D’acier et de béton

#entrepôts #logistique #commerce #infrastructure #territoires

3 mars 2024

 

Ici poussait du blé, là des tournesols, ailleurs des patates, des framboises et des oignons. Des arbres fruitiers, des fossés, des haies sculptaient des paysages ruraux vivants, garants de la vitalité des campagnes. Les terres ont été rasées. Des routes tracées, des dalles de béton coulées, des tonnes de ferrailles dressées sur des milliers de m2. Des rampes d’accès numérotées à intervalles réguliers. Un trafic routier intensifié. Artificialisation des sols, destruction des paysages, anéantissement des écosystèmes, pollutions diverses, des impacts largement négatifs sans réels bénéfices pour les communautés locales. Place aux entrepôts logistiques.

par Agnès Stienne

Implantés de plus en plus souvent à l’écart des centres urbains (et des regards critiques), adossés à un réseau routier, les entrepôts logistiques s’imposent partout sur le territoire. Le député Charles Fournier (rapporteur avec Sandra Marsaud d’une mission d’information sur le déploiement des entrepôts de grande taille) et quelques médias (références en fin d’article) s’inquiètent de l’essor du phénomène – soutenu depuis une dizaine d’années par les pouvoirs publics –, de la disproportion des réalisations et de l’opacité qui les entoure.

Leurs enquêtes révèlent que ces monstres d’acier cachent un marché immobilier spéculatif, exerçant de surcroît une pression sur les espaces naturels, agricoles et forestiers (NAF). En effet, un des objectifs de la loi Climat et résilience vise à préserver les sols vivants et d’atteindre zéro artificialisation nette en 2050. Pour les promoteurs, c’est maintenant ou jamais, du moins en théorie.

Méga entrepôts en Sarthe

Après la tentative avortée d’Amazon de s’installer en région Pays-de-la-Loire, des opposantes sarthoises organisées en plusieurs collectifs répartis sur le département ont initié une veille susceptible de repérer les projets d’entrepôts. Dix entrepôts logistiques sont dans les cartons, tous implantés en zone rurale sur des terres agricoles déclassées avant d’en autoriser l’artificialisation : 430 000 m² (43 ha) de bâtiments et une emprise au sol de 107 ha. Huit d’entre eux sont dits « locaux blancs » c’est-à-dire qu’aucune entreprise identifiée n’est candidate à l’exploitation ou utilisation de ces boîtes métalliques au moment de leur construction. Sur le fond, rien ne justifie de telles entreprises, c’est du pur business. C’est d’autant plus choquant que le département est déjà bien pourvu en entrepôts toutes catégories et en friches urbaines.

L’un d’eux, gigantesque, devrait se matérialiser par un bâtiment de 126 000 m² (12,6 ha) sur 33,4 ha de terres situées à Cherré-Au dans une zone désormais dédiée à cette activité. Porté par le groupe singapourien GLP, le projet est, malgré sa démesure et son aspect spéculatif, soutenu par le maire de la commune. Économie… emplois… on connaît la chanson.

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La Sarthe des entrepôts logistiques
Agnès Stienne

L’enquête publique a recueilli 107 contributions dont le commissaire enquêteur en charge du dossier se fait l’écho : 4 pour, 4 dubitatives et 99 contre. Les avis contre s’interrogent sur « la pertinence du projet face aux enjeux climatiques, l’impact routier principalement dans l’agglomération de la Ferté [...] et ses nuisances (pollution de l’air, nuisances sonores, circulation difficile), les effets de cette artificialisation pour ce projet, un emploi considéré surestimé et de faible qualité et tous les autres thèmes concernant les impacts environnementaux irréversibles et inacceptés par les contributeurs (impacts sur l’eau, la biodiversité, les pollutions, le climat). »

Le commissaire enquêteur a pour sa part émis lui aussi un avis défavorable. En cause, des impacts environnementaux sous-évalués, des paramètres non pris en compte et de fausses informations. Par exemple, les eaux usées seraient déversées, après filtration, dans un fossé alimentant une zone humide entretenue par éco-pâturage ; deux captages d’eau potable, dont le rayon de protection n’est pas encore défini, sont installés à 500 m du site ; les nuisances dues au trafic routier sont très en deçà de la réalité ; et ce détail : « GRT Gaz précise ne pas accepter de nouvelles populations du fait de la présence de la canalisation gaz et de sa zone de servitude d’utilité publique impactant le projet, avec risque létal. »

C’est un avis consultatif, la décision revient au préfet de la Sarthe.

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Artificialisation des sols dans plusieurs villes sarthoises de 2011 à 2021
Agnès Stienne

Au-delà des impacts directs sur les sites d’implantation, ne sont jamais pris en considération les dégâts causés par l’extraction, ailleurs, des matières premières servant à construire ces monstres d’acier et de béton dont la durée de vie, selon Charles Fournier, n’est que de 15 à 20 ans.

Artificialisation des sols en Sarthe

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Artificialisation des sols en Sarthe de 2011 à 2020
Agnès Stienne

L’État des lieux de la sobriété foncière en région Pays de la Loire publié en octobre 2022 indique que 10 % des sols du département étaient artificialisés en 2020 dont 2,5 % en voiries, soit un quart des surfaces bétonnées. L’étalement de la ville de La Flèche n’a plus de limite. On voit sur le graphique suivant l’extension importante des zones d’activités concernées par la présence d’entrepôts logistiques. Chose curieuse : l’étude révèle qu’entre 2016 et 2021 la démographie de la Sarthe a diminué de 0,4 % tandis que l’artificialisation des sols a augmenté de 2,5 % dans la même période.

Réferences :

 Léa Guedj et Cha Gonzalez, Bâtiments vides, spéculation… Le business des entrepôts logistiques, Reporterre, 13.02.2024

 Léa Guedj et Cha Gonzalez, Les entrepôts logistiques, le Far West du marché de l’immobilier, Reporterre, 14.02.2024

 Enquête sur les grands entrepôts logistiques, France Inter, 13.02.2024.