L’échec des négociations israélo-palestiniennes de Camp David, en juillet 2000, a durablement oblitéré les espoirs de tous ceux qui croyaient encore à une paix juste au Proche-Orient.
A l’époque, le contexte politique est défavorable : le président William Clinton, à quelques mois de la fin de son second mandat, précipite les événements dans l’espoir de s’assurer une ultime victoire politique. Le premier ministre israélien Ehoud Barak redoute la montée du Likoud dirigé par M. Ariel Sharon. Et Yasser Arafat est de plus en plus affaibli par le report incessant de la naissance d’un Etat palestinien indépendant, objectif de toute sa stratégie.
C’est pourquoi le président palestinien refuse catégoriquement, à Camp David, les propositions prétendument « généreuses » d’Ehoud Barak soutenues par M. Clinton, estimant qu’elles ne permettent pas la création d’un Etat palestinien viable. De fait, Israël ne s’engageait ni à restituer la totalité des territoires qu’il avait occupés en 1967, ni à accepter que Jérusalem-Est devienne la capitale de l’Etat palestinien.
Une ultime négociation sur le statut final a lieu en Egypte, à Taba, en janvier 2001 [1]. Malgré de réelles avancées par rapport aux propositions faites à Camp David quelques mois plus tôt, c’est l’échec dû surtout au fait que ces pourparlers se déroulent quelques jours avant les élections israéliennes (tous les sondages donnent Ariel Sharon gagnant).
Soutenu par le président américain, le premier ministre israélien Barak parviendra a convaincre son opinion que l’intransigeance du président palestinien est seule responsable de l’échec. Dorénavant, Israël n’a « plus de partenaire » : et ce consensus inclut aussi le camp de la paix [2]…
C’est alors que commence le long processus de décrédibilisation de l’Autorité palestinienne, pourtant légitime représentante de son peuple, élue selon les règles démocratiques sous le contrôle d’observateurs internationaux. Pendant au moins deux ans, entre 2000 et 2002, les organisations israéliennes qui se battaient pour une véritable politique de paix s’affaiblissent sensiblement ou disparaissent.
La décision unilatérale, prise par Israël en 2002, d’ériger un mur de séparation marque un tournant majeur. D’autant que son tracé, qui ne suit pas la Ligne verte, empiète largement sur la Cisjordanie et empêche donc la création d’un Etat palestinien. Et pourtant, les pacifistes soutiennent sa construction, sous couvert de défense contre les attentats.
Cette position du mouvement « La Paix maintenant » et de plusieurs écrivains célèbres — tels David Grossman, Amos Oz ou Avraham B. Yehoshua, connus pour leur ouverture au dialogue — a aussi contribué à l’affaiblissement de l’Autorité palestinienne et à la montée des extrêmes. Le processus de paix est devenu un processus de guerre.
La visite de M. Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées, le 28 septembre 2000, et la répression brutale des manifestations de protestation, ont en effet déclenché une nouvelle Intifada. De septembre 2000 à juillet 2008, les Israéliens vont tuer un peu plus de 4 800 Palestiniens, et les Palestiniens plus de 1 000 Israéliens (soldats et civils).
Les attentats-kamikazes, dont les premiers n’auront lieu qu’après la victoire d’Ariel Sharon, « justifieront » une escalade massive de la répression, soutenue non moins massivement par l’opinion israélienne. M. Zeev Sternhell [3], grande voix intellectuelle de la gauche sioniste, n’hésite pas a parler de « fascisation rampante de la société israélienne [4] ».
Le mur transforme la vie des Palestiniens en cauchemar. La plupart ne peuvent plus venir travailler en Israël, et le petit nombre qui en a l’autorisation doit attendre de longues heures aux check-points, à l’aller comme au retour.
Mais le mur n’est qu’une difficulté supplémentaire. Les Palestiniens ont subi, depuis les accords d’Oslo, en 1993, une accélération de la colonisation — illégale au regard de la législation internationale — qui fragmente désormais leur territoire en petits morceaux, chacun étroitement contrôlé par l’armée israélienne. Les colons, soutenus par l’Etat israélien, imposent brutalement leur loi sur plus de 40% de la Cisjordanie.
Pourtant, à partir de 1994, les pacifistes sont persuadés qu’Oslo a amené la paix : c’est déjà, pour la société israélienne, le début d’une forme d’autisme qui va se poursuivre et s’intensifier jusqu’à aujourd’hui. En 2002, la reconquête militaire de la Cisjordanie par M. Sharon et le siège de la Muqata — QG de Yasser Arafat à Ramallah — émeuvent à peine les Israéliens (mais que savent-ils vraiment de ce qui se passe de « l’autre côté » ?). Pendant plusieurs semaines, le président palestinien est immobilisé et coupé du monde alors que le Hamas, bien que revendiquant les attentats-kamikazes, ne sert pas encore de cible aux opérations israéliennes.
Côté israélien, la phase d’ouverture est résolument terminée. Elle était symbolisée par les travaux des « nouveaux historiens [5] », par les initiatives des mouvements pacifistes tels que Taayoush ou Zochrot, ainsi que par le travail d’artistes et écrivains sensibles à la cause palestinienne. Du côté des manuels scolaires israéliens, les quelques progrès dans l’approche historique — la référence à la « catastrophe », ou « Nakba » (l’expulsion de 800 000 Palestiniens en 1948) — sont remis en cause avec l’arrivée de Mme Limor Livnat : la ministre de l’éducation d’Ariel Sharon s’empresse de retirer immédiatement les manuels le plus critiques à l’égard de la version sioniste de la « guerre d’indépendance ».
Que sont devenus les « nouveaux historiens » ? Certes, ils ont trouvé dans les archives de quoi réécrire les origines d’Israël, s’attaquant ainsi au cœur même de la doxa nationale. Ils ont apporté ainsi un point d’appui à tous ceux qui militaient en faveur de la paix. Mais il n’est plus temps de réexplorer l’histoire : il faut se mobiliser contre l’ennemi. Tout ce qui peut fragiliser la politique d’occupation, tout ce qui peut remettre en cause la répression sanglante de l’Intifada, n’a plus sa place dans l’Israël officiel.
Et ce maccarthysme nouvelle manière ne se limite pas à Israël : en France, par exemple, à partir de 2002, certains accusent d’antisémitisme tout intellectuel critique de la politique israélienne.
Mur, checkpoints, « exécutions ciblées », expansion des colonies, opérations militaires brutales, routes interdites, difficultés ou impossibilité de se déplacer… Le durcissement de l’occupation israélienne entraîne naturellement une radicalisation des Palestiniens. Ainsi, lors des élections législatives de janvier 2006, la majorité d’entre eux votent pour le Hamas, et M. Ismaïl Haniyeh prend la tête du gouvernement.
Au lieu d’en prendre acte et de tenter de dialoguer, Israël décrète un embargo contre le nouveau pouvoir palestinien, et convainc les Etats-Unis, puis l’Union européenne, d’en faire autant. Même la constitution — au printemps 2007 — d’un cabinet d’union national Fatah-Hamas acceptant de ne revendiquer qu’un Etat palestinien aux côtés d’Israël, ne suffit pas a rompre le blocus.
Cette démonstration contreproductive de l’intransigeance israélienne (et occidentale) a certes poussé les pacifistes israéliens à redresser la tête. Leur aile la plus radicale donne de la voix, refusant de servir dans les territoires occupés, manifestant avec les Palestiniens à Bil’in ou dénonçant la guerre du Liban... Mais l’aile libérale, autour de « La Paix maintenant », dort encore.
Quelle est l’alternative pour Israël ? M. Ehoud Olmert porte la responsabilité de la guerre du Liban et, depuis, du sabotage du pseudo-processus de paix d’Annapolis. Mais sa démission, en juillet 2008, n’entraînera pas de tournant pacifiste. Au contraire : si la succession interne au parti Kadima n’aboutit pas, les élections anticipées risquent de ramener au pouvoir M. Benyamin Netanyahou, à la tête d’une coalition de droite et d’extrême droite plus anti-palestinienne que jamais. En face, le Hamas pourrait gagner en importance chez les Palestiniens, désemparés devant l’incapacité de Mahmoud Abbas à fédérer la « Palestine ».