Après le retrait des forces armées étrangères en 2010, la situation environnementale de l’Irak est calamiteuse. L’industrie chimique, peu réglementée, avait déjà déversé quantité de rejets toxiques dans la nature. Les guerres et les insurrections qui ravagent le pays depuis le début des années 1980 ont, elles aussi, eu des conséquences désastreuses sur l’environnement. Particulièrement lorsque pipelines et sites industriels furent sciemment bombardés, provoquant des fuites incontrôlées de produits chimiques dans les sols et dans l’eau. Les munitions utilisées pour soumettre les villes irakiennes pendant la guerre du Golfe (1990-1991) et l’invasion en 2003 par les États-Unis et leurs alliés en sont une autre, avec de lourdes conséquences sur la santé publique.
« Atomisées » dans la nature lors des bombardements, les munitions continuent de tuer à petit feu les populations civiles plusieurs années après que les combats aient cessé.
Constats sanitaires alarmants
En 2005, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), dans un rapport intitulé Assessment of environmental hot spots in Iraq, estime à plusieurs milliers le nombre de zones contaminées cumulant — à des degrés divers — pollutions industrielles et contaminations militaires. Plus de trois cents « points chauds » — comprendre hautement toxiques —, sont identifiés, parmi lesquels quarante-deux sites concentrant des taux considérables de dioxine et d’uranium appauvri. Dix présentent des taux de radioactivité très élevés.
C’est aux abords des installations industrielles détruites pendant la guerre du Golfe que l’on retrouve la plus forte accumulation de dioxine : la stratégie d’alors consistait à pilonner systématiquement les sites industriels — civils et militaires —, pipelines et raffineries. La région de Bassorah, l’une des plus touchées par les bombardements, fait, depuis, face à un véritable désastre sanitaire. « Business is business » : après 2003, la priorité fut donnée à la remise en service des installations pétrolières et gazières. Les pluies de pétrodollars n’ont pas atteint les zones habitées contaminées.
L’emploi de munitions renforcées à l’uranium appauvri n’est pas interdit par un traité international spécifique mais par l’article 35 intitulé « Règles fondamentales » du Protocole I additionnel des Conventions de Genève :
Dans tout conflit armé, le droit des Parties au conflit de choisir des méthodes ou moyens de guerre n’est pas illimité.Il est interdit d’employer des armes, des projectiles et des matières ainsi que des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus.
Il est interdit d’utiliser des méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu’ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel. »
Ce protocole n’a pas été ratifié par les États-Unis, le Pakistan et l’Iran.
L’uranium appauvri provient des munitions utilisées par la coalition en 1991 et 2003 (Lire Dr. Souad Al-Azzawi, Depleted Uranium Radioactive Contamination In Iraq : An Overview, PDF). Ce métal lourd a les faveurs de l’industrie de l’armement en raison de son fort pouvoir de pénétration des matériels blindés. Une fois la charge explosée, les composants chimiques se dispersent et s’infiltrent dans le sol et dans l’eau, occasionnant des pollutions persistantes dans la nature et les espaces de vie : rues, jardins, cultures, et les aires de jeu pour enfants… Il contamine aussi les soldats sans que le commandement ne s’en émeuve. D’autres métaux lourds, comme le plomb et le mercure, entrent dans la composition des munitions et se retrouvent aussi disséminés en quantités significatives dans l’environnement.
Passé l’orage, les militaires retournent dans les casernes. Le ciel ne tonne plus, les armes se sont tues, la rue s’anime, on circule, on commerce. La vie reprend, semble-t-il, comme avant. En fait, non, pas tout à fait. Pour les populations le cauchemar continue mais en silence cette fois. Partout, le même constat tragique : une hausse de la mortalité infantile, des leucémies, des cancers, des tumeurs, des malformations congénitales.
La coalition réfute, la science dénonce
En dépit des avertissements successifs lancés par les médecins, aucune étude sérieuse n’est menée pour déterminer l’origine de ces symptômes. Washington refuse de reconnaître un lien de causalité entre les contaminations militaires et ce très inquiétant problème de santé publique, et semble plutôt déterminé à entraver toute recherche scientifique (cf. l’article du Dr. Souad Al-Azzawi cité plus haut).
En 2009, les médecins de l’hôpital général de Falloujah, horrifiés par ce qu’ils constatent au fil des années, adressent un courrier commun aux Nations unies pour réclamer des investigations indépendantes : « En septembre 2009, sur 170 nouveaux-nés , 24 % d’entre eux sont morts dans leur première semaine, parmi lesquels 75 % présentaient des malformations importantes. » Des enquêtes partielles seront ensuite menées à Falloujah et à Bassorah quelques mois plus tard et les résultats publiés dans le Bulletin of environmental contamination and toxicology de l’université du Michigan [1]. Les auteurs résument leurs observations en une phrase qui veut tout dire : « Le taux de cancers, de leucémies et de mortalité infantile observé à Falloujah est plus élevé qu’il ne le fut à Hiroshima et Nagasaki en 1945. » [2] Il est rappelé que l’exposition aux métaux toxiques (dont les effets morbides sont reconnus) est source de complications sévères pour les femmes enceintes et le développement du fœtus. En conclusion, il est plus que probable que les munitions utilisées pour les bombardements dans ces deux villes soient à l’origine de ces tragédies.
À Falloujah, cinquante-six familles se sont mises à la disposition du personnel hospitalier pendant trois mois pour répondre à un questionnaire type et se soumettre à des examens.
Entre 2004 et 2006, le taux de fausses couches s’élève à 45 % du nombre de grossesses et celui de bébés malformés à 30 % du nombre de naissances.
Entre 2007 et 2012, le nombre de fausses couches diminue et tombe à 15 %, tandis que celui de bébés souffrant de malformations augmente sensiblement pour atteindre 54 %.
Plus de la moitié des nouveaux-nés souffrent de malformations congénitales affectant le cœur, le cerveau, la moelle épinière, les poumons et le palais.
Petit retour en arrière et gros plan sur la ville
Située à soixante-cinq kilomètres à l’ouest de Bagdad, Falloujah est toujours, en cette année 2004, un bastion des fidèles de Saddam Hussein et, pour cette raison, l’objet de fréquentes attaques menées par l’armée américaine. La situation s’embrase lorsque les corps de quatre mercenaires américains tués au combat sont exhibés à travers la ville. En représailles, l’artillerie lourde et l’aviation sont déployées. Un premier assaut meurtrier est lancé pour y déloger les insurgés — sans réel succès —, puis quelques mois plus tard, une seconde offensive, pendant laquelle les bombardements intensifs se prolongeront sur plusieurs semaines. Le Pentagone reconnaîtra plus tard, dans une brève note, avoir utilisé des bombes au phosphore blanc [3]. Le nombre de morts côté irakien est incertain : plusieurs centaines d’insurgés et plusieurs milliers de civils. Côté américain, 95 soldats...
Sur la base des chiffres fournis par le département de la défense, à Washington, John Pike, le directeur du groupe de recherche GlobalSecurity.org, estime que les soldats américains ont tiré en moyenne deux cents cinquante à trois-cents mille munitions de petit calibre par insurgé tué en Irak et en Afghanistan [4].
Voilà des chiffres qui laissent perplexe. Bien-sûr, s’ajoute à tout cela l’artillerie lourde. C’est au bas mot des milliers de tonnes de munitions éclatées en petites particules toxiques de métaux lourds, notamment du mercure et du plomb, qui contaminent les sols et l’eau. Ce n’est donc pas un hasard si les analyses de cheveux des enfants de Falloujah souffrant de malformations congénitales révèlent la présence de plomb et de mercure à des taux très supérieurs au reste de la population.
À Bassorah, l’étude présente des résultats similaires. Bien des voix appellent à ce que des recherches plus poussées soient pleinement entreprises à travers tout le pays. C’est la condition pour que la situation soit évaluée avec précision, des mesures adéquates mises en place et des réparations exigées. Car il faudra à un moment mettre la coalition — principalement les États-Unis et le Royaume-Uni — face à ses responsabilités pour qu’elle reconnaisse son rôle dans ce qu’il faut bien appeler un crime. Un crime de plus, puisque les crimes d’hier — Hiroshima, Nagasaki, Vietnam — demeurent, aujourd’hui encore, impunis.
Fier de son armée et de son industrie de l’armement, le Parlement français a voté quasi à l’unanimité (515 pour, 4 contre, 10 abstentions) le 26 novembre 2015 la prolongation des bombardements sur la Syrie et sur l’Irak pour combattre Daech. En France, après les attentas perpétrés à Paris le 13 novembre, c’est l’état d’urgence. Les musées sont fermés mais le salon des armes, le Milipol, lui, reste ouvert. Quoi de plus « normal » : les affaires prospèrent sur le marché de la guerre, les industriels français distillent leurs armes toutes catégories partout dans le monde, notamment au Moyen-Orient. Les bombes larguées visent les djihadistes et leurs infrastructures mais elles provoquent aussi, comme toujours, de très sérieux « dommages collatéraux » qui meurtrissent les civils et dévastent les territoires dont ils dépendent pour leur survie. La France admet posséder des armes à uranium appauvri mais prétend que son armée, jusqu’à mi 2013, n’en n’ait pas fait usage.
À consulter
– « Des mensonges couverts par les Nations unies : Loi du silence sur l’uranium appauvri »
– Les bombardements ciblés de l’OTAN en République Fédérale de Yougoslavie (mars-juin 1999) par Philippe Rekacewicz, Le Monde diplomatique, janvier 2000.
– Munitions à l’uranium appauvri sur le Kosovo - I par la « Balkans Unit » - PNUE, 2000.
– Munitions à l’uranium appauvri sur le Kosovo - II par la « Balkans Unit » - PNUE, 2000.