À Hébron, la « Freedom Machine »

#Hébron #Palestine #Israël #Occupation #Colonisation #Résistance

25 février 2015

 

La sixième campagne « Open Shuhada Street » se déroule du 17 au 27 février 2015. La rue Shuhada, artère historique de la ville d’Hébron, aujourd’hui totalement interdite aux Palestiniens, est devenue le symbole de l’occupation israélienne.

Dans le quartier Tel Rumeida, sous contrôle israélien, on peut désormais trouver la « Freedom Machine » : projet écologique judicieux et acte de résistance original face à l’implacable occupation israélienne d’une zone urbaine de Palestine.

Par Chloé Yvroux

géographe, associée au GRED (université Paul Valéry, Montpellier - IRD), et membre du collectif Off Source

Bashar Humeid, l’initiateur du projet Freedom Machine, est originaire de Jordanie. Étudiant, il a consacré ses recherches à l’agriculture en milieu urbain, venant d’un pays où 80% de la population vit en ville, et où l’eau est un problème crucial.

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Avec des matériaux recyclés et une technologie simple, l’installation de base peut être montée par des artisans locaux. Elle présente ainsi un coût relativement faible — environ 1 000 euros — et ne nécessite pas d’espace supplémentaire puisqu’elle peut-être installée sur le toit des habitations. C’est un projet accessible à tous.

La première « Freedom Machine » de Cisjordanie a été mise en marche pendant l’été 2013, sur le toit de la famille Abu Eisheh. Cette installation sous serre permet à un foyer qui n’a pas accès à la terre, et dont les revenus sont faibles, de disposer d’un potager, de poissons, de chaleur et même comme l’explique Nour, le père, d’un coin de détente.

Cette machine offre une réponse efficace aux questions de sécurité alimentaire en milieu urbain, et elle permet aussi - ce n’est pas la moindre de ses qualités - de réduire considérablement la dépendance énergétique du foyer.

En zone H2 à Hébron, l’installation d’une « Freedom Machine » est avant tout un acte de résistance pacifique. Badia Dweik, alors coordinateur de Youth Against Settlements explique :

Ici la résistance — avant même de libérer la Palestine — c’est d’arriver à vivre au quotidien ».

H2, c’est le nom très poétique de la zone restée sous contrôle israélien après la division de la ville en 1997, où « cohabitent » 40 000 Palestiniens « aux côtés » de 500 colons israéliens protégés par l’armée [1]. Ce sont des extrémistes religieux, connus pour leur arrogance et leur violence. Ils vivent en plein cœur de la ville palestinienne la plus importante de Cisjordanie. Répartis dans cinq colonies, d’un ou plusieurs bâtiments, ils disposent, entre autres, d’un jardin d’enfants, d’écoles et d’un raccordement direct au réseau de bus israélien.

Dans le voisinage direct de ces colonies, l’espace est totalement interdit aux Palestiniens. Au-delà, le quartier subit un régime implacable de contrôles, d’interdictions, de fermetures, de circulations temporaires ou permanentes. C’est devenu un véritable « parcours du combattant » pour les Palestiniens qui doivent affronter quotidiennement plus de 120 obstacles physiques – des barrières, des grilles, des blocs de bétons… et pas moins de 18 checkpoints permanents.

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Cartographie : Chloé Yvroux.

Dans la zone H2 les commerces palestiniens sont quasiment tous fermés, ce qui lui donne des airs de ville-fantôme. En deux décennies, plus de 500 commerces ont été fermés sur ordre militaire direct, et 1 100 fermés à cause des contraintes imposées par le bouclage (contrôles, couvre-feux, fermetures, etc.). 6 000 Palestiniens vivent encore dans le voisinage direct des colonies depuis la division de la ville, mais près de 40 % des maisons ont été abandonnées par leurs habitants. La famille Abu Eisheh, elle, est courageusement restée.

Pour aller travailler, faire leurs courses ou prendre le bus, Nour et sa femme avec leurs quatre enfants en bas-âge, doivent obligatoirement descendre la rue Tel Rumeida, traverser le checkpoint « Gilbert », regagner la rue Shuhada - ancienne artère principale de la ville - et atteindre enfin le checkpoint 56 qui marque la séparation entre les zones H1 (palestinienne) et H2.

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Rue Tel Rumeida, Hébron.

De l’autre côté de ce qu’il faut bien appeler une « frontière », on retrouve la ville vivante avec la circulation encombrée, les cris des vendeurs, les cafés… Hébron est un centre commercial, artisanal et industriel de premier rang, le cœur économique de tout le Sud de la Cisjordanie. La ville s’est transformée pour s’adapter aux contraintes imposées, et les activités se sont concentrées en zone H1.

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Cartographie : Chloé Yvroux.

Dans ce contexte, l’installation de la « Freedom Machine » n’a pas été très simple : les matériaux, montés en kit dans les ateliers de la ville, ont été transportés à pied jusqu’à la maison des Abu Eisheh et ont été minutieusement contrôlés aux checkpoints, parfois bloqués pendant de longues périodes voire dégradés lors d’altercations avec l’armée. Il a ainsi fallu près de deux mois pour parvenir à faire « rentrer » l’ensemble du matériel dans la zone, et faire fonctionner la Machine.

La Machine fonctionne sur le principe de l’aquaponie, combinaison de culture hydroponique (hors sol) et d’aquaculture. Des poissons sont élevés dans des bassins, leurs déchets alimentent en éléments nutritifs des plantes cultivées hors-sol, qui elles-mêmes épurent l’eau, alors redistribuée dans les bassins. Le système impose néanmoins certaines contraintes telles que la surveillance des niveaux d’oxygène et d’ammoniac et la non-utilisation d’antibiotiques ou de pesticides.

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Graphique : Chloé Yvroux.

Le système est économique en eau car produire sous serre réduit la consommation. En outre, un système de récupération de l’eau de pluie y est intégré. L’installation de la serre sur le toit améliore aussi l’isolation du bâtiment et un conduit relie l’habitation au dispositif. Ainsi, en hiver, quand la chaleur augmente dans la serre, l’air chaud est pompé et redistribué dans le bâtiment à travers un système de ventilation qui chauffe l’habitation. En été, le mécanisme est inversé : lorsque la température dans la maison est élevée, l’air chaud remonte à travers le conduit par le mécanisme naturel des flux d’air. Pour les périodes où le soleil est trop fort, la serre intègre également un système qui la transforme en pare-soleil et bloque presque la moitié des rayonnements.

A Hébron, le concept de Bashar Humaid est développé en collaboration avec les ONG Meezan [2], Youth Against Settlements et la Fondation Heinrich Böll. Bashar Humeid insiste sur l’ambition politique de sa machine :

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Dans la « Freedom machine »...
Les gens doivent prendre conscience que leur liberté, ce n’est pas seulement la liberté d’expression la liberté de faire de la politique ; c’est aussi la liberté d’être autosuffisant et indépendant pour l’eau, l’énergie et la nourriture ; pour un individu tout comme pour un pays. Le concept de “Freedom Machine” c’est que la technologie verte et les énergies alternatives peuvent créer les bases d’une nouvelle forme de liberté politique ».

« Raising the Roof », Jordan Business, juillet 2012.