Les dernières colonies

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1er décembre 2014

 

par Philippe Rekacewicz et Philippe Leymarie

Le texte est une adaptation de la double-page intitulée « Poussières d’empire »
publiée dans l’Atlas 2006 du Monde diplomatique.

Il ne reste plus dans le monde que seize colonies. L’ONU d’ailleurs répugne à utiliser ce terme pour qualifier ces territoires, et préfère parler de « territoires non autonomes ».

Mais ce décompte officiel omet nombre de « confettis », restes d’empires où vivent une dizaine de millions de personnes. Ces dépendances servent notamment de bases militaires et de paradis fiscaux.

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Nouveaux États et dernières colonies
Carte créée en 2006 et mise à jour en 2014

Nous avons regroupé sur cette page quelques documents cartographiques datant de 2005 et 2006, lesquels viennent compléter les deux cartes de synthèse que nous avons publiées précédemment sur visionscarto.net :

 Le hold-up colonial

 La décolonisation et les nouveaux territoires

La carte principale, qui ne tient pas compte de l’indépendance du Soudan du Sud intervenue en 2011, est en cours de mise à jour.


Dix de ces territoires (peuplés de 220 000 habitants) sont sous la dépendance du Royaume-Uni, avec, dans la Caraïbe, Anguilla, les îles Bermudes, Caïmans, Turques-et-Caïques, Vierges britanniques ; et, dans l’Atlantique sud, Sainte-Hélène, ainsi que les Falkland (dénommées Malouines par les Français et Malvinas par les Argentins, qui ont tenté de les reconquérir en 1982).

Les États-Unis administrent un ensemble de 320 000 habitants au titre des îles Vierges dans la Caraïbe (escale de navires de croisière), de Guam (base stratégique) et des Samoa (conserveries de thon) dans le Pacifique.

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Esquisse préparatoire pour la carte « Nouveaux États et dernières colonies »
Créée en 2006

Ces deux graphiques simples sont construits avec des données provenant de deux ouvrages majeurs :

 Paul Bairoch, Victoires et déboires. Histoire économique et sociale du
monde du XVIe siècle à nos jours
, volume II, Gallimard, Paris, 1997.

 Angus Maddison, L’économie mondiale, une perspective millénaire, OCDE, 2001.

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Ils nous rappellent deux situations démographiques sans lesquelles nous ne pourrions comprendre certains enjeux actuels. À la veille de la seconde guerre mondiale, la moitié de la population de la planète vivait sous le joug colonial. D’autre part, dans le domaine colonial européen vivaitt une population presque deux fois supérieure à celle du continent européen lui-même.

Depuis 1945, l’Organisation des Nations Unies (ONU) tient à jour une liste des « Territoires non autonomes ». Ce décompte – qui avait atteint jusqu’à cent cas à la fin des années 1950 – a été officiellement ramené à seize après la vague des indépendances des années 1960-1970. Le Sahara occidental est le dernier territoire africain concerné.

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De nombreuses îles et territoires français ont été soustraits à l’attention de l’ONU par leur changement de statut. Les colonies des Antilles et de l’océan Indien – Réunion, Martinique, Guadeloupe, Guyane, soit plus de 1,7 million d’habitants – s’étaient muées en départements d’outre-mer (DOM) dès 1946. Mayotte, île des Comores (210 000 habitants), les a rejoint en 2011. Elles sont actuellement intégrées à l’Union européenne, avec statut de « régions ultrapériphériques » (RUP), parmi lesquelles on retrouve également les Açores et Madère (pour le Portugal), ou les Canaries (pour l’Espagne).

La France conserve l’administration de la Nouvelle-Calédonie dans le cadre d’un statut évolutif depuis les accords de Nouméa (1998). Les territoires français du Pacifique – la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie (base d’expérimentations atomiques jusqu’en 1996) – ont désormais le statut de « pays d’outre-mer », la lointaine métropole (20 000 km) ayant fini par reconnaître leur vocation à l’indépendance, au moins à terme. Ils sont rejoints, au nombre des « pays et territoires d’outre-mer de l’Union européenne » (PTOM), par les Antilles néerlandaises et Aruba (pour les Pays-Bas), et par les possessions du Royaume-Uni, restées pour la plupart sous administration directe.

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Le Pacifique sous tutelle
Carte publiée dans le Monde diplomatique en juin 2005

Depuis plus de vingt-cinq ans, certains de ces paradis exotiques servent de terre d’asile aux capitaux issus des trafics illicites grâce à leur régime d’exemption fiscale et à leurs banques offshore. Aux îles Vierges, il y a dix fois plus de sociétés immatriculées (200 000) que d’habitants. Aux îles Caïmans, le rapport n’est que de 2 à 1 ; mais, avec 40 000 sièges d’entreprises et 900 banques offshore, elles permettraient le transit de plusieurs centaines de milliards de dollars de capital chaque année. En 1995, les Bermudiens ont dit non à l’indépendance, de peur de faire fuir les dépôts de capitaux.

Quelques territoires spécifiques ou « privés » ne figurent pas dans cette catégorie, comme le BIOT (British Indian Ocean Territory), avec l’atoll de Diego Garcia, vidé de ses habitants dans les années 1970 pour être rétrocédé à l’armée américaine, mais revendiqué par l’île Maurice ; ou comme les îles de Man, Jersey, Guernesey, dans la Manche. Les atolls américains de Johnston et Midway, dans le Pacifique, sont aussi à l’abri du regard, tout comme le Cabinda (Angola), enclavé dans le Congo Brazzaville.

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La Caraïbe toujours colonisée
Carte publiée dans l’Atlas du monde diplomatique en 2006