Sous un gilet jaune, il y a... Cécile

#gilets_jaunes

19 mai 2019

 

Suite de notre petite radioscopie de la France qui se réveille, avec une série de portraits sans retouche de gilets jaunes.

Aujourd’hui : Cécile.

3. Cécile

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Photo : Nepthys Zwer, 2019.

Je parle ici de mon propre terrain de vie, car je n’ai pas une grande expérience de l’exercice politique par le biais de luttes sociales collectives, seulement peut-être par mes choix de vie, forcément politiques, et de mon cheminement.

Je suis née en France. J’ai grandi avec mon père d’origine sénégalaise (Diaranké), ma mère française et mes deux frères dans un appartement HLM d’un petit quartier de la banlieue orléanaise. Les parcours d’enfance et de vie difficiles de mes parents m’ont confrontée assez jeune à des problématiques telles que la maltraitance infantile, la psychiatrie, la précarité financière, culturelle et sociale… J’ai vécu le chômage de mon père, parti à 12 ans de son petit et très isolé village natal, et son acharnement à s’intégrer, à apprendre le français (écrire et parler) ainsi qu’à se former à des métiers où il pouvait obtenir une embauche (soudeur, conducteur poids-lourds…). Il parvint à être électricien à la CPAM, car c’était une époque où les émigrés étaient les bienvenus pour rebâtir la France, quelque temps après la Seconde Guerre mondiale - après l’avoir été aussi pour servir sur les champs de bataille… J’ai vécu les dommages ravageurs d’une enfance maltraitée à travers la maladie de ma mère et les conséquences de son métier difficile et mal valorisé (infirmière puéricultrice, plus de 20 ans aux urgences). J’ai connu un peu l’ambiance de quartier, nos gueules cassées et tous ces désarrois, ces courages, ces fantasmes, ces solidarités, ce sentiment d’exclusion et ce racisme… Être considérée comme étrangère bien que née ici…

Je n’ai pas compris ce monde raciste et fou, où l’on ghettoïse des gens, où l’on viole des enfants, où l’on tue des femmes parce qu’elles sont femmes, où l’on extermine des populations pour des idéologies, où l’on détruit la planète qui nous nourrit… et ce monde qui laisse faire « tout ça ». Je ne peux pas accepter cette approche utilitaire, où l’on considère l’humain comme une marchandise ou un sujet nécessairement producteur de valeur(s) quantifiable et mesurable, condition de sa considération dans la société. Un monde où l’on normalise, objectivise et détruit constamment le vivant. Tout ça m’a vite été insupportable.

Petite, enfant, j’avais déjà mal au « nous ». Cette conscience de « notre » état était comme une grande plaie. Alors, pour pouvoir survivre, j’ai trouvé la voie qui m’a semblée celle « du moindre mal » ou juste une échappée belle : l’art. Pour panser un peu la plaie...

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Dessins de Cécile exposés le 5 mai 2019 lors de la kermesse des Gilets jaunes à Strasbourg.

Ponctuellement, j’ai aussi soutenu quelques « causes » ou des « luttes », je me suis aventurée chez quelques punks, anarcho-gaucho-je-ne-sais-quoi, dissidents, marginaux, mais tous ces groupes me semblaient toujours trop « sectorisés », isolés les uns des autres ou suicidaires. Pas de révolution en vue.

Les Beaux-Arts étant à portée de mes capacités, j’ai passé 5 années dans un cocon illusoire, mais instructif, notamment pour ce qui concerne l’étrange expérience du décalage de classe sociale. Puis une formation d’intervenante artistique, avec cette volonté timide de tendre, avec l’art, une béquille aux autres. J’ai vogué 10 ans avec cette béquille qui m’a portée vers des aventures humaines parfois rassurantes. Mais cela ne suffisait pas à refermer la plaie. Toujours pas de révolution en vue.

Aujourd’hui, à 33 ans, j’ai toujours mal au « nous » et l’art reste pour moi la voie du moindre mal, car cette/notre plaie est profonde… Mais la marée jaune vient grandement et lentement adoucir le goût beaucoup trop amer de ce drame collectif. Cette convergence des combats que portent les Gilets Jaunes est l’une des raisons de mon engagement dans ce mouvement. Selon moi, ses fondamentaux concernent tous les êtres humains et leur environnement. J’espère que cet élan rimera un jour avec « unité » : l’union de toutes et de tous, de toutes origines, de tous horizons, de toutes couleurs…

La déconstruction et la réappropriation de ce que l’on nomme « politique » est aussi une raison qui me fait suivre ce sillon qui se creuse peu à peu ; je me reprends à espérer que tout être humain puisse participer à la vie de son collectif, quel que soit cet être humain…

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Dessins de Cécile exposés le 5 mai 2019 lors de la kermesse des Gilets jaunes à Strasbourg.

Enfin, la répression et la propagande gouvernementale, l’emploi d’armes de guerre, les violences perpétuées contre des personnes simplement venues se faire entendre après avoir été muselées tant d’années, ici, dans mon pays où l’on m’a appris « liberté, égalité, fraternité » à l’école, cette répression a fini de me convaincre que notre système actuel a beaucoup trop de traits d’une dictature. Je ne peux pas rester observatrice de cela. Je m’engage d’abord par rapport à ma propre conscience, puis par soutien et peut-être aussi pour « faire maillon » dans cette chaîne qui, je l’espère, nous permettra de nous libérer de ce qui nous esclavagise depuis trop longtemps.

Peut-être une révolution en vue !

↬ Cécile