L’utérus, un organe d’hommes ?

#utérus #gestation_pour_autrui

29 avril 2024

 

Depuis l’été 2023, le site Muséa accueille une nouvelle exposition virtuelle sur l’un des organes de la reproduction. Intitulée L’Utérus, un organe d’hommes ?, cette exposition vise à exposer l’utérus au prisme des sciences humaines et sociales (SHS). Portée par cinq chercheuses issues de plusieurs institutions [1] et champs disciplinaires, elle met en lumière les discours et représentations autour de l’organe, en considérant le temps long et la variété des contextes géographiques.

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Entreprise d’utérus artificiels en l’an 2119, installation performance « Utérus & Co » / Jeanne P., Utérus le nid, Université Bretagne Sud, Lorient, octobre 2022.
Céline Ader.

Plusieurs lignes de force traversent cette exposition, donnant à voir les principaux aspects des travaux ayant été menés en SHS sur l’utérus :

  • Il existe une permanence, selon les époques et les cultures, dans les façons de nommer l’organe, de l’euphémiser ou de l’éluder totalement ;
  • L’utérus est aussi un organe d’homme, sacralisé et contrôlé dans sa fonction reproductive. Il est l’objet de discours essentiellement masculins glissant du biologique vers la morale (médecins, naturalistes, législateurs, ecclésiastiques) et un espace d’articulation du genre et des normes ;
  • L’utérus, comme d’autres organes, est inventé par le regard des anatomistes à l’époque moderne, mais il est l’attention d’une véritable pulsion scopique, particulièrement marquée au XIXe siècle, accompagnée d’une pathologisation et parfois de mutilations (hystérectomie, censée calmer les douleurs, réduire les cancers ou l’hystérie) ;
  • L’utérus est une pierre d’achoppement chez les féministes : lieu de l’animalisation et de l’incarnation de l’essence féminine, il est aussi celui de l’émancipation. Depuis au moins la fin du XIXe siècle, le discours féministe — entendu au sens large en tant qu’il porte une contestation des inégalités entre les sexes — oscille entre la prise en compte du corps féminin et son oblitération. Peut-on penser cet organe sans sexuation, sans sexualité, sans reproduction ?
  • Il est un organe au statut spécifique, marquant la possible atomisation du corps féminin : une pièce « autonomisée » du corps féminin, et certains théoriciens ou médecins lui confèrent un rôle agentif (hystérie) ; un organe « collectif » où se rencontrent des gamètes et où joue la parenté (procréation médicalement assistée — PMA — et gestation pour autrui — GPA) ; un organe « extérieur » (ectogénèse) ; un organe « détachable » et « jetable après usage » (greffes d’utérus) ; un organe « externalisé » comme dissocié de l’ensemble du corps, voire effacé, au profit de l’enfant.

À travers une série de huit notices (plus une introduction et une rubrique pour aller plus loin), ce travail propose un voyage dans le temps des représentations et des discours qui accompagnent l’organe, ainsi qu’un voyage dans l’espace.

Les spatialités de l’organe se lisent à plusieurs endroits dans l’exposition.

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Dispositif intra-utérin venant des États-Unis avec son emballage,
ramené par Pierre Simon, gynécologue.
Source : Fonds Pierre Simon CAF 17 A 49 et
Centre des Archives du féminisme.

Dans la notice Un organe de la mondialisation, il apparaît que les pratiques et savoirs médicaux autour de l’utérus voyagent. Du point de vue de l’histoire des sciences, sont rappelés les liens entre plusieurs continents, notamment en ce qui concerne la circulation des usages des dispositifs de contraception (le dispositif intra-utérin, par exemple), ou des planches anatomiques.

De même, on observe la circulation d’une littérature féministe à propos de l’utérus, en particulier à partir du livre Notre corps nous-mêmes qui, dans les années 1970, remit à l’honneur les pratiques d’auto-examen gynécologique. La notice met également en lumière une géographie mondialement différenciée en ce qui concerne les dispositifs législatifs, en matière d’avortement ou de GPA par exemple.

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Couverture du livre Notre corps, nous-mêmes, Hors d’Atteinte, collection Faits et Idées, 2020.

À l’occasion des récentes luttes pour l’accès à l’avortement (en Argentine en 2020-2021, aux États-Unis après la remise en question de l’arrêt Roe v. Wade en juin 2022, ou plus récemment en France en 2024 lors de l’inscription dans la Constitution de la liberté d’avortement), c’est la géographie des droits à disposer de son utérus qui est ainsi remobilisée.

Ailleurs dans l’exposition, l’entrée spatiale de l’organe met en lumière certains hauts lieux de revendications, en particulier les métropoles et les espaces urbains. Cette focalisation sur les villes s’observe aussi par la mise en partage de symboles communs, tels que le cintre, brandi indifféremment à Paris, à Buenos Aires ou à Washington à l’occasion des manifestations en faveur de l’avortement.

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Statuts de la gestion pour autrui (GPA) dans le monde.
Carte : Philippe Rekacewicz

Cette exposition en dit peu (ou moins) sur les espaces non occidentaux. Si elle présente quelques incursions en Afrique, notamment autour de l’engagement de quelques figures comme Denis Mukwege [2], elle invite à poursuivre les réflexions engagées pour proposer une histoire et une géographie globales de l’organe. Non pas uniquement pour montrer ce qui se fait ailleurs, mais aussi pour considérer les différents régimes législatifs, discursifs ou artistiques autour de l’utérus.

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Cintre brandi, devenu symbole des avortements
clandestins refusés, 2023.
Véronique Mehl.