite sans repreneur (reprise trop couteuse) fera le jeu des firmes capables de payer le prix fort pour acquérir de nouvelles surfaces ou agrandir celles déjà acquises. Cette course à l’agrandissement se fait au détriment des haies dont la réglementation vient d’être assouplie pour tenter de calmer la récente colère du monde agricole.
Qu’en disent les images satellites ? La Beauce, au hasard. Lorsqu’il s’agit de remembrement d’emblée je pense à elle. À Villiers-Saint-Orien la bataille est rude entre le bâti qui tente de s’enraciner et l’avancée de la céréaliculture. Il est possible qu’ici l’eau soit polluée par les intrants pétrochimiques comme elle l’est dans le Loir-et-Cher.
Au pays des bassines ? Les prairies ayant été asséchées, certains petits malins ont trouvé judicieux de puiser l’eau dans la nappe phréatique pour la stocker dans des retenues à ciel ouvert (à l’évaporation et à la prolifération d’organismes indésirables). Plus les Shadocks pompaient pompaient, plus la nappe phréatique baissait baissait, plus les rivières et ruisseaux se tarissaient. Génie. À Saint-Denis-du-Payré, en Vendée, la plaine n’est pas structurée par des haies grouillantes de vies mais par des canaux et des bassines.
Ceci n’est pas de la science fiction
Aujourd’hui des monocultures asséchées, des sols stériles, des pollutions à gogo, des campagnes désertes.
Demain changement de cap, l’avenir est dans les champs et l’agriculture vivrière. Ça fait un petit bout de temps que les populations s’inquiètent de voir les rivières se tarir à cause des sécheresses et de l’irrigation du maïs en plein été. La biodiversité périclite, les campagnes manquent de charme, les fruits et les légumes n’y plus cultivés, les villages se vident et meurent. L’agriculture doit cesser d’être un système mortifère.
Des localités ont décidé de faire autrement : collectivités locales, habitant
es et paysan nes travaillent ensemble pour sortir d’une situation insoutenable. Les obstacles et les désaccords ne manquent pas tant revenir sur des acquis peut s’avérer difficile mais tout le monde a conscience que la survie des villages et la vitalité des espaces ruraux dépendent de la qualité de leur environnement et de leur capacité à nourrir les populations avec des bons produits du cru.Cela commence par la plantation de haies bien touffues constituées de grands arbres, d’arbres fruitiers et d’arbustes divers, et la remise en état des sols afin de les assainir et de créer une litière riche en micro-organismes. Quelques hectares de terre et les rivières sont laissées en libre évolution, ici aussi la biodiversité doit revenir durablement.
Agroécologie, agroforesterie, polyculture, permaculture. Du maraichage, des petits rouges, des vignes, des plantes médicinales et aromatiques. Quelques poules, des chèvres, deux trois brebis pour le lait et la laine, des abeilles sauvages. Une paysanne boulangère, un artisan brasseur. Un atelier de transformation pour conserver les fruits et les légumes savourés le temps de la saison creuse.
Une épicerie, une crèche, un café bibliothèque et son programme d’activités culturelles et sociales.
Le bruant jaune.
Vitry-le-François, Marne, 2024
La maigre ripisylve en bordure de la Coole résiste tant bien que mal aux assauts de la céréaliculture. Ces paysages sans haie ni joie sont caractéristiques de la Champagne crayeuse.
Sémoine, Aube, 2053
La source de la Maurienne a été au centre de toutes les attentions. Il suffit parfois d’un petit rien pour faire rejaillir l’espoir d’un avenir désirable. En l’occurence, un peu d’imagination.
Saint-Étienne-à-Arnes, Ardennes, 2024
Des hectares et des hectares de cultures industrielles. Une maigrichonne allée ombragée.
Juniville, Ardennes, 2057
La Retourne et le Ruisseau des Pans ont retrouvé leur liberté ; les terres avoisinantes fertilité, biodiversité, félicité.
Saint-Sulpice-de-Feylerens, Gironde, 2024
Le remembrement sévit aussi dans des régions viticoles. Ces monocultures sont copieusement aspergées de produits chimiques nocifs pour la santé, les sols et l’eau.
Jugazan, Gironde, 2053
Des niches agroécologiques surgissent ici et là. On dirait bien qu’elle vont s’étendre sur tout le territoire.
Le Sauvetat, Puy-de-Dôme, 2024
Des champs de blé et des champs de maïs irrigués. D’immenses rampes d’arrosage qui puisent dans la nappe phréatique en pleine période de stress hydrique.
Pagnant, Puy-de-Dôme, 2061
Voyez-vous ça comme les choses ont évolué ! Vivement 2084 !
Et le bruant jaune.
À écouter
LSD « Une terre qui parle » en quatre épisodes, 30 août - 2 septembre 2021.
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-une-terre-qui-parle