L’Europe, un continent à géographie variable

#europe #frontières #perception

28 août 2014

 

Les lycéens lillois qui, ce jour-là, pénètrent dans le bureau, attendent une réponse simple à une question simple : où donc finit l’Europe, à l’Est ?

« A l’Ouest, c’est clair, disent-ils, il y a de l’eau. Mais à l’Est ? »

Les « experts » définissent des lignes de partage qui n’existent pas : l’Europe et son « identité chrétienne » (?), l’Europe continentale (?), l’Europe « blanche » (?), l’Europe culturelle (?), l’Europe géographique (?), administrative (?), l’Europe et son « ventre mou » (?), l’Europe et sa « banane bleue accompagnée de sa diagonale aride », l’Europe et sa frontière naturelle… L’Europe ! l’Europe ! l’Europe !

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Les frontières introuvables de l’Europe.
Février 2012.

« Ceux qui se disent européens trouvent que l’Europe des patries (?), ce n’est pas assez, et que l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, c’est trop. Et vous, vous sentez-vous européen ? », demande le journaliste Michel Droit au président de la République, Charles de Gaulle. Nous sommes en décembre 1965…

Et De Gaulle de répondre :

« Alors, prenons les choses comme elles sont ! Car on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités (sic). Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : “L’Europe ! l’Europe ! l’Europe !”, mais ça n’aboutit à rien, et ça ne signifie rien ! Alors les choses, comment sont-elles ? »

Le général de Gaulle est pourtant plus précis, depuis le début des années 1950, lorsqu’il affirme que l’Europe va « de l’Atlantique à l’Oural », c’est-à-dire qu’elle intègre au moins la Russie dite « blanche ». Cette définition mythique ne reposait sur rien de tangible, elle était en fait le cadre dans lequel De Gaulle développait sa vision européenne – et la « belle et bonne alliance » avec Moscou contre l’Allemagne.

Les limites de l’Europe sont multiples et variées : avec ou sans la Turquie, avec ou sans Israël, avec ou sans l’Arménie… Il y a ceux qui attendent juste derrière les portes de l’Espace Schengen, comme la Roumanie et la Croatie ; ceux qui en rêvent la nuit, comme l’Albanie ou la Géorgie ; et enfin ceux qui, comme les Grecs, s’interrogent sur une Europe qui les a trahis.

Puis il y a nos lointains voisins des « royaumes des steppes » (Asie centrale), membres à part entière d’institutions très européennes. De tous ceux-là, qui sont les plus européens ? Et si simplement l’Europe à l’Est était sans fin ?

Et si l’Europe venait juste se fondre dans l’Asie en une immense étreinte ?

↬ Philippe Rekacewicz.


Ce projet de cartographie narrative a été publié dans Le Monde diplomatique de mars 2012.