Le Guyana convoité par ses voisins

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7 mars 2016

 

Le Guyana se trouve au cœur d’une multitude de revendications territoriales et maritimes historiques, lesquelles reprennent de la vigueur après la découverte d’importants gisements d’hydrocarbures au large de ses côtes.

par Luis Alejandro Avila Gómez

Chercheur en géopolitique et consultant, spécialiste du continent latino-américain,
responsable du programme Amériques de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE).
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Le Guyana et le Venezuela en désaccord sur le partage de l’Essequibo. Ressources énergétiques et minières, nouveaux catalyseurs d’un différend territorial historique.
Carte conçue et réalisée par Luis Alejandro Avila Gómez, adaptée par visionscarto.net

La région de l’Essequibo, située entre l’actuelle frontière Guyana-Venezuela et le fleuve Essequibo, ainsi que son prolongement maritime, sont des territoires revendiqués à la fois par le Venezuela et le Guyana.

Par l’accord de Genève de 1966, les deux pays ont reconnu officiellement avoir ce différend territorial, et se sont donné des règles de bon voisinage en espérant un jour pouvoir le résoudre.

Pour comprendre la situation, il faut se rappeler que le droit maritime définit la plupart du temps la limite de souveraineté entre deux États comme la ligne perpendiculaire à la côte à l’endroit où vient buter la frontière terrestre — dans ce cas à Punta de Playa. La position particulière des îles de Trinité-et-Tobago et de la côte crée, par les lois de la géométrie, un double cône qui bouche l’accès du Venezuela à l’Océan Atlantique.

C’est cela qui avait conduit, en 1899, à un accord — signé à Paris — ouvrant au Venezuela un couloir maritime (la zone représentée en bleu sur la carte), basé sur un angle de mesure plus ouvert, de 70° Est, au lieu des 30° Est qui correspondrait à la géométrie de la côte à Punta de Playa. Aujourd’hui, la « projection atlantique » du Venezuela trouve son fondement juridique dans la frontière fixée en 1991 avec Trinité-et-Tobago, qui démarque la limite occidentale de sa plateforme continentale. La limite orientale ne fait pas encore l’objet d’un accord avec le Guyana, et pour le moment, le Venezuela « pratique » une ligne parallèle (donc, aussi inclinée à 70° Est) à celle de sa limite occidentale entre les points 21 et 22.

L’accord de Genève réaffirmait cette définition, et stipulait en outre qu’aucune activité relevant d’une « appropriation souveraine » n’était permise dans la région. Au nombre des interdictions figure l’octroi de concessions pétrolières sur la plateforme continentale. Or, le Guyana comme le Venezuela mènent dans cette zone des activités qui violent ces principes.

Georgetown a par exemple octroyé des concessions pétrolières sur les eaux territoriales vénézuéliennes (le bloc Roraima et la partie occidentale du bloc Stabroek), soutenant que la ligne de démarcation maritime entre les deux pays passait à 30° Est (et non pas 70° Est) à partir du repère de Punta de Playa.

Il faut dire que l’ensemble de cette zone apparaît riche en hydrocarbures. En effet, selon l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS), la plateforme continentale des Guyanas renfermerait la deuxième plus grande réserve de pétrole non explorée de la planète.

En octobre 2013, le navire de prospection RV Teknik Perdana menait, pour le compte de l’entreprise Anadarko, une mission d’exploration du plateau continental et du fonds marin dans le bloc Roraima, lorsqu’il fut arraisonné par la marine vénézuélienne et conduit au quai Morro de Valdez, dans l’île de Margarita.

Depuis cet incident, et face à l’enjeu économique que représente cette zone, le Venezuela exerce de nombreuses pressions, en exigeant par exemple en 2015 le départ du navire de forage Deepwater Champion du champ Liza-1 situé dans le bloc Stabroek. Malgré ces menaces, Exxon Mobil a annoncé avoir découvert du pétrole de haute qualité lors des premiers forages, et finalement expliqué « que le développement (études sur le terrain, exploration, exploitation) du champ continuera au cours de l’année 2016 en accord avec les autorités du Guyana ».

Quelques jours plus tard, le président vénézuélien Nicolas Maduro promulguait en réponse un décret par lequel le Venezuela créait une « zone intégrée de défense maritime et insulaire » ou ZODIMAIN, aussi appelée « façade atlantique vénézuélienne », laquelle laisserait à son tour la République coopérative de Guyana sans accès à la « haute mer » atlantique.

Cette initiative unilatérale permet au Venezuela d’affirmer ses revendications, tout en reconnaissant que la délimitation définitive de cette zone devra faire l’objet d’un accord entre les deux pays.

En riposte, les autorités du Guyana décident à leur tour de préciser les coordonnées délimitant le delta du fleuve Essequibo. Une initiative menée dans le cadre de la « loi sur les zones maritimes (lignes de base des eaux intérieures et de démarcation des fleuves) », publiée le 23 juillet 2015.

Pour la petite histoire, la frontière maritime délimitée d’après l’arbitrage entre les deux îles voisines de la Barbade et Trinité-et-Tobago a elle-même été à l’origine d’un nouveau contentieux au point numéro 11. La position de ce dernier transgresse les limites de la frontière établie auparavant entre le Venezuela et Trinité-et-Tobago. Si une protestation n’est pas soulevée par l’une des parties, l’estoppel pourra être invoqué dans de futures négociations.

Quelques liens pour approfondir :

 Tensions entre le Venezuela et le Guyana dans leur différend territorial et maritime relatif à l’Essequibo par Meriem AGREBI, Sentinelle du droit international, 10 mars 2015.
 Arbitrage de Paris du 3 octobre 1899
 Traité de Genève du 17 février 1966
 Venezuela–Guyana : aux origines d’un conflit frontalier ravivé par Exxon, Géopolis, 15 juin 2015.
 Le territoire contesté entre le Venezuela et la Guyane anglaise par Louis Gallois, Annales de géographie, 1897.
 Différend sur la frontière Guyana / Venezuela : une nouvelle étape dans le processus pacifique de résolution du différend, par Jérémy Drish, Sentinelle du droit international, Bulletin 306 du 27 juin 2012.