À Calais, l’État ne peut dissoudre les migrants

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3 septembre 2014

 

Qu’ils reposent en révolte (des figures de guerres)

Un documentaire de Sylvain George
Independencia Distribution
Production : Noir Production
France, 2007-2010, 2h33

recensé par Cristina Del Biaggio

chercheuse post-doc à l’université d’Amsterdam

Pour réaliser son documentaire poétique, politique et expérimental, Sylvain George s’est concentré sur Calais. Cette ville du nord de la France, pensée, dans l’imaginaire des migrants, comme une escale, un lieu de passage. Calais n’est qu’une étape : on y rêve d’Angleterre.

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Mais le rêve se transforme vite en cauchemar. Faute de pouvoir se cacher sous un camion ou de traverser les clôtures de la zone portuaire, ce lieu de transit devient un lieu de vie. Ou plutôt un lieu de survie.

J’ai traversé le désert et la Méditerranée, mais c’est ici que je suis en train de mourir.

Un migrant témoignant dans le film.

L’association néerlandaise United for Intercultural Action recense méticuleusement depuis plus de vingt ans les migrants qui meurent en tentant de pénétrer la « Forteresse Europe ». La frontière sud de l’Europe, celle qui passe au milieu de la Méditerranée, n’est d’ailleurs pas la dernière à devoir être franchie. À l’intérieur de l’Europe même, les migrants sont arrêtés, envoyés dans des centres de rétention, des prisons ou des camps plus ou moins ouverts, souvent improvisés, dans des lieux de transit comme à Calais.

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C’est là, dans ce lieu liminaire, que George Sylvain nous livre ces morceaux de vies fragmentaires et fragmentées. Il explique :

Je joue sur des discontinuités, des ruptures, des fragments autonomes qui se télescopent les uns les autres, qui se répondent, qui sont mis en résonance, en correspondance.

Ces fragments semblent, de par le choix du noir et blanc et l’absence de voix off, sorties d’un temps lointain, dans lequel les gens prenaient le temps. Un temps qui — même à Calais — n’est pas composé que de tristesse et de désespoir. Le cinéaste redonne une dignité à des êtres humains qui ont tout perdu. Les portraits de ces jeunes hommes sont délicats : ils chantent ou se baignent dans la rivière, et les sourires sont sincères.

Mais en réalité, à Calais, le temps presse. Immense est le désir de continuer le voyage vers l’Angleterre. Le temps presse également lorsque les migrants doivent échapper à la police, qui patrouille et les traque méthodiquement, implacablement.

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Les images de ce cache-cache s’entrecoupent d’images, plus lentes, de détails de la ville. Des détails qui symbolisent parfois le voyage et la liberté, parfois leur contraire, l’arrêt et l’emprisonnement. La mer et les objets qu’elle ramène sur les plages, les murs, les montagnes, les haies, les oiseaux en vol, les épines des rosiers, les trains et les rails.

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Arrestation
(détail)

Dans ces fragments, le spectateur se perd un peu. Le film est lent — trop lent peut-être — la discontinuité permanente, les scènes très longues. Cette lenteur, assumée, sollicite la patience du spectateur. Les moments forts ne manquent pas, éparpillés dans la succession non-chronologique des fragments.

Instant tragique : ce qu’un migrant appelle la « prière ». Ce moment collectif où les migrants tentent de faire disparaître leurs empreintes digitales. Étape symbolique où ils se défont de leur propre identité.

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À l’aide de rasoirs ou de vis brûlantes, les migrants traversent ce rituel qui leur permet « de ne pas être esclaves dans vos pays », comme le dit un jeune homme au cinéaste. Une façon de se révolter, silencieusement et méticuleusement, et d’espérer contourner les lois draconiennes de la « Forteresse Europe ».

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Grâce à ces images de vie quotidienne, les tesselles de la mosaïque assemblée par Sylvain George composent une métaphore intéressante de la ville de Calais et de la vie de ceux qui y ont trouvé refuge, comme le réalisateur le déclare :

Calais est un lieu extrêmement emblématique des politiques aujourd’hui. Dans nos politiques il y a des zones grises, qui relèvent de l’état d’exception.

Des zones grises non seulement au plan du droit, mais aussi d’un point de vue géographique. C’est l’une de ces zones grises, emblématiquement appelée la « jungle », dont Sylvain George a filmé le démantèlement en 2009 (c’est la fin de son documentaire), qui montre bien l’absurdité et l’hypocrisie des politiques migratoires européennes.

Juste avant l’arrivée de policiers anti-émeutes, le volontaire d’une ONG déclare, dans une sorte de conférence de presse improvisée :

La “jungle” était une communauté qui permettait à ces jeunes de résister. Lorsqu’elle disparaîtra, ces jeunes vont être traqués par la police et par les passeurs. Ça ne les empêchera pas de revenir. Qui peut encore croire qu’il est possible d’arrêter ces êtres humains prêts à tout perdre ?
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Après la fermeture de Sangatte en 2002, celle de la #jungle en 2009 n’a fait que disperser les migrants un peu partout dans la région. Un autre campement surgira, et le prochain Ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale ou du Développement solidaire enverra à nouveau ses bulldozers démolir les abris — devenus maisons — de ces migrants, figures de guerres d’une politique qui les dépasse, mais dont ils sont les premières victimes.

Tous les photogrammes sont extraits du film avec l’autorisation du réalisateur.

Voir la bande annonce du film :

Un entretien d’une heure avec le réalisateur :

Un extrait du film (la chanson des migrants), publié ici avec l’aimable autorisation du réalisateur :

Ce documentaire sera projeté dans le cadre de la quinzième édition du « mois du film documentaire » en novembre 2014.