Adieu Zahra, ma mère

#langue #migrations #kabyle #Algérie #France #femmes #filiation

27 avril 2021

 

« Je ne tiens pas debout sans ta prière du jour. » Ce vers de Mahmoud Darwich, dans le poème consacré à sa mère, me revient comme une ritournelle. Te voir, t’entendre prier m’aidait à vivre.

par Fatima Sissani

réalisatrice, Marseille.

Zahra ma mère est morte le 15 avril 2021. C’est aujourd’hui qu’elle va accomplir son ultime voyage vers son pays, son village, sa terre. Ma mère avait la Kabylie chevillée au corps, un attachement viscéral que l’exil, curieusement, n’avait en rien entamé.

C’est finalement le moyen qu’elle a trouvé pour retourner dans son pays qu’elle n’a pas pu revoir depuis presque deux ans — elle qui y passait pratiquement la moitié de l’année auprès de son grand fils et de sa grande fille et de tous les siens et siennes restées là-bas. Brutalement les frontières s’étaient fermées, comme un piège dont elle ne voyait pas la sortie. Elle est un peu morte de nostalgie.

Elle sera enterrée sur le lopin de terre qu’elle a pris soin de désigner. Proche de sa maison, à proximité de celles et ceux avec qui elle a partagé son existence, des liens demeurés intacts malgré l’exil, car dans cette société, et pour la génération de ma mère en particulier, c’est le groupe qui vous fonde ; il n’y a pas d’existence possible en dehors de celui-ci. Cela lui conférait une manière d’être au monde qui tranchait avec la notion d’individu qui prévaut en France et dont je suis imprégnée. Ce n’était pas sans heurts, mais j’ai fini par comprendre et cela m’a appris.

L’autre dimension qui la rendait si singulière, c’était son rapport à sa langue, le kabyle. Ma mère en avait fait sa citadelle imprenable. Il ne lui est jamais vraiment venu à l’idée qu’elle pourrait parler une autre langue. C’est un choix qu’elle a payé, chèrement, mais je ne crois pas qu’elle l’ait regretté. Elle appartenait à un monde ancien structuré par des principes et des codes qui ne pouvaient être transmis que dans la langue dans laquelle ils ont été élaborés. J’en suis héritière. C’est un héritage immense, qui va bien au-delà de la langue. J’en ai appris à naviguer entre plusieurs mondes. Merci Zahra. Merci pour tout. Pour la leçon de dignité qu’a été ton existence. Pour les principes de solidarité et d’intégrité que tu as portés haut et beau. Pour ce lien vers l’invisible que tu m’as un peu transmis. Pour tous ces instants de poésie que tu nous as offerts dans la banalité du quotidien. Pour l’amour que tu me portais dont je réalise aujourd’hui qu’il était immense.

Aujourd’hui tu vas retrouver ton pays, tu seras enterrée sans nous mais au milieu des tiens et des tiennes car les fleurs des cimetières de France ne t’intéressaient pas. J’en suis immensément heureuse même si aucune de nous n’imaginait que les choses se passeraient ainsi.

Bon retour chez toi Zahra, c’est ton village entier qui t’attend. Que la terre te soit légère. — Fatima

 

Ma mère est la femme qui m’aura le plus inspirée dans ma vie. Et elle continuera de le faire au-delà de sa vie sur terre. Grâce à elle j’ai appris ce que représente l’amour inconditionnel et c’est un cadeau précieux. La mort représente pour moi un recommencement et non une fin. J’ai tellement aimé ma mère, qui me l’a si bien rendu ainsi qu’à nos enfants, que je ne suis pas triste aujourd’hui. Ma mère était une femme extraordinaire et elle le restera à tout jamais. — Samira

Maman avait 21 ans en 1954 et elle m’avait dit un jour que le 1er novembre de cette année était une date inoubliable pour elle. Elle est morte la veille de Tafsut imazighen en nous laissant le plus beau des héritages, sa langue... — Malika

Le seul mode de communication que nous avions avec Titiss était les câlins, les bisous. Je lui aspirais le cou chaque fois que j’en avais l’occasion sauf les dernières fois que je l’ai vue. Je n’ai pu l’approcher ni l’embrasser ni la câliner ni l’enlacer à cause de ce virus. Ton odeur et ta peau me manquent ! Titiss ! Je t’aime de tout mon cœur la plus douce et aimante des grand-mères. — Leila


En hommage, voici La langue de Zahra, le beau film documentaire que Fatima Sissani avait consacré à sa mère en 2011 :

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La langue de Zahra
Fatima Sissani, 2011. Durée : 1h30