Leur histoire commence le 9 avril 1989, dans la région du fleuve Sénégal, en Mauritanie, où des affrontements éclatent entre bergers peuls mauritaniens et paysans soninkés. Ces heurts dégénèrent, les victimes se comptent par dizaines de milliers. Par ailleurs, entre 1989 et 1991, l’armée mauritanienne va expulser vers le Sénégal et le Mali plusieurs centaines de milliers de Négro-africains (en majorité des Soninkés, mais aussi des Bambaras, des Wolofs et des Peuls) dont il refusent de reconnaître l’appartenance à l’entité nationale mauritanienne. 122 villages au moins seront ainsi effacés de la carte de la Mauritanie.
Lorsqu’ilsHCR dans des camps de réfugié es. Depuis vingt-trois ans, ils y vivent dans un état de très grande précarité, renforcé par la quasi-impossibilité de travailler.
elles arrivent au Sénégal, ces Mauritanien nes sont d’abord accueilli es et logé es dans des hangars, puis regroupé es par leDans les quartiers périphériques les plus pauvres de Dakar, ilsCFA par mois (25 euros). Les entreprises sénégalaises répugnent à les employer, ce qui les contraint à des petits boulots non déclarés — et sous-payés : domestiques pour les femmes, et gardiens pour les hommes. Ils elles refusent aussi, bien que la possibilité leur soit ouverte, de devenir citoyen nes sénégalais es, afin de ne pas donner raison à ceux qui les ont expulsés il y a deux décennies sous le prétexte qu’ils n’étaient pas de « vrais » Mauritanien nes…
elles louent de petits logements, qu’ils elles payent environ 15 000 francsEn 2008, le HCR a initié un projet pour rapatrier ces derniers réfugié es vers la Mauritanie. Mais ils elles restent méfiant es, constatant que tous ceux qui ont accepté de revenir ces dernières années n’ont toujours récupéré ni leurs biens, ni leurs maisons… et sont encore loin des conditions de vie qu’on leur avait alors promis. L’accord-cadre prévoyait en outre que, au bout de trois mois, ils elles auraient des papiers. Quatre ans plus tard, ils elles ne les avaient toujours pas reçus.
Face à cette impasse, les réfugiéHCR à Dakar en juin 2012, pour entamer une grève de la faim et exiger leur réinstallation dans un pays tiers où leurs droits pourraient être respectés.
es mauritanien nes se sont regroupé es devant le siège duVoici quelques extraits des témoignages recueillis pendant l’été 2012.
Un des porte paroles des réfugiés :
Nous, les réfugiées mauritanien nes au Sénégal, nous avons un problème de survie, il est difficile d’avoir des activités génératrices de revenus. Nous avons des problèmes de logement et de santé. Vivre tous ensemble dans la même pièce n’est pas dans notre culture, et en plus, nous habitons dans un quartier de Dakar qui est très souvent inondé. Et nous n’avons pas d’argent pour nous soigner ou aller à l’école. Lorsque nous avons été déporté es, nous avons tout perdu : nos papiers et notre identité. Nous sommes arrivé es avec les habits que nous portions sur nous ce jour-là. C’est tout. Dans ces conditions, c’est difficile de recommencer... »
Guedade :
J’avais 14 ans en 1989, les militaires sont venus dans la nuit. J’ai entendu des bagarres, des tirs, il y a eu des morts. Mon père était douanier. ArrivéCFA par mois. J’habite dans une maison souvent inondée dans la banlieue de Dakar ; malgré cela, je paye ma chambre 15 000 francs CFA. C’est cher… Ce sont des chambres qui n’ont même pas de porte, et où l’on vit à plusieurs. Il ne nous reste pas beaucoup pour vivre. Quand les patrons voient qu’on a des papiers de réfugié es, ils ne veulent pas nous embaucher. Du coup, nous sommes obligé es de travailler comme domestiques. La plupart des femmes sont veuves, célibataires ou ont été abandonnées par leurs maris. C’est dur de faire la grève de la faim, je souffre de maux de tête. »es au Sénégal, on a passé deux mois à Thiès, dans un hangar avec pleins d’autres réfugié es. Puis on a été transféré es dans un campement de bâches avec plein d’autres réfugié es. On y a passé quinze ans… Mon père est mort dans ce camp. J’étais à l’école mais je n’ai pas pu continuer car je n’avais pas assez d’argent. Je me suis mariée avec un autre réfugié mauritanien, avec qui j’ai eu une fille, mais maintenant je vis seule. Je travaille parfois comme domestique, on me paye entre 20 000 et 25 000 francs
Hadjara :
En 1989, ils sont venus à l’aube pour nous déporter. Ça a été très violent. On a dû abandonner toutes nos affaires et tous nos biens. Arrivées au Sénégal, on a vécu dans une école, on travaillait dans les champs, on partageait un peu de terre avec d’autres réfugié es. J’ai cinq enfants, trois garçons et deux filles. Je suis divorcée et j’ai dû les élever toute seule. C’est très difficile pour mes enfants de vivre ici. Depuis que j’ai commencé la grève de la faim, on m’a amenée à l’hôpital car j’étais trop faible. Je suis asthmatique, j’ai des vertiges. »
Aissatou :
Quand j’étais en Mauritanie, j’étais femme au foyer et mon mari travaillait dans le commerce. Nous avions beaucoup de biens, nous avons absolument tout perdu. Ils sont d’abord venus chercher mon mari, moi-même et notre enfant. Nous avons été tabassés, il y a eu beaucoup de violences. Nous sommes arrivés au Sénégal le lendemain matin. Mon mari n’a pas supporté de vivre tout ça, il est parti, il nous a abandonnés avec mon fils, qui est maintenant devenu un adulte de 27 ans. Nous avons de grandes difficultés pour l’alimentation, l’éducation, le logement. On est obligés de dormir dans la même chambre. Ce n’est pas bien qu’on vive et qu’on dorme dans la même pièce, mais nous n’avons pas d’autre solution. Mon fils me pose des questions sur la Mauritanie, il ne connaît pas son pays, il avait quatre ans quand on a été déportées. »
Malagui :
J’avais 13 ans en 1989… Je suis venue ici avec ma famille. Je me rappelle bien que les policiers sont venus le matin à la maison, ils nous ont dit qu’il y avait un problème avec notre nationalité, que nous étions des Sénégalais. Ils nous ont déshabilléHCR avait installées, puis on est venu à Dakar. Mon mari est malade, c’est moi qui travaille pour soutenir la famille. »es et nous ont tout pris. On a ainsi dû traverser la frontière. Je n’ai pas pu retourner à l’école. Je me suis mariée avec un autre réfugié mauritanien. J’ai eu sept enfants. Au début je vivais dans la vallée du fleuve, dans les tentes que le
Fatimata :
Lorsque les événements de 1989 ont éclaté, je vivais à Nouâdibhou. Les militaires m’ont demandé des documents sur ma nationalité, puis ils m’ont dit qu’ils étaient faux. Ils ont alors mis mon mari en prison. Je n’ai depuis aucune nouvelle de lui. Apparemment, il est mort après avoir été torturé. On m’a expulsée vers le Sénégal. J’étais seule et enceinte. Mes trois enfants sont encore restés pendant une année, puis, grâce à la Croix-Rouge, j’ai pu les faire venir ici. C’était dur, dur, dur, dur… En Mauritanie j’étais sage-femme, et ici, j’ai dû me mettre à travailler la terre pour donner à manger aux enfants. Un de mes fils a décidé de tenter sa chance en Europe. Il est parti pour le Mali, dans l’espoir d’atteindre l’Europe via l’Algérie. Il a été arrêté au Mali ; il a passé un an en prison, où il a eu un problème aux yeux. Il est finalement rentré au Sénégal. C’est difficile tenir le coup. »
I. B. :
J’étais gendarme en Mauritanie. Quand je suis arrivée au Sénégal après les événements de 1989, les Sénégalais ne me faisaient pas confiance, ils croyaient que j’étais membre des services secrets mauritaniens. Maintenant, je fais la grève de la faim, les gens du HCR nous regardent mourir de faim sous leurs yeux sans rien faire. De 1989 à 1995, 18 000 enfants de réfugié es mauritanien nes sont né es au Sénégal. Nous savons que celles et ceux qui sont rentré es ont eu des problèmes, ils ne peuvent pas retourner dans leurs villages d’origine, ou dans leurs maisons. Ils habitent à quelques kilomètres de chez eux, exactement comme des réfugiés. Celles et ceux qui ont essayé de récupérer leurs biens ont été frappé es. »
Fama :
J’avais 25 ans en 1989. Quand les militaires sont venus nous chercher j’étais avec mes enfants, mon mari était au travail. Ils sont allés le chercher, et ils nous ont expulséHCR, qui m’a répondu n’avoir pas de fonds pour le moment. J’ai finalement trouvé de l’argent à gauche à droite, et j’ai fait des analyses qui m’ont coûté 50 000 francs CFA (soit 80 euros), et j’ai découvert que j’avais un cancer. Quand j’ai apporté ces résultats au HCR, on m’a répondu qu’on pourrait trouver des fonds pour me soigner. Je fais la grève de la faim pour mes enfants. L’un d’eux l’a fait d’ailleurs aussi. J’ai divorcé il y a 16 ans, notre vie au Sénégal était trop dure, mon mari était devenu comme fou… »es par avion vers le Sénégal. Quand ils sont venus nous chercher, ils ont fait n’importe quoi... Des gestes déplacés... Nous avons vécu dans la vallée du fleuve Sénégal jusqu’en 2011, date à laquelle je suis venue à Dakar car j’étais malade. Je devais faire des analyses, mais ça coûtait trop cher. J’ai demandé au
Haby :
J’avais 7 ans en 1989. Mon père est mort dans les combats, et ma mère peu après. Je me suis retrouvée toute seule dans le camp de réfugiés. Quand j’ai eu 14 ans, je suis venue à Dakar pour travailler. Le fait de ne pas avoir de carte d’identité m’a empêché de trouver un vrai travail. Je lave donc le linge, je fais du nettoyage. J’ai mal au ventre avec la grève de la faim, j’ai des problèmes d’ulcère. Mais je n’ai pas d’autre choix. »