L’appel de la cagette

#peuplier #arbre #recyclage #emballage #écologie #environnement #art

18 octobre 2021

 

Les cagettes s’entassent à la sortie de mon épicerie pour partir vers je ne sais quel destin. Leur allure rudimentaire en bois inspire confiance et cependant on ne sait pas grand chose de leur histoire.

par Agnès Stienne

C’était la fin de l’été. La saison avait été caniculaire, le soleil mordant. Au jardin, les plantes avaient terriblement souffert, le saule tortueux avait perdu la plupart de ses feuilles pour limiter l’évaporation de son eau. Ici et là, les branches tarabiscotées s’asséchaient, d’autres, déjà mortes, tombaient. Je les ramassais.

Deux ans déjà que j’avais récolté des capsules de nigelles de Damas, conservées dans une coupelle posée sur la console de la salle à manger. Je les montais sur les branches de saules, les transformant ainsi en petits mobiles sitôt fixés au plafond de la maison. Des objets tout simples, gracieux, légers, poétiques. Je sortais alors chaque jour sillonner les rues, parcs et jardins publics à la recherche de graines diverses et variées. Ce fut pour moi l’occasion de découvrir toute une diversité de formes, de tailles et de teintes d’éléments végétaux particulièrement décoratifs : graines, capsules, samares, akènes, gousses, siliques et autres schizocarpes. C’est à partir de cette collection que je réalisais des « arbres à graines », des sculptures à même d’éveiller le regard du public à toutes ces merveilles devant, ou dessous, lesquelles on passe sans les voir.

Je stocke tous ces petits bijoux précieux dans des cagettes récupérées au magasin bio du coin. J’adore les cagettes. De chaque côté de la terrasse du jardin était accrochée sur le mur blanc une cagette affublée de quelques riens hétéroclites posés à l’intérieur : un nid de merle, une écorce de platane, un morceau de verre bleu, un pot de fleur en zinc, un bougeoir, des petites choses sans importance... Déjà compositions originales. Elles étaient là, étonnantes et badines, à regarder passer le temps.

Et moi je regardais les cagettes. Avec soudain un regard nouveau. Quelle industrie peut bien se cacher derrière cet emballage anodin qu’on jette d’un geste négligé ou que l’on brûle après un unique usage ? Et les palettes ? Et les allumettes ?

J’allais faire de ces cagettes, si pratiques mais si maltraitées, des boîtes précieuses enrichies de graines récoltées à l’automne dernier, des écrins, des œuvres d’art. Puis vint le temps de se pencher sur leur production.

Le peuplier blanc

Cagettes, palettes et allumettes sont en peuplier banc, Populus alba, aussi appelé peuplier de Hollande, blanc de Hollande, peuplier à feuilles d’érable, peuplier argenté, franc picard, aube, abèle, ypréau ou piboule. Il préfère les sols humides non marécageux mais s’accommode d’un peu de sécheresse et supporte une légère salinité. Il peut atteindre 20 à 30 mètres de haut et vivre 200 ou 300 ans, voir 400 ans pour les plus robustes.

Sa culture est la populiculture, facilement identifiable par ses alignements stricts et espacés. Peu comparable à la sylviculture, la populiculture s’apparente à la culture industrielle dont elle adopte les mauvaises manières : sélection, reproduction par bouturage, drainage du sol, labours, utilisation d’intrants chimiques.

Les arbres n’ont pas le temps de développer leurs réels potentiels écologiques d’arbres, on les coupe dans leur prime jeunesse vers 15 ou 20 ans pour la fabrication d’emballages. Des emballages à usage unique.

Publié par l’IGN, le Mémento recense chaque année l’inventaire forestier du pays. En 2016, les peupleraies occupaient 170 000 ha, 200 000 en 2020.

Pourtant, en Bretagne et en Poitou-Charente on se plaint d’une pénurie de peupliers blancs pour la fabrication d’emballages légers en bois que sont les cageots pour le conditionnement des fruits et légumes et les bourriches pour celui des coquillages et crustacés, notamment les huîtres. Les régions en appellent au replantage de peupleraies à l’échelle locale, pour toujours plus d’emballages à usage unique.

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Peupleraies en France métropolitaine, Agnès Stienne, 2021.

Recyclage

Fut un temps où les cageots, plus solides que ceux fabriqués aujourd’hui, servaient plusieurs fois pour transporter les productions maraichères et fruitières, mais dans une société du tout jetable, on préfère produire à n’en plus finir des objets plus fragiles à usage unique plutôt que d’en concevoir de réellement durables.

Pour justifier le non retour des cagettes vers les lieux de production, le Siel, le Syndicat national des industries des emballages légers en bois, avance des coûts de transport supplémentaires. Or les emballages neufs doivent eux aussi être acheminés vers les sites de productions alimentaires. C’est donc un faux prétexte.

Par ailleurs le syndicat ne remet pas en question la conception de ces emballages trop éphémères, ce n’est pas son intérêt. En revanche, il préconise leur recyclage pour le paillage, la fabrication de panneaux de particules et le chauffage. Pourquoi pas, sauf pour le chauffage. Le peuplier est un bois tendre et à ce titre, un combustible très médiocre tout juste bon à allumer le feu dans la cheminée.

Si l’hypermarché Auchan du Mans a pu se doter de broyeurs pour le recyclage de ses cagettes, c’est qu’il en a les moyens, mais ce n’est pas le cas des supermarchés plus petits, encore moins des épiceries et des marchés forains. Et puis ça ne résout pas le problème du manque de ressources, phénomène qui ne fera que s’aggraver si l’on relocalise le maraîchage et la culture fruitière.

L’appel de la cagette

Depuis la populiculture mécanisée, la fabrication des emballages en bois et leur recyclage, toute la chaîne de fabrication emploie des machines gourmandes en énergies. Le cycle vertueux de la cagette durable est illusoire. Alors produisons moins de cagettes mais plus robustes pour les remettre dans le circuit des conditionnements et de transport des aliments.

Et s’il faut replanter, replantons. Mais pas des peupleraies monospécifiques, ah non. Débétonnons les berges de nos cours d’eau —ce n’est pas cela qui manque— et stabilisons-les avec des essences adaptées aux sols humides, tel le peuplier. Ce serait tout bénéfice. Pour l’industrie de l’emballage, pour prévenir des inondations, pour la biodiversité et pour le bien-être des habitantes. Il fait si bon flâner le long d’une rivière, à l’ombre de peupliers au feuillage bruissant doucement dans le vent.

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Berges plantées, berges artificialisées et inondations, Agnès Stienne, 2021. D’après un schéma du Biomimicry Institute.

Mieux. Cessons d’arracher des arbres jeunes, laissons le réseau racinaire se développer, le tronc se développer et devenir plusieurs fois centenaire, les petits animaux s’y réfugier et formons des trognes (ou tétard ou trognard). Cette forme de taille a permis pendant des siècles à la paysannerie de se fournir en bois de construction, manches d’outil ou petit bois. Dans un ouvrage tout récent, Les Trognes, l’arbre paysan aux mille usages, son auteur, Dominique Mansion, en énonce toutes les vertus et avantages. Le peuplier est une essence qui se prête merveilleusement à ce type de taille. Enchantons nos sentiers et chemins creux de ces silhouettes étranges et mystérieuses.

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Trogne de chêne le long de la rivière du Bono, Agnès Stienne, 2020.

Cagettes entrées en résistance

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Ciel étoilé sur la Sarthe, Agnès Stienne, 2021.
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Sans titre, Agnès Stienne, 2021.
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Orage, Agnès Stienne, 2021.
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Les Ourses et le Dragon, Agnès Stienne, 2021.
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Respiration, Agnès Stienne, 2021.
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Rhapsodie, Agnès Stienne, 2021.
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Rouge !, Agnès Stienne, 2021.
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Le champ des sirènes, Agnès Stienne, 2021.
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Arbre caché dans la forêt, Agnès Stienne, 2021.
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Le salon bleu, Agnès Stienne, 2021.
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Vert-de-gris, Agnès Stienne, 2021.
La forêt brûle, la forêt pleure, la forêt saigne, Agnès Stienne, 2021.


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Sonate d’automne, Agnès Stienne, 2021.
Mon cœur balance, Agnès Stienne, 2021.