Concurrences frontalières et partage de l’Arctique

#Arctique #frontières #transport_maritime

11 octobre 2015

 

Commencée dès le début du XXe siècle, la « conquête » de l’Arctique se poursuit avec l’ambition des États riverains d’étendre leur contrôle au-delà de 200 milles nautiques. Le partage de l’espace arctique et la délimitation des zones de souveraineté fait l’objet d’intenses discussions entre ces États. Ceux-ci ont chacun leurs revendications qui, en maints endroits, se superposent. Ils ne manquent pas d’arguments pour se battre et affirmer le bien fondé de leurs exigences dans un espace où le droit international est encore très embryonnaire.
 

Par Philippe Rekacewicz

Géographe et cartographe
Cette contribution est une adaptation mise à jour en 2015 et 2024 d’un texte paru en 2006
dans l’Atlas du Monde diplomatique en accompagnement de la carte du partage de l’Arctique.

 
 
La Russie, le Canada et le Danemark se disputent, entre autres, la dorsale de Lomonossov, qui permettrait d’exercer une juridiction sur les fonds marins du pôle Nord. Ces revendications ont été soumises à la Commission des limites du plateau continental des Nations Unies, qui doit décider des possibilités d’extension des zones concernées, mais non de leur délimitation.

Le réchauffement climatique rend de plus en plus vraisemblable l’utilisation pérenne des deux voies, praticables actuellement quelques semaines par an : le passage du Nord-Ouest, qui traverse l’archipel arctique canadien, et le passage du Nord-Est, qui longe les côtes de la Sibérie.

Un des principaux points de tension est le contrôle des routes maritimes qui longent le Canada d’une part, la Russie d’autre part. Dans le contexte du réchauffement rapide de la température dans cette région du monde — et de la fonte de plus en plus précoce des zones englacées, ces deux pays comptent bien ouvrir d’ici quelques années des routes commerciales permanentes le long de leurs côtes - en fait il existe déjà une circulation, mais elle reste relativement limitée. Cela permettrait une nette réduction des distances et des coûts. Le trajet reliant Tokyo à Amsterdam est de 23.000 kilomètres si l’on passe par le canal de Panama et de 21.000 kilomètres par le canal de Suez, mais seulement de 15.500 kilomètres par le passage du Nord-Ouest et de 13.500 en longeant les côtes russes.

Le Canada considère que le passage du Nord-Ouest relève de son entière souveraineté, tandis que les États-Unis et l’Union européenne estiment que ces eaux relèvent du régime international des détroits, qui autorise le transit à tout navire quel que soit son pavillon. Ceci ouvre un conflit avec le Canada qui peut concevoir des formes de coopération (déjà existantes pour les aspects militaires), mais entend garder la pleine souveraineté sur ses espaces maritimes. Par ailleurs la voie longeant la Russie (passage du Nord-Est) traverse plusieurs mers reliées par des détroits considérés par la Russie comme appartenant à ses eaux intérieures.

Ces querelles devraient rebondir alors que commence l’exploitation de la zone : l’Arctique recèle des réserves en hydrocarbure, dont le volume réel reste encore inconnu. On exploite déjà certains gisements en Alaska ou en Sibérie, et on se prépare à faire de même avec d’autres espaces maritimes dès que les accords frontaliers seront signés. Si le conflit frontalier en mer de Barents entre la Norvège et la Russie a été réglé en 2010, les États-Unis et le Canada poursuivaient encore en septembre 2024 les négociations pour le contrôle du plateau continental de la mer de Beaufort.

Cela dit, au Canada, l’opposition des premières nations reste très forte. L’exploitation des gisements de gaz du delta de Mackenzie, par exemple, est en attente depuis plusieurs décennies. La disparition de l’Union soviétique a permis une évolution vers de nouvelles formes de coopération dès le début des années 1990. En 1993 a été créé le Conseil euro-arctique de Barents, et en 1996 l’Arctic Military Environmental Cooperation (AMEC) par les États-Unis, la Norvège, la Russie et le Royaume-Uni, pour encadrer la coopération en matière de prévention des contaminations radioactives et autres pollutions générées par des activités militaires ; enfin est instauré le Conseil de l’Arctique, censé encadrer la coopération et la coordination de tous les États riverains de l’Arctique, avec la participation des communautés autochtones sur des problèmes communs. Toutefois, ces initiatives politiques ont été fortement mises à mal par l’invasion russe en Ukraine en février 2022.

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Titre : Partager l’Arctique (version « esquisse crayonnée »)
Mots-clés : #Arctique #frontières #États-Unis #Russie #Danemark #Norvège #Danemark #transport #Transport_maritime #ressources_naturelles #pétrole #énergie
Apparition(s) : La Cité (Genève), 2015 ; différentes publications et revues en 2007, 2008, 2009, 2011 et 2013. Cette carte a été présentée à la conférence Planetary Security à La Haye aux Pays-Bas (2-3 novembre 2015).
Auteur : Philippe Rekacewicz
Date de création : 2006, mis à jour en 2015
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Titre : Partager l’Arctique (Version « digitalisée »)
Mots-clés : #Arctique #frontières #États-Unis #Russie #Danemark #Norvège #Danemark #transport #Transport_maritime #ressources_naturelles #pétrole #énergie
Apparition(s) : La Cité (Genève), 2015 ; différentes publications et revues en 2007, 2008, 2009, 2011 et 2013. Cette carte a été présentée à la conférence Planetary Security à La Haye aux Pays-Bas (2-3 novembre 2015).
Auteur : Philippe Rekacewicz
Date de création : 2006, mis à jour en 2015

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