Sumoud, le combat et la vie d’al-Araqib

28 avril 2014

 

Le vent, les oies, les chiens et les hélicoptères, qui se font entendre la nuit, se sont tus et ont laissé la place à un groupe de moineaux excités par l’approche de l’aube… La lueur du soleil se dessine à l’horizon à travers le halo de poussière qui surplombe ce bout de désert en forme de terrain vague, à première vue sans grandeur et sans majesté. La matinée commence à al-Araqib…

un reportage de Marion Lecoquierre

géographe, doctorante à l’Institut universitaire européen de Florence (Italie)

Un village disparaît

Chez Salim et Haqma, les six enfants vivant encore sous le toit familial se réveillent vers 5h30. Il faut prier, petit-déjeuner, et se préparer pour l’école. Il faut aussi changer la direction des panneaux solaires, nourrir le cheval, apporter le fourrage, les granulés, l’eau. C’est Ibrahim, 12 ans, qui s’en charge, le matin comme le soir après l’école. Les enfants partis, les tâches domestiques commencent : il faut ranger les tapis et les matelas, nettoyer le sol de ciment qui se couvre de poussière rose au moindre souffle d’air, faire la lessive…

Dans le shieq, la tente où les hommes se rassemblent et où sont reçus les invités, la première tâche de la journée consiste à préparer le café, suivant un cérémonial qui fait la fierté et la réputation des #Bédouins du Néguev. Aujourd’hui, le shieq a été déplacé d’une centaine de mètres : trop de policiers à Rahat, la grande ville bédouine qui se trouve à quelques kilomètres, la distribution d’ordres de démolition en cours pourrait bien toucher al-Araqib…

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Al-Araqib, au nord du désert du Néguev

Aziz s’installe sous l’arbre qui fait office de shieq temporaire, un nabag qui donne des fruits semblables à de minuscules pommes qui auraient le goût de poires… Assis sur une cagette en plastique, Aziz accomplit tranquillement les gestes familiers : allumer le feu, torréfier les grains de café dans une poêle en fonte à long manche, maintenir les graines en mouvement, les faire tourner, sauter et retomber en pluie, puis les moudre dans le mihbash. Aziz fait chanter le pilon de métal, heurtant les parois en rythme à chaque mouvement ascendant. Le son clair retentit en un joli carillon matinal : « tout le monde sait que je fais le café, et que, dans 10 minutes, il sera prêt ! » Le mihbash traditionnel est en bois d’olivier « alors on le fait résonner plus rapidement et ça fait comme un bruit de cheval au galop ».

L’opération prend un certain temps ; une fois le café moulu, il est ajouté au mélange d’eau et de café de la veille. Le tout est porté à ébullition, puis les graines de cardamome connaissent le même sort que les graines de café dans le mihbash, qui résonne une dernière fois. Encore un geste à accomplir : laver les tasses, et, d’une main experte, faire passer dans chacune d’entre elles, empilées, quelques gouttes de café qui sera ensuite jeté. Rien n’est laissé au hasard, le café bédouin est un art : « Ici, on ne verse qu’un fond de café dans les tasses, on le boit comme ça, du coup s’il reste de l’eau, ça change le goût » explique Aziz. Le breuvage frais est transféré et servi dans le bakraj doré, surmonté de son oiseau roi.

Le lendemain, Salim se charge du café. Il explique que, traditionnellement, seul le cheikh du village pouvait préparer le café, c’est pourquoi le reste de la veille est réutilisé. Recycler du « vieux » café permettait de contourner la règle… Certains arrangements avec la tradition sont technologiques : souvent le mihbash est remplacé par un petit mixer électrique et le feu par... une bonbonne de gaz.

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Aziz et la préparation traditionnelle du café
Toutes les photographies sont de Marion Lecoquierre

La vie continue… C’est une des caractéristiques (et une des exigences) du sumoud : faire face et rester, obstinément. À al-Araqib, quatre familles vivent dans les limites d’un cimetière musulman, face aux terres où leurs maisons s’élevaient encore il y a quelques années. Une soixantaine d’habitations dotées du confort moderne ont été détruites le 27 juillet 2010. La vidéo de cette journée tragique tourne en boucle pour les visiteurs occasionnels, les activistes, les curieux, les amis… Des bulldozers accompagnés et protégés par de nombreux policiers ont tout démoli, arraché les arbres, abattu la réserve d’eau, le hangar avec les réserves de thé et de sucre vendues aux villages voisins. Et six mois plus tard, ils ont emporté les débris. Le village a disparu comme une hallucination collective. Restent, quand on y regarde de près, quelques reliques à demi enterrées : tuyaux, morceaux de carrelages, câbles et chaises cassées…

Après la démolition, la majorité des habitants sont partis. Trop dur de continuer à vivre sous cette menace permanente, trop dur pour les enfants. La plupart ont décidé d’aller vivre à Rahat, la grande ville bédouine qui se trouve à quelques kilomètres du village, mais leur cœur reste à al-Araqib. Khaled se souvient : « J’avais une maison en bas, près du wadi, très belle, grande, avec internet… Ils ont tout détruit, et ils m’ont détruit avec. » Dès qu’ils en ont l’occasion, les anciens habitants retournent à al-Araqib pour rendre visite aux membres de la famille restés là. Le vendredi, le samedi, et pour la manifestation du dimanche.

Tous les dimanches, à 16 heures, au croisement de Lehavim, les habitants d’al-Araqib affichent leurs revendications : tous se battent pour que le village soit reconnu. Ceux qui sont partis appartiennent encore au village et veulent pouvoir y retourner. Les enfants suivent, et animent les manifestations avec énergie. Une des filles du village a refusé d’aller chercher sa nouvelle carte d’identité israélienne : « Si mon père me force, je la prendrai, mais moi je n’en veux pas. »

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Manifestation du dimanche

Le « problème bédouin » et la « solution » du Fonds national juif

Al-Araqib n’est qu’un des villages bédouins menacés par la politique destructrice du gouvernement israélien. Un exemple parmi d’autres, tristement connu pour une raison particulière : le village et des infrastructures ont été détruits — et reconstruits — plus de soixante fois à ce jour…

Les Bédouins du Néguev ont une histoire récente tourmentée : après des politiques plutôt tolérantes pendant la période Ottomane et sous le mandat britannique, une grande partie d’entre eux avaient fui ou ont été expulsés en 1948, et s’étaient réfugiés en Égypte, en Jordanie, ou à Gaza. Ceux qui sont restés se sont ralliés et ont prêté serment à l’État d’Israël. Ils ont vécu dans une relative tranquillité jusqu’en 1951, date à laquelle ils ont été regroupés dans une zone au nord-est de Beer-Sheva, appelée siyaj (expression arabe signifiant « clôture » ou « barrière »). Ce déplacement forcé est alors présenté comme dépendant de raisons de sécurité « temporaires », pour une période de six mois seulement. La loi martiale ne sera levée qu’en 1966... Le siyaj était placé sous autorité militaire – la population qui y était parquée dépendait de permissions pour toute activité ou déplacement. Les Bédouins retournant sur leurs terres découvrent alors qu’en vertu de la loi des « absents », passée en 1953, leurs terres, considérées comme abandonnées, sont devenues propriété de l’État [1]. Les Bédouins étaient ainsi devenus « envahisseurs » sur leurs propres terres...

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Grande menace sur les terres bédouines
Esquisse cartographique par Philippe Rekacewicz
Sources pour la carte

De nombreux Bédouins détiennent des preuves attestant de leur présence antérieure : titres de propriété, redevances d’impôts payés durant des années, cartes de répartition tribale du territoire, photographies aériennes… Les procès (intentés aux Bédouins pour avoir « envahi des terres de l’état » notamment) où ces documents sont produits — et qui pourraient faire jurisprudence et entraîner ou imposer un changement de politique – traînent depuis des années. L’arsenal législatif qui viole les droits des Bédouins et les précédents judiciaires qui se sont conclus en faveur de l’état sont si nombreux et si solides que les chances de décisions favorables sont très faibles.

À al-Araqib, comme dans le Néguev en général, le bras armé de l’État dans cette bataille pour la terre, ou plutôt son sous-traitant, est le Fonds national juif — le FNJ — (en hébreu קרן קימת לישראל, Keren Kayemet LeIsrael, KKL) : considéré comme une organisation caritative dans de nombreux pays, fer de lance de l’entreprise sioniste, le FNJ était à l’origine chargé d’acquérir les terres qui étaient ensuite « gelées » et retirées du marché [2]. Obtenir la propriété des terres était vu comme une priorité pour permettre la création d’un État juif, mais également, pour certains, comme une exigence religieuse. En effet, la propriété de la terre, une fois obtenue, devenait irréversible, suivant en cela le commandement du Lévitique « Les terres ne se vendront point à perpétuité ; car le pays est à moi, car vous êtes chez moi comme étrangers et comme habitants » (25:23) et le concept de « rédemption de la terre » qui consiste à rassembler les terres d’Israël sous le contrôle du peuple juif, comme promis par Dieu dans la Bible. La prise de possession et le contrôle des terres étaient ainsi des principes fondamentaux de l’idéologie sioniste, et il a même été dit que « sans elle, le sionisme ne vaut rien » [3].

Après la création de l’État d’Israël, ces principes restèrent d’actualité. Une des lois fondamentales de l’État [4], intitulée « Interdiction de cession de propriété », précise que « la propriété des terres d’Israël, c’est-à-dire des terres qui en Israël appartiennent à l’État, à l’Autorité pour le développement ou au Fonds national juif, ne peut pas être cédée, que ce soit par vente ou de toute autre manière » [5]. Le FNJ, de son côté, travaille toujours à garantir « l’unité et le caractère juif de la terre inaliénable d’Israël », cette terre étant « au peuple juif à perpétuité » [6]. Depuis 1960, la plus grande partie des terres acquises originellement par le FNJ, soit 80 % de la surface d’Israël, se trouve sous l’autorité de l’Administration des terres d’Israël (ILA), qui doit cependant respecter les principes de fonctionnement du FNJ en ce qui concerne ces terrains. Dix des vingt-deux membres de son conseil d’administration représentent d’ailleurs le FNJ [7].

La mission déclarée du FNJ est désormais exclusivement « environnementale », visant à « planter des arbres en Israël » ; les fonds récoltés sont ainsi destinés principalement à l’afforestation, rejoignant le vieux rêve sioniste de faire « fleurir le désert ». Et le désert fleurit, ou plutôt il verdit, doucement, et selon des méthodes plus que discutables... Les arbres plantés par l’organisation dans le Néguev le sont souvent sur les terres des Bédouins, des terres qu’ils réclament à l’État et qu’ils revendiquent devant les tribunaux.

Les habitants d’al-Araqib soulignent encore et encore une des contradictions majeures de cette politique : tous les oliviers qu’ils possédaient dans la zone ont été déracinés et emportés. Le FNJ plante des rangées de quatre ou cinq arbres, surtout des eucalyptus, mais aussi quelques lauriers roses et deux ou trois autres essences. Les arbres résistent mal, une énorme quantité d’eau est employée pour les arroser alors que les habitants d’al-Araqib vont chercher l’eau très loin dans une ville voisine à l’aide de deux gros camions-citernes toutes les deux semaines (le trajet dure une heure et demi aller-retour).

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Les arbres du Fonds national juif sur les terres d’al-Araqib
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Une manifestation des habitants d’al-Araqib devant le siège du Fonds national juif à Jérusalem, le 2 février 2011

En 2004, plusieurs associations de défense des droits humains [8] ont envoyé une pétition à la Cour Suprême pour s’opposer à la politique du FNJ (et de l’autorité pour l’administration des terres d’Israël) consistant à réserver les terres administrées uniquement aux juifs, dénonçant cette pratique comme discriminatoire. La réponse du FNJ a été sans appel :

« La loyauté du FNJ va au peuple juif et c’est envers lui seul que le FNJ est engagé. Le FNJ, en tant que propriétaire des terres, n’est pas tenu de pratiquer l’égalité envers tous les citoyens de l’état » [9].

À tous les groupes qui viennent à al-Araqib pour en savoir plus sur la situation des Bédouins en Israël et sur l’histoire du village, Aziz déclare : « Une fois rentrés chez vous, soyez nos ambassadeurs, et surtout dites à tous les gens qui soutiennent le FNJ d’arrêter de me tuer. Chaque arbre planté ici nous tue un peu plus… Pour moi, chacun de ces arbres représente un soldat armé d’un M-16… » Haia Noach, du Forum pour la coexistence dans le Néguev, qui soutient la communauté bédouine et se consacre notamment au lobbying international pour faire reconnaître ses droits en tant que peuple autochtone, utilise la même image : « Ces arbres sont des soldats dans une guerre pour l’espace. »

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Khaled

Le plan Prawer

La tension est palpable lorsqu’on entend le bruit d’un moteur et qu’une voiture inconnue apparaît. Il ne suffit que de quelques secondes pour prendre une décision : rester, et accueillir le visiteur, ou vider le shieq au plus vite avant que le bulldozer n’arrive.

Il n’y a pas beaucoup d’autres options : aller en prison n’aiderait pas, et Cheikh Sayyah, son fils Aziz et Salim ont déjà reçu l’ordre de ne plus construire sur les terres du village. La priorité, c’est de ne pas donner aux autorités l’occasion d’imposer un jugement encore plus sévère qui leur interdirait complètement l’accès à la zone.

Au-delà des menaces de démolitions qui planent tous les jours sur al-Araqib et de nombreux autres villages bédouins, une nouvelle ombre s’est ajoutée au tableau : le plan Prawer, qui prévoit, sous couvert de développement et d’« avancement social et économique », de déplacer à nouveau — par la force s’il le faut — environ 30 000 bédouins pour les regrouper dans quelques centres urbains.

Haia Noach déplore un système à deux vitesses, avec « des gens qui n’ont pas de droits, et des gens qui ont des droits en plus. La minorité bédouine est une minorité ethnique, ils font partie du peuple palestinien, donc la plupart des gens ne veulent pas en entendre parler. La “stratégie de communication” – pour ne pas dire “lavage de cerveau” – des médias et du gouvernement est incroyablement efficace ». Les Bédouins ont effectivement très mauvaise réputation en Israël. Ils sont communément perçus comme des criminels, et traités comme tels.

Le rapport présenté par Benny Begin, qui a servi de base au plan Prawer, promet, en un savant mélange de fiel et de belles paroles, un « saut dans le XXIe siècle » aux enfants bédouins. Il adopte la même position que le rapport Goldberg en ce qui concerne les expulsions effectuées suite à la création d’Israël et le transfert vers la zone du siyaj, notant que c’est une réalité qui ne doit pas être ignorée. Mais, dans un paragraphe, il ajoute : « Le cadre juridique, résultant de la Loi sur la terre (5729‐1969) et d’autres lois sur la terre, (…) ne permet pas, en général, d’accepter les revendications de propriété des Bédouins. »

Excuse commune, et plainte courante des Bédouins également : les juges disent qu’ils ne font qu’appliquer la loi. La loi, pas la justice. Le plan Prawer prévoit des compensations pour les terres perdues, en terre ou en argent, mais y met des conditions qui déguisent des obstacles quasiment insurmontables [10].

Haia Noach considère le plan dans toute sa gravité, et ne se fait pas d’illusion quant à la volonté de l’État : « L’État se prépare, il dispose d’une grande force policière, ils ont prévu d’employer 250 policiers supplémentaires, et ce sera très difficile pour les communautés, comme celle d’al-Araqib, de résister. Très difficile... »

Le 30 novembre 2013, une « Journée de la colère » a été organisée contre le plan Prawer : de nombreuses manifestations ont eu lieu, en Israël comme en Cisjordanie, et ont été durement réprimées. Le 12 décembre 2013, le gouvernement a apparemment fait marche arrière : Benny Begin, principal architecte du plan, a annoncé à des membres de la Knesset qu’il n’avait jamais dit que les Bédouins approuvaient le plan, pour la simple raison qu’il ne leur a jamais été présenté... De facto annulé pour certains journaux, le plan reste en réalité d’actualité car il est officiellement entré dans le processus législatif.

Le soulagement fut en effet de courte durée : le 7 janvier 2014, le gouvernement fit savoir que la « régulation » de la présence bédouine dans le Néguev avait seulement changé de main et était confiée à Yaïr Shamir et son ministère de l’agriculture.

Vivre à al-Araqib

Haqma, Salim et les six enfants (les trois aînés, mariés, vivent à Rahat) restent donc à al-Araqib. Maryam, Alya, Sujjud et sa passion pour les lunettes de soleil, Ibrahim et Mohamed pour leurs vélos, Ali, le plus petit, pour le Roi Lion… Le foyer n’est ni une maison – les murs sont faits de bâches en plastiques – ni une tente – le sol étant de ciment et les bâches étant tendues sur une structure de bois avec un toit fait de lattes ajustées.

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La maison de Salim et Haqma un jour de vent de sable

Le reste du village est composé de trois autres foyers : le cheikh, Sayyah al-Turi, et sa femme, Alye ; le fils aîné du cheikh, Aziz, et sa famille ; et un vieux couple, Ismail et Subhiyye.

Tous les habitants du village font partie de la famille Abu Madighem, qui est elle-même une des composantes de la tribu des al-Turi.

Myriam, la mère de Subhiyye, plus de 95 ans, est la doyenne de ce résidu de village. La plus jeune habitante, dernière née d’Aziz, un an tout juste, s’appelle Araqib...

« On y avait pensé avant la naissance, explique sa mère, mais elle est née au moment même où ils détruisaient al-Araqib pour la 62e fois, c’était donc évident. Quand j’ai dit le prénom à l’hôpital ils ont refusé, puis l’infirmière l’a écrit sans “i”, Araqb. Je lui ai pris le stylo des mains, et je l’ai rajouté. Elle a une histoire, c’est la fille du sumoud ».

Tous vivent donc dans l’enceinte du cimetière, seul lieu – pour le moment – à l’abri des démolitions. Mais habiter dans le cimetière pose problème. « C’est la terre des morts » explique la femme d’Ismail, « on ne devrait pas vivre ici… » Ismail, lui, répète comme un mantra « pourquoi, pourquoi… Mais pourquoi détruire la maison des gens, qu’avons-nous fait ? »

Le shieq et deux ou trois autres petites structures sont symboliquement construites, et reconstruites après chaque démolition, sur les terres du village, en dehors du cimetière. Maryam, 22 ans : « On les regarde et on se rappelle que c’est notre terre. » Haqma rêve tout haut : « Si j’avais de l’argent, je construirais une maison sur un tracteur et je la garderais tout le temps en dehors du cimetière ! »

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Des femmes du village à la manifestation du dimanche

Les possibilités de résistance sont limitées. Les recours devant les tribunaux sont voués à l’échec, et l’image des Bédouins dans la société israélienne ne pousse pas le grand public à s’intéresser à la question. Les divisions internes à la société bédouine représentent également un obstacle de taille : isolement des villages, différence de revendications, faible mobilisation, peur des représailles pour les fonctionnaires… Les manifestations et autres actions à l’échelle nationale sont complétées par un intense lobbying international, notamment pour qu’Israël reconnaisse les Bédouins en tant que peuple autochtone.

Le rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, dans un rapport de 2011, effectuait ainsi un rappel à l’ordre à l’intention d’Israël, rappelant au gouvernement son devoir de « protéger les droits des Bédouins à la terre et aux ressources dans le Néguev », soulignant l’importance culturelle et historique de leurs liens avec la terre où ils vivent (UN Human Rights Council, 2011, p. 27). La réponse fut sans appel : « L’État d’Israël n’accepte pas la classification de ses citoyens Bédouins comme peuple autochtone » (ibid. : 28).

Le charismatique cheikh du village, yeux brillants et moustache d’archiduc autrichien, voix de stentor et manières d’acteurs s’emporte : « Nous n’avons pas envahi les terres de l’État, c’est l’État qui a envahi nos terres ! »

Il y a un an, Haqma disait : « Tant qu’il y aura du thym et des olives, nous resterons ici. » Ironie amère, tous les oliviers du village ont été arrachés… Symbole du sumoud, les oliviers sont souvent utilisés comme métaphore pour illustrer cet attachement à la terre que revendiquent les Bédouins.

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Cheikh Sayyah al-Turi, le cheikh d’al-Araqib

« Je suis comme un arbre enraciné ici. Si on me déplace, je meurs » explique Haqma. Khaled renchérit « le jour où ils ont arraché mes arbres, ils m’ont arraché le cœur avec… »

Mais les yeux attentifs des habitants ont trouvé de nouvelles pousses, et le vert des oliviers réapparait au milieu des gravats. Les racines tiennent bon.

↬ Marion Lecoquierre.
Texte adapté du blog Tant qu’il y aura du thym et des olives...

#al-Araqib