Les pressions des lobbies industriels américains sur la propriété intellectuelle

23 avril 2016

 

par Elizabeth Rajasingh & Philippe Rivière

Elizabeth est chargée de recherche chez Knowledge Ecology International, Washington.

Chaque année, le représentant des États-Unis pour le commerce (US Trade Representative, USTR) publie un Rapport spécial sur la propriété intellectuelle. Il s’agit d’un outil essentiel dans la politique commerciale des États-Unis, qui font ainsi pression sur les pays qui ne se « conforment » pas au régime mondial du droit d’auteur et des brevets.

Ce rapport est fortement influencé par cinq lobbies industriels — les voix des grandes compagnies pharmaceutiques américaines (PhRMA), de l’industrie des biotechnologies (BIO), des éditeurs de logiciels (Business Software Alliance, BSA), de musique et de cinéma (International Intellectual Property Alliance, IIPA), ainsi que le centre mondial pour la propriété intellectuelle de la chambre de commerce américaine (USCC) —, lesquels soumettent leurs propres conclusions, établissant les listes de pays qu’ils souhaitent voir examinés.

Nous avons passé en revue les listes soumises par ces groupes, et noté quels pays sont nommés pour les deux listes de l’USTR, dites « liste de surveillance » (barres pointées) et « liste de surveillance prioritaire » (barres pleines) [1].

En regardant le produit intérieur brut (PIB, représenté ici par les carrés, données de la Banque mondiale) des pays nommés dans ces listes, nous pouvons mettre en évidence le fait que les cibles de ces lobbies sont, pour l’essentiel, choisies sur la base de la taille de leur économie.

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Ainsi :
— En Amérique du Sud, les sept économies les plus importantes ont été mentionnées dans les listes des cinq syndicats industriels. Les cinq plus petites, pas une seule fois ;
— En Afrique du Nord, les deux économies les plus importantes sont ciblées. Les trois plus petites ne le sont pas ;
— En Afrique subsaharienne, seul le Nigeria est ciblé. C’est l’économie la plus importante de la région ;
— Dans la région Asie-Pacifique, 7 des 8 économies les plus importantes sont citées (l’exception étant le Japon), et 11 des 16 pays les plus importants économiquement. Aucun des pays ayant un PIB 2013 inférieur à 162 milliards de dollars n’a été cité ;
— En Amérique centrale, le seul pays cité est celui qui dispose du plus important revenu par habitant (le Panama).

Pour le dire autrement, un pays — en développement ou non — ayant un PIB important a toutes les chances d’être inclus dans ces listes, et soumis à des pressions renforcées pour qu’il augmente la protection de la propriété intellectuelle ; et ceci, d’une manière indépendante des politiques qu’il mène en réalité.

Ces lobbies ont pris l’habitude de cibler les marchés émergents pour les contraindre à implémenter des lois strictes sur la propriété intellectuelle, pour le bénéfice des sociétés américaines et d’autres groupes industriels occidentaux qui travaillent sur des grands portefeuilles de brevets et de copyrights.

Les besoins des citoyens les plus pauvres, en matière de soins de santé (via le renchérissement des prix des médicaments par exemple), ou sur l’accès à la connaissance, ne semble pas faire partie de leurs soucis.


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Le bandeau est un détail du tableau de Marcel Gromaire, « La Guerre », de 1925.

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