L’évolution — négative ou positive — de la population russe dans le Caucase-Nord peut être interprétée comme une sorte de « baromètre » des conditions socio-économiques de la région. Les raisons de cette baisse sont multiples, mais l’une d’elles est sans doute la « fatigue » d’une population à qui Moscou promet de nombreux projets de développement sans jamais les entreprendre.
Mais les Russes ne sont pas les seuls à quitter le district : la tendance touche aussi d’autres peuples du Caucase-Nord.
Tout d’abord, le Caucase-Nord est sans doute la région la plus polyethnique de toute la Russie, avec des Républiques, comme le Daghestan, dans lesquelles coexistent plusieurs dizaines de peuples, de langues et de religions différentes.
Ensuite, les évolutions démographiques et sociales, comme dans le district de Stavropol, sont si rapides que les autorités statistiques ne peuvent ni suivre ni rendre compte de ces changements. Pour comprendre ce qui se passe, il faudrait pouvoir redescendre à un niveau de précision statistique inatteignable : la municipalité, le village voire le quartier.
Les méthodes de comptage du recensement 2010 faussent les résultats sur la composition ethnique des populations : les informations sur l’origine ou la destination des migrants ne figurent plus sur les tableaux statistiques.
Pour comprendre l’évolution de grandes villes comme Makhachkala, Stavropol et Naltchik, il faudrait revenir à des méthodes de recensement plus précises et plus « dynamiques » au sens géographique du terme. Malgré le déficit de précision dans ces statistiques, il est possible de percevoir quelques tendances.
Il y a bien un « exode rural », les populations des petites villes et de certaines zones rurales ont tendance à migrer vers les grands centres urbains — non seulement du Caucase-Nord, mais aussi d’autres régions plus lointaines de Russie, lesquelles d’ailleurs ne sont pas forcément prêtes à accueillir un aussi grand nombre de migrants. Les grandes agglomérations n’ont pas les moyens de mettre en place les infrastructures et construire les logements nécessaires pour répondre à un tel afflux de population.
À Stavropol, par exemple, le nouveau quartier de logements sur Perspektivny n’est qu’une succession d’immeubles de douze étages, construits de manière aussi serrée que possible pour économiser l’espace… Il y a là 8 000 logements dans un quartier sans éclairage, et où les infrastructures sont réduites au strict minimum. Pratiquement pas de jardin d’enfants, d’écoles, de centres de santé, de maisons de la culture, ni même de commissariats de police.
Les petites et moyennes agglomérations, comme Neftekumsk ou Karachaevsk, ont accueilli une population venue des zones rurales. Mais à la différence de la période soviétique, ces petits centres urbains ne sont plus aujourd’hui capables d’offrir des services et des infrastructures à une population croissante. Ces migrants poursuivent donc leur chemin vers des villes plus importantes pour pouvoir bénéficier d’une gamme de services plus diversifiée. Ce qui, d’une certaine façon, transforme ces villes moyennes en « centres de transit ».
Dans les zones rurales, en montagne ou en plaine, les populations sont très éparpillées. Au cours de nos recherches, nous avons procédé à des petits recensements ponctuels dans certains villages, et constaté une différence (négative) de 20 % à 30 % avec le recensement officiel, lequel semble systématiquement surestimer la population.
Depuis quelques mois, les médias — qui n’ont visiblement pas peur des mythes et des stéréotypes — rappellent fréquemment que la population russe du Caucase-Nord diminue et est « remplacée » par une population « caucasienne », ce qui expliquerait, selon eux, que les tensions ethniques persistent et se développent dans toute la région !
Toujours selon le recensement de 2010, la population russe a sensiblement diminué en pourcentage, mais pas tellement en chiffres absolus. Dans l’ensemble du district, les Russes représentaient environ 3 millions de personnes en 1989 pour 2,8 millions en 2010. Mais durant la même période, les populations caucasiennes ont très fortement augmenté, en pourcentage et en volume (passant de 4,2 à 6, 5 millions de personnes).
La population russe a diminué en part relative pour deux raisons.
Il y a d’abord la croissance naturelle : le taux de fécondité de la population russe, qui était moins élevé que celle des populations caucasiennes, s’est écroulé depuis deux décennies. Dans les territoires septentrionaux, la population russe, qui représente 80 % environ, a vieilli beaucoup plus vite que celles des républiques dans le sud.
Par ailleurs, le population russe migre en masse. Le solde migratoire est très largement négatif. Aucun jeune enseignant, médecin ou ingénieur ne prend la peine de faire le voyage en sens inverse pour venir s’installer dans le Caucase-Nord, comme c’était le cas pendant la période soviétique. Les autorités estiment qu’environ 40 000 à 50 000 Russes quittent le district chaque années. Les peuples caucasiens migrent aussi, mais essentiellement à l’intérieur de la région, principalement pour rejoindre des grands centres urbains ou des régions rurales stables.
Distribution géographiques de quelques nationalités dans la région du Caucase-Nord :